Zoumana Diallo, Abdrahamane Traoré, Konimba Coulibaly, Issa Traoré, Hamadoun Dicko, Abdourahamane Koné, Aïssata Bagayoko, Issa Sissoko, Mariam Diarra, Youssouf Koné et Salilou Boncana Touré ont comparu à la barre des assises le mercredi 31 juillet 2024. Ils étaient accusés d’avoir détourné plus de 758 millions de F CFA au préjudice de l’Institut national de prévoyance sociale (INPS). Certains ont été condamnés et d’autres acquittés. Zoumana Diallo, l’accusé principal, a écopé de 10 ans de réclusion et devra restituer les plus de 344 millions de F CFA détournés.
Le mercredi 31 juillet 2024, l’un des dossiers phares des assises spéciales sur les crimes économiques et financiers, de par le nombre de personnes impliquées, était au rôle, à savoir celui de l’INPS. Zoumana Diallo, l’accusé principal, à l’entame de ses propos a reconnu les faits d’atteinte aux biens publics.
L’inculpé Zoumana Diallo, chef de division accueil et orientation à l’agence INPS de la Commune I du district de Bamako au moment des faits, a reconnu sans ambages les faits incriminés à la barre. “J’ai été approché par Mariam Diarra, une pensionnaire d’une possibilité de modification à la hausse des pensions. Après avoir bien fouillé le logiciel, j’ai découvert effectivement que c’était faisable. Ainsi, j’ai abordé certains assurés pour les convaincre que je pouvais augmenter le montant de leurs pensions moyennant le reversement à mon profit d’une partie du surplus. Pour les rassurer davantage, je leur faisais croire que je travaillais avec un agent important de la boite. A cet effet, j’ai effectué les modifications des mots de passe de certains collègues de service, en l’occurrence les dames Many dite Djénébou Diarra et Aïssata Bagayoko“, a-t-il avoué.
Le président de s’interroger sur les raisons pour lesquelles il a touché au code de ses collègues en tant chef de division accueil orientation. Il a répondu qu’il travaillait avec la machine pour savoir quel dossier prendre et lequel rejeter et que c’est ainsi qu’il a profité.
Le ministère public de chercher à savoir pourquoi Mariam Diarra l’a rapproché. “C’était pour sa mise à jour parce qu’elle était en retard et on avait coupé sa pension. C’est dans ce cadre qu’on a échangé“, a-t-il répondu. De quoi avez-vous échangé ? continuera le parquet. “Elle m’a dit que sa pension était minime et que si je pouvais trouver une solution à cela. C’est ainsi que j’ai fouillé pour trouver comment majorer sur la pension des gens”, a indiqué Zoumana Diallo.
Konimba Coulibaly était accusé d’avoir gagné frauduleusement plus de 142 millions de F CFA sur les pensions des retraités et veuves, en complicité avec Youssouf Koné. Il a souligné qu’après avoir reçu une demande d’explication de l’INPS concernant une modification de pensions à la hausse, il n’avait rien compris parce qu’il ne travaillait pas à la division pension.
“C’est à la Maison centrale d’arrêt que Youssouf Koné m’a rendu visite et m’a avoué qu’il posait des actes pas très catholiques. Je lui ai demandé de dire la vérité si c’est lui l’auteur. Il m’a indiqué qu’il ne peut pas avoir tous les biens qu’il possède avec les 100 000 F CFA qu’il gagne comme salaire mensuel. Il m’a demandé la liste que le service m’avait envoyée par rapport à la demande d’explication pour voir les noms des pensionnés majorés. Je l’ai envoyé récupérer à la maison et c’est là qu’il a avoué à mon voisin que c’est lui l’auteur. Mais qu’il me conseille de me déclarer coupable et qu’il s’arrangera pour rembourser la somme. C’est ainsi que j’ai engagé un avocat afin qu’il prouve mon innocence”, a déclaré Konimba Coulibaly. Un conseiller de lui demander comment Youssouf Koné a pu accéder à sa machine. Il a répondu : “C’est lui qui gère tous les codes au niveau de l’INPS en tant qu’informaticien. C’est ainsi qu’il utilisait mon code pour poser son acte malsain sur ma machine”. A son tour, Youssouf Koné a reconnu les faits à la barre en déclarant que Konimba lui a donné son code, mais que ce dernier ne savait rien de l’usage qu’il en faisait.
Il était reproché à Abdrahamane Traoré, chef de service à l’époque, d’avoir soutiré plus de 48 millions de F CFA. Il a réfuté l’entièreté. Il a soutenu que les dossiers pour lesquels il a été accusé de modification étaient au nombre de 19 dont 18 sont relatifs à des pensions de réversion avec tuteur et le dernier une pension de retraite normale. Il a expliqué qu’il s’agit de cet unique dossier qui a fait l’objet de dénonciation de l’agent comptable Modibo Kéita à travers son épouse qui travaille à la BIM-SA.
Il a expliqué que courant juin 2017, il avait reçu des instructions de son directeur central de suspendre le paiement dudit dossier et qu’il avait même demandé au service informatique de chercher l’auteur de cette modification. Il a ajouté que son directeur n’a été informé par la suite d’aucune traçabilité du dossier à l’INPS et que par conséquent celui-ci est toujours enfoui dans les tiroirs du service. Ayant été le dernier à intervenir sur ledit dossier, son identité y est restée comme étant le présumé auteur des modifications dont il s’agit.
Aïssata Bagayoko, à son tour, n’a pas reconnu les faits. Elle a expliqué qu’elle avait 3 stagiaires qui connaissaient tous son mot de passe. “Je sais que le mot de passe est personnel, mais c’est quelqu’un aussi qui m’a formé à mon arrivée à l’INPS avec son mot de passe. Je n’en ai pas fait d’autre usage en dehors de ce qu’on apprenait, donc je ne pouvais pas imaginer que mes stagiaires en feraient un autre usage. J’ai déjà remboursé les 12 968 592 F CFA soutirés par mon code“, a-t-elle exprimé. Hamadoun Dicko a expliqué que personne d’autre n’avait accès à son mot de passe, mais qu’après avoir ouvert sa machine, il la laissait à la disposition de ses stagiaires et même ses collègues. Le président l’a interrogé sur la somme dilapidée à travers son code, à savoir les plus de 12 millions de F CFA. Il a répondu les avoir déjà remboursés, car cela relève de sa responsabilité même s’il n’en est pour rien, assurera-t-il.Issa Sissoko, chef de division prestations techniques à l’INPS, a reconnu le fait qu’on a utilisé son code d’accès à d’autre fin, mais s’est dit innocent. Il a confirmé avoir deux stagiaires qui ont accès à son mot de passe. Il a assuré ne pas connaitre pas les nommées Fatoumata Traoré et Kadidia Diarra, bénéficiaires desdites modifications et qu’il n’y a eu aucun arrangement convenu entre lui et ces bénéficiaires. “J’ai remboursé déjà la somme qui était moins d’un million. C’est pourquoi je n’ai pas cherché à situer la responsabilité “, a-t-il déclaré.
S’agissant de l’inculpé Issa Traoré, chef de division à l”INPS, il a expliqué ne pas contester le tableau de répartition des dossiers par agents responsables des modifications dressées par la mission de l’inspection, que toutefois, les faits à lui imputés sont dus à une défaillance du système informatique.
Il a ajouté qu’il avait d’ailleurs signalé cette défaillance à tous les directeurs régionaux avec lesquels il a travaillé. “En réalité, je ne connais pas les quatre veuves dont les pensions ont été modifiées et je n’avais aucune prérogative à cet effet”, s’est-il défendu. Le montant dit modifié par fraude par Issa Traoré est de 189 670 F CFA.
Pour sa part, l’inculpé Hamadoun Dicko, agent d’exploitation à l’INPS, a déclaré n’avoir pas effectué les modifications, mais a reconnu que c’est son code d’accès qui a servi à le faire. Il a ajouté qu’il est probable que lesdites modifications aient été commises par inadvertance, sinon qu’il ne connait aucun des bénéficiaires et qu’il est d’ailleurs disposé à rembourser le montant de 12 011 920 F CFA à lui reproché.
Abdourahamane Koné, contrôleur à l’INPS au moment des faits, a nié avoir effectué les modifications, mais affirmé tout de même que son code d’accès a servi à le faire. L’inculpé Salihou Boncana Touré, magasinier à l’INPS, a reconnu sans détour les faits à lui reprochés en déclarant que Zoumana Diallo, l’accusé principal, est passé un jour à son domicile et lui a proposé de modifier sa pension. Il a signalé qu’après une longue réflexion suivie d’hésitation, il a fini par adhérer à ladite proposition. Au demeurant, sa pension qui était de 26 000 F CFA par mensualité est passée à 800 000 F CFA suite à la modification opérée. Sur ce nouveau montant, il prélevait mensuellement la somme de 250 000 F CFA sur le surplus et Zoumana Diallo disposait du reste. L’inculpée Mariam Diarra, agent à l’agence Sabuyuman à la retraite, a reconnu sans ambages les faits en expliquant qu’après avoir appris la possibilité de la modification à la hausse des pensions, elle a contacté Zoumana Diallo connu déjà d’elle dans le cadre de la gestion des affaires à l’INPS. Après en avoir discuté, elle constatera deux mois plus tard une nette augmentation de 200 000 F CFA sur sa pension. Le deal qu’ils entretenaient consistait à remettre à Zoumana Diallo une somme sur chaque retrait mensuel et le reste lui revenait.
Après toute une journée de débat sur cette affaire incriminant 13 accusés, dont un décès, la Cour a reconnu certains coupables des faits d’atteinte aux biens publics et complicité en acquittant d’autres. L’accusé principal Zoumana Diallo a pris 10 ans de réclusion avec 500 000 F CFA d’amende et la restitution de plus de 344 millions de F CFA. L’informaticien a aussi pris 10 ans de réclusion, 500 000 F CFA d’amende et le remboursement de plus de 142 millions de F CFA. Mariam Diarra et Salilou Boncana Touré ont été condamnés respectivement à 5 ans d’emprisonnement avec sursis et au payement de 50 000 F CFA d’amende chacun. Abdrahamane Traoré, Konimba Coulibaly, Issa Traoré, Hamadoun Dicko, Abdourahamane Koné, Aïssata Bagayoko et Issa Sissoko ont été acquittés, mais ils ont déjà remboursé les montants à eux reprochés. Haby Ba, pour son absence à la barre, a été jugé par contumace, condamnée à la réclusion à perpétuité et au payement de 500 000 F CFA d’amende.
Les faits remontent en 2020. Dans le cadre de ses prérogatives, l’inspection générale INPS a procédé à une vérification du système informatique de gestion des pensions pour les exercices allant de 2015 à 2020. Au terme de ladite mission menée à l’effet de vérification de la régularité des pensions dues aux bénéficiaires, les inspecteurs ont relevé des irrégularités ayant entrainé le détournement de fonds.
Ces irrégularités portaient sur la falsification des données du système de traitement informatique, à savoir le rajout de 3 chiffres sur la pension de reversement qui augmentait le taux de traitement à plus de 8 selon les cas. Les paiements indus dénoncés s’élevaient à 758 675 532 F CFA aux veuves et aux orphelins au nombre de 109 identifiés, dont 698 702 647 F CFA détournés par les agents visés dans le rapport comme différentiels au moyen des manœuvres frauduleuses de manipulation sur les comptes des pensions qui constituent des fonds publics de l’INPS. Les différents manquements dénoncés ont fait l’objet d’une enquête préliminaire diligentée par la brigade de recherches rive gauche de la gendarmerie de Bamako. Les investigations menées à l’occasion ont confirmé dans une large proportion les faits dénoncés. Mais curieusement, l’INPS faisait au départ un parti pris dans l’affaire, en ne portant plainte que contre Zoumana Diallo, chef de division accueil et orientation à l’agence INPS de la Commune I du district de Bamako et contre la dame Mariam Diarra, une pensionnée.
Aussi, après exploitation dudit procès-verbal, le parquet financier a décidé de l’ouverture d’une information judiciaire contre les deux agents visés par la plainte initiale de l’INPS pour les faits d’atteinte aux biens publics et de complicité.
Par ailleurs, un rapport d’audit de la mission de la direction de l’audit en collaboration avec la direction de ses structures déconcentrées sur les dossiers de pensions a révélé des rappels injustifiés des montants de certaines pensions. La dame Aïssata Bagayoko, gestionnaire de comptes employeurs, a été identifiée comme autrice desdits rappels injustifiés d’un montant global de 17 827 592 sur son compte.
Marie Dembélé