Ses co-accusés Madoucou Coulibaly et Boucari Adjeda Traoré acquittés
La session spéciale de la Cour d’assises de Bamako s’est penchée sur l’affaire ministère public contre Sory Ibrahim Diarra, Madoucou Coulibaly et Boucari Adjeda Traoré, inculpés de “faux et usage en écriture, corruption dans le secteur privé, soustraction de bien dans le secteur public et recel des produits des infractions de corruption et complicité” au préjudice de la Sodima-SARL à hauteur de 1 243 823 849 F CFA. A l’issue des débats, le principal accusé a été condamné à 10 ans de prison ferme et au remboursement de la somme incriminée ainsi qu’au paiement de 100 millions de F CFA de dommages et intérêts. Ses coaccusés ont été acquittés.
Selon l’acte d’accusation, courant mai 2018, le directeur général adjoint de la Sodima-SARL, Mamadou Aboubacar Niangado, a demandé à la cheffe comptable de l’entreprise, Traoré Madoucou Coulibaly, de procéder au nivèlement du compte bancaire de la société de la BNDA-Mali vers le compte bancaire de la Sodima-SARL ouvert à la BDM-SA. En exécution de ces instructions, la cheffe comptable a transféré le solde du compte BNDA de la société à celui de la BDM-SA. Au cours de cette opération, elle a constaté que le solde premier du compte BNDA avait été presque consommé par des chèques en suspens et elle a signalé cette situation au DGA. Ainsi, à la demande de ce dernier, Traoré Madoucou Coulibaly lui a apporté copie des différents chèques concernés, parmi lesquels, il a décelé le chèque n°8588577 (BNDA) d’un montant de 19 326 200 F CFA, établi à l’ordre de Lassine Goïta pour le compte d’AMZ alors qu’il n’avait pas émis de chèque à cette date, encore moins signé au profit de la personne ou de l’entité susdite.
Après vérification au niveau de la banque, la BNDA a précisé au DGA que le chèque suspect était en cours de traitement dans leur circuit bancaire et avait été émis à l’ordre d’une société dénommée Sonetra-SARL.
Au même moment, les investigations ont permis de découvrir un autre chèque n°6588582 d’un montant de 7 917 200 F CFA, censé avoir été émis par le directeur général (DG) de la société Oumar Aboubacar Niangado au profit de la Sonetra-SARL alors que cette opération ne figurait nulle part dans les écritures comptables de la Société (Sodima-SARL).
Des investigations plus approfondies notamment à travers les relevés du compte bancaire de l’entreprise ouvert à la BNDA ont permis finalement de découvrir plusieurs autres opérations frauduleuses de transfert d’importantes sommes d’argent du compte bancaire susdit de la société vers le compte de la Sonetra-SARL ouvert à la BMS-SA pendant que cette société n’avait jamais eu la moindre relation d’affaire, commerciale ou professionnelle avec la Sodima-SARL.
Ainsi, le montant cumulé desdites opérations frauduleuses de transfert de fonds au préjudice de la société Sodima-SARL a été évalué à 1 243 823 849 F CFA.
C’est ainsi que le directeur général de la société, Oumar Aboubacar Niangado, a décidé de porter plainte et une enquête a été ouverte à la Brigade économique et financière de Bamako. A la suite de cette enquête, Sory Ibrahima Diarra et Traoré Madoucou Coulibaly, respectivement agent comptable et cheffe comptable de l’entreprise Sodima-SARL ont été interpellés.
Poursuivis et inculpés devant le magistrat instructeur pour les chefs d’infractions de faux et usage de faux en écriture, corruption dans le secteur privé et soustraction de biens dans le secteur privé.
Sur la mise en accusation
De l’enquête préliminaire jusqu’à l’information l’inculpé Sory Ibrahima Diarra a entièrement reconnu les faits qui lui sont reprochés tandis que Traoré Madoucou Coulibaly, également inculpée, les a catégoriquement réfutés.
Au titre de la falsification des documents comptables et des instruments de paiements au préjudice de la Sodima-SARL, le principal accusé Sory Ibrahima Diarra, agent comptable et assistant du chef comptable depuis avril 2015 au sein de l’entreprise Sodima-SARL et à ce titre, il avait en charge de préparer les paiements des fournisseurs locaux en renseignant les imprimés des ordres des transferts ; d’établir les états de rapprochement bancaires par le pointage des écritures entre la banque et la comptabilité de la société ; de préparer les paiements des fournisseurs internationaux ; de faire viser tous ces états par le chef comptable.
Il ressort de l’arrêt de renvoi qu’à la faveur de ces attributions, l’agent comptable Sory Ibrahima Diarra subtilisait plusieurs chèques de différents chéquiers du compte bancaire de l’entreprise Sodima-SARL à la BNDA qui lui étaient remis par le DGA à charge pour lui de préparer les paiements des fournisseurs locaux. Ensuite, il reproduisait lesdits chèques avant d’émettre les originaux sur lesquels il a imité la signature du directeur général de la société Oumar Aboubacar Niangado, à l’ordre d’une tierce entreprise Sonetra-SARL dont il était lui-même promoteur, puis les copies des mêmes chèques reproduits étaient remplies par ses soins au nom d’un ou de plusieurs fournisseurs traditionnels de la Sodima-SARL pour rendre la société débitrice desdits fournisseurs afin de justifier ses retraits frauduleux de fonds au préjudice de l’entreprise Sodima-SARL sur le compte BNDA de celle-ci, au profit de la Sonetra-SARL alors que ces deux sociétés n’avaient jamais eu la moindre relation transactionnelle ou commerciale.
Scanner la signature du DGA
Pour parvenir à ses fins, l’agent comptable, Sory Ibrahima Diarra a scanné la signature du DGA Mamadou Aboubacar Niangado sur les chèques réservés à la comptabilité avec des supports utilisés comme pièces justificatives des supposés fournisseurs locaux de la Sodima-SARL, lesquels supports étaient tantôt des doublons des pièces anciennement produites par lesdits fournisseurs locaux lors de leurs opérations réelles précédemment exécutées, tantôt fabriqués au nom desdits fournisseurs réels pour accompagner le paiement du double des mêmes chèques sur lesquels portaient la signature imitée du directeur général Oumar Aboubacar Niangado et émis cette fois-ci à l’ordre de la Sonetra-SARL.
A titre illustratif, il ressort du réquisitoire écrit du procureur général près la Cour d’appel un tableau récapitulatif des chèques établis par l’inculpé Sory Ibrahima Diarra en sa qualité d’agent comptable et assistant de la cheffe comptable et du DGA avait établi.
En plus de ces supports doublement employés ou fabriqués pour justifier les retraits frauduleux sur le compte bancaire de la Sodima-SARL à la BNDA au profit de la Sonetra-SARL appartenant à l’inculpé Sory Ibrahima Diarra, il ressort constamment de l’analyse du dossier que sur les exercices 2015, 2016, 2017 et 2018, 100 chèques falsifiés ou contrefaits étaient établis par ce dernier en double exemplaire dont les premiers, à l’ordre de certains fournisseurs habituels de la Sodima-SARL, portaient la signature frauduleusement scannée du directeur général adjoint de l’entreprise, et les seconds, la signature frauduleusement imitée du directeur général.
Il résulte des pièces du dossier que les 100 chèques doublement contrefaits ou les documents de supports falsifiés ou doublement employés, qui étaient irrégulièrement introduits par l’agent comptable Sory Ibrahima Diarra dans les écritures comptables de la Sodima-SARL, n’avaient eu d’autre objet que de vouloir établir la preuve des opérations bancaires fictivement réalisées au préjudice de l’entreprise.
100 chèques incriminés
En outre, parmi les 100 chèques incriminés, il résulte que d’une part, 27 avaient fait l’objet de paiement aux fournisseurs avec la mention du numéro de paiement (BNDA n°…) et d’autre part, 30 autres portaient le signe de trait en double.
A la barre, l’inculpé Sory Ibrahima Diarra a reconnu avoir procédé à plusieurs transferts frauduleux d’argents du compte BNDA de l’entreprise susdite au profit de la Sonetra-SARL dont il était promoteur, pendant que cette entreprise n’avait jamais eu de relation d’affaire avec la Sodima-SARL.
Selon lui, contrairement au montant ci-dessus annoncé et à lui reproché, il a estimé à 1 018 584 222 F CFA la somme totale détournée courant les exercices 2015, 2016, 2017 et 2018 au préjudice de la Sodima-SARL. Aussi, il a déclaré avoir investi les fonds détournés dans des œuvres caritatives à travers la Fondation dénommée “Cri du peuple innocent” qu’il avait lui-même créé courant l’année 2017.
Quant à la cheffe comptable, Traoré Madoucou Coulibaly, également inculpée, elle a nié les faits qui lui sont reprochés. Elle a soutenu qu’elle n’était pas associée aux malversations de son assistant comptable Sory Ibrahima Diarra et mieux, qu’elle n’avait eu la moindre alerte des actes frauduleux dudit assistant jusqu’au déclenchement de la présente affaire en mai 2018. Cependant, il a été révélé qu’en sa qualité de cheffe comptable, l’inculpée Madoucou Coulibaly recevait le relevé bancaire journalier de toutes les opérations financières de l’entreprise provenant des différentes banques où sont logés des comptes de la société par le système “Internet Banking”.
D’ailleurs, elle a confirmé à toute hauteur de la procédure que par ce moyen, elle recevait tous les jours, notification de toutes les opérations de retrait sur chaque compte de la société ouvert dans différentes banques avant que la compensation ne soit effective par le débit du compte concerné.
Madoucou Coulibaly, tenue régulièrement d’informer desdites opérations suspectes
Par conséquent, le compte bancaire de Sodima-SARL n°001001201079-60 ouvert à la BNDA Mali sur lequel toutes les opérations frauduleuses de retrait de fonds dans la présente procédure ont eu lieu, la cheffe comptable Madoucou Coulibaly était tenue régulièrement informée desdites opérations suspectes et elle les validait ou les maintenait comme telles dans la comptabilité de l’entreprise pendant que les pièces justificatives devant soutenir, voire autoriser lesdites dépenses étaient, soit non-conformes, soit fictives ou inexistantes.
Ainsi, l’argumentaire soutenu par l’inculpée Madoucou Coulibaly selon lequel le volume du travail était si élevé pour elle qu’elle ne pouvait pas contrôler en temps réel les opérations de dépenses effectuées à son absence par son assistant comptable Sory Ibrahima Diarra et qu’elle se contentait de recevoir de lui les copies des chèques pour les introduire dans sa trésorerie journalière sans pour autant vérifier les pièces justificatives autorisant les dépenses engagées ne résiste pas à l’analyse.
A l’issue d’un supplément d’information ordonné par l’arrêt n°34/du 25 janvier 2022 de la Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Bamako, Boucari Adjeda Traoré a été inculpé pour complicité de faux et usage de faux reproché à l’inculpé Sory Ibrahim Diarra et Madoucou Coulibaly. Cependant, l’inculpé Boukari Adjeda Traoré a réfuté les faits qui lui sont reprochés. Avant d’expliquer qu’il est le chef de la section des opérations de compensation à la BNDA et à ce titre, il affirme avoir eu à traiter des chèques de la Sodima-SARL en provenance de la BMS-SA par voie de compensation qui consistait à ce que la banque bénéficiaire (BMS) envoie les images et les données du ou des chèques à compenser à la Bcéao qui, à son tour, les renvoie à la banque chargée du paiement en l’occurrence la BNDA.
A cet instant, il procède aux vérifications nécessaires sur la conformité de la signature, l’endossement, l’existence de la provision sans oublier toutes les autres mentions afférentes au chèque destiné au paiement conformément au règlement N°15/2002/CM/Uémoa relatif aux systèmes de paiement dans les Etats membres de l’Uémoa.
Double paiement de
plusieurs chèques
Cependant, il résulte des pièces du dossier de la procédure que ni la structure bancaire de la BNDA, encore moins le chef de la section des opérations de compensation ci-dessus inculpé, n’ont pu donner la moindre explication sur l’utilisation et le paiement par leur établissement de nombreux chèques portant les mêmes numéros de série et le même montant au profit de la Sonetra-SARL, il en est de même du double paiement de plusieurs autres chèques tels que exposés et détaillés ci-dessus.
A l’issue d’intenses débats, le principal accusé Sory Ibrahim Diarra a été condamné à 10 ans de prison ferme et remboursement du montant incriminé ainsi qu’au paiement de 100 millions F CFA au titre de dommages et intérêts. Quant à ses deux coaccusés, ils ont été acquittés.
Boubacar Païtao