Le procès dit de l’achat de l’avion présidentiel et les contrats de surfacturation des équipements militaires tend vers sa fin. Après les auditions quelque peu tendues des quatre accusés et les témoignages de la quinzaine de témoins, nous voici basculés depuis mercredi dans la phase des réquisitoires du parquet général et des plaidoiries de la défense.
L’audience du lundi 7 octobre 2024 a débuté sur fond de joute entre le parquet général et la Cour. Koké Coulibaly, le représentant du ministère public a manifesté son mécontentement à l’égard de la Cour du fait que celle-ci a rejeté sa demande de suspension de la séance pour lui permettre d’obtenir des factures manquantes afin de prouver un éventuel cas de faux et usage de faux concernant les factures pro-forma et définitives après le témoignage d’Abou Berthé, ex-contrôleur financier à la direction des finances et du matériel du ministère de la Défense et des Anciens combattants.
La Cour a affirmé avoir pris acte des griefs du parquetier tout en lui notifiant que le parquet général a eu tout le temps pour étudier ce dossier avant l’ouverture de ce procès. Malgré cet incident fâcheux, la Cour a néanmoins poursuivi l’audience du jour comme prévu avec l’audition des témoins restants.
Ousmane Bouaré, l’assistant d’Amadou Kouma, représentant la société Guo Star et membre de la commission de réception des équipements militaires a été appelé à témoigner. Durant une quarantaine de minutes, il a donné sa version des faits pour éclairer la lanterne de la Cour. Il a commencé par expliquer son rôle dans le retrait du chèque d’un montant de 900 millions de F CFA à la Banque Atlantique, effectué au nom d’Amadou Kouma pour alimenter la caisse.
Comme tous les témoins qui se sont succédé, Ousmane Bouaré a témoigné que tous les équipements ont été livrés à 100 % et qu’il détient des preuves qui attestent cela. Questionné par la défense sur d’éventuels liens familiaux avec Mme Bouaré Fily Sissoko, il a démenti toute parenté avec l’ancienne patronne de l’Hôtel des finances.
“Je ne l’avais jamais connue, et c’est ici qu’elle me voit pour la première fois”, a-t-il répondu.
Le commissaire colonel-major Amadou Makan Sidibé, l’ex-directeur des finances et du matériel du ministère de la Défense et des Anciens combattants entre 2013 et 2014, a pris la parole pour son témoignage.
Il a indiqué n’avoir pas joué un grand rôle dans cette affaire : “J’ai reçu le protocole Guo Star signé par feu Soumeylou Boubèye Maïga d’un montant global de 69 milliards F CFA. En cette période, le crédit disponible du ministère de la Défense n’était que de 33 milliards. Par la suite, j’ai été informé par le ministre de l’arrivée des premiers lots de commande des matériels. J’ai mis en place le premier comité de réception des équipements entre temps j’ai été démis de mes fonctions en tant que DFM”, a-t-il déclaré.
Pugnacité
A sa suite, le colonel-major Mamadou N. Traoré, sous-directeur du matériel à la direction du matériel, des hydrocarbures et du transport des armées a été entendu par la Cour. Lui aussi a confirmé que tous les équipements ont été réceptionnés, y compris les 281 véhicules, et que les formations nécessaires ont été effectuées.
Le duo ministère public-contentieux de l’Etat a émis un sérieux doute sur la conformité des véhicules en accentuant ses questions sur la puissance des moteurs.
En réponse, le sous-directeur du matériel à la direction du matériel, des hydrocarbures et du transport des armées a assuré le parquetier que tous les véhicules sont conformes au protocole Guo Star et que tous les véhicules sont fonctionnels depuis leur livraison en 2014 jusqu’à nos jours.
La Cour a également attendu le lieutenant-colonel Sidi Coulibaly, chef de la section stockage et entretien des véhicules. Il a aussi apporté un témoignage semblable à tout ce qui a été dit précédemment, confirmant la réception et l’inspection des 281 véhicules.
De nouveau le représentant du ministère public a insisté sur la question de la conformité des véhicules, c’est-à-dire les caractéristiques, notamment la puissance des moteurs. En réponse, Sidi Coulibaly a estimé qu’il serait dangereux de divulguer des détails techniques, susceptibles d’exposer les équipements aux ennemis.
Le général Moustapha Drabo directeur de la DMHT, appelé à la barre, a assuré que les comptes rendus reçus confirmaient la conformité des caractéristiques des équipements. Malgré les réponses données, le substitut du procureur général a maintenu ses suspicions, affirmant que les spécifications pourraient ne pas correspondre à celles indiquées sur les bons de commande.
Face aux insistances répétées du parquetier, le président de la Cour est intervenu, expliquant qu’il serait inapproprié de dévoiler la puissance des véhicules en public. Cette intervention du président a attisé la tension électrique depuis l’ouverture de ce procès entre la Cour et le parquet général.
Koké Coulibaly, le parquetier a annoncé son retrait des débats, accusant la Cour de partialité et se plaignant d’être empêché de mener ses questions à terme. Banassa Sissoko, le président de la Cour répliqua à son tour que la Cour a toujours été équidistante de toutes les parties prenantes à ce procès.
Plus les jours et semaines passent, plus le procès Bouaré Fily Sissoko et autres avance dans un climat très tendu. Ces deux derniers jours ont été très éprouvants. La Cour d’assises spéciale pour les crimes économiques et financiers s’est transformée en un véritable champ de bataille.
D’une part les suspicions du parquet général qui voulait à tout prix prouver la culpabilité parfois avec des écarts de langage à l’endroit des conseils de la défense et d’autre part le camp d’en face (avocats de la défense) qui défend le contraire pour essayer de disculper ses clients quelquefois accuse le parquet de mauvaise foi.
Après les phases d’auditions et des témoignages, nous voici basculés depuis mercredi 12 octobre 2024 dans la phase cruciale de ce procès à savoir les réquisitoires du contentieux de l’Etat et celui du ministère public ainsi que les plaidoiries de la défense.
Au terme cette exercice procédurale, la Cour essayera d’établir la culpabilité ou non des quatre accusés à travers une série de questions résultant à la fois de l’arrêt de renvoi et des débats au prétoire.
Ousmane Mahamane
Encadré
Pas des preuves matérielles consistantes
En aparté dans les couloirs de la Cour d’appel aux heures de pause, certains avocats n’hésitent pas à nous dire clairement qu’au terme de trois semaines de débats intenses, la Cour n’a pas des preuves matérielles consistantes pour condamner leurs clients. Le moins qu’on puisse dire, c’est une semaine décisive qui vient de commencer.
O. M.