Mauritanie et la crise migratoire : entre contrôles renforcés et nécessité de sécuriser son territoire

1
photo à titre illustratif

Depuis plusieurs semaines, la Mauritanie est au cœur de critiques acerbes sur sa politique migratoire. Certains observateurs estiment qu’elle aurait durci ses contrôles sous l’influence de l’Union européenne en échange d’un financement de 210 millions d’euros. Pourtant, cette analyse, bien que plausible, occulte une réalité bien plus complexe. La Mauritanie doit faire face à une pression migratoire grandissante, à l’exploitation des migrants par des réseaux criminels et aux défis sécuritaires qui l’obligent à renforcer la surveillance de son territoire.

Depuis janvier 2025, Nouakchott a intensifié les contrôles et les expulsions de migrants dits en situation irrégulière. De nombreux Maliens figurent parmi eux, notamment dans les villes de Nouadhibou et Nouakchott, avant d’être refoulés vers leur pays d’origine.

L’incident du 8 mars 2025 à Gogui Zemal à la frontière mauritano-malienne, où des migrants expulsés ont incendié un poste de police après des affrontements avec les forces de l’ordre, a exacerbé les tensions. Certains dénoncent une politique répressive dictée par l’Europe.

Toutefois, cette lecture ne prend pas en compte le fait que la Mauritanie est avant tout confrontée à une gestion complexe de ses frontières et aux conséquences d’une migration incontrôlée. Des ONG ont rapporté des cas d’arrestations arbitraires, évoquant l’expulsion de migrants pourtant en situation régulière. Si de tels abus sont avérés, ils doivent être documentés et sanctionnés. Cependant, réduire la question migratoire à ces expulsions revient à occulter l’ampleur de cette crise et les véritables enjeux sécuritaires et humanitaires qu’elle soulève.

Les naufrages et l’exploitation des migrants, un drame ignoré

Si les expulsions font polémique, elles ne sont qu’un aspect d’une tragédie bien plus grande. Il s’agit des départs massifs depuis les côtes mauritaniennes et les nombreuses pertes humaines en mer. En 2024, l’ONG Caminando Fronteras a recensé 10 457 migrants morts en tentant de rejoindre l’Espagne par l’Atlantique, soit une moyenne de 30 décès par jour. Beaucoup de ces départs se font depuis Nouadhibou. Pourtant, ces drames passent souvent sous silence, alors qu’ils constituent la véritable urgence humanitaire.

Chaque migrant débourse entre 1 500 000 et 2 000 000 FCFA pour embarquer sur des bateaux de fortune, alimentant ainsi des réseaux criminels prospères. Derrière cette migration clandestine se cachent également des filières de traite humaine, d’exploitation sexuelle et même de trafic d’organes, qui mettent en péril la vie de milliers de personnes.

Des réseaux criminels et terroristes qui profitent du chaos

Les passeurs, véritables artisans du trafic de migrants, organisent des traversées sur des embarcations surchargées et dangereuses, n’hésitant pas à abandonner des passagers en pleine mer. Bien que certains trafiquants soient arrêtés, les véritables chefs de ces réseaux restent rarement inquiétés.

Par ailleurs, la migration clandestine ouvre aussi la porte à d’autres menaces, notamment le recrutement de migrants par des groupes terroristes comme l’État Islamique au Grand Sahara (EIGS), le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM) ou Boko Haram. Ces organisations exploitent la détresse des jeunes en leur promettant de l’argent ou en les enrôlant de force. Ignorer cette réalité, c’est sous-estimer les dangers liés à une migration non contrôlée.

L’Union européenne joue un rôle actif dans le renforcement des contrôles migratoires en Afrique. Toutefois, il serait simpliste de considérer que la Mauritanie agit uniquement sous pression extérieure. Nouakchott a ses propres intérêts dans la gestion de cette crise en cherchant à éviter que son territoire ne devienne une plateforme incontrôlée pour l’immigration clandestine et lutter contre l’implantation de réseaux criminels et terroristes.

Si l’argent européen est un levier, la politique migratoire mauritanienne répond aussi à des impératifs sécuritaires et économiques internes. Un État a le droit de contrôler ses frontières, mais il doit aussi garantir le respect des droits humains. Si des abus sont avérés lors des expulsions, ils doivent être dénoncés et faire l’objet d’enquêtes.

Mais il serait injuste de résumer la crise migratoire à ces incidents sans prendre en compte l’ensemble des facteurs qui l’alimentent. La véritable question à se poser est celle des solutions durables : comment lutter contre les passeurs et les réseaux criminels ? Comment offrir aux jeunes Africains des alternatives viables pour ne pas risquer leur vie en mer ?

Les critiques contre la Mauritanie sont compréhensibles, mais elles ne doivent pas masquer l’ampleur des enjeux migratoires. Se focaliser uniquement sur les expulsions et les financements européens revient à détourner l’attention des vrais responsables de cette crise : les passeurs, les trafiquants et l’absence de solutions pour ces jeunes qui cherchent à partir.

La Mauritanie a un rôle à jouer, mais elle ne peut pas être le seul acteur blâmé dans une crise qui dépasse largement ses frontières. C’est une affaire qui doit normalement préoccuper toute l’Afrique qui voit encore une fois la vie de ses nombreux fils et bras valides engloutis par les eaux de l’océan Atlantique.

Cheick B. CISSE

Commentaires via Facebook :

1 COMMENT

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here

Leave the field below empty!