Injoignabilité au téléphone : La pomme de discorde dans les foyers

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Quand le mari n’arrive pas a joindre son épouse et vice versa, cela crée des frustrations, des tensions, des soupçons d’infidélité. Le téléphone est devenu source de disputes au sein de nombreux couples. Nous avons enquêté sur ce phénomène qui semble briser des foyers

«Un jour j’ai appelé ma femme. Elle était sur répondeur et j’ai décidé de retourner à la maison pour prendre mon portefeuille oublié. À ma grande surprise, madame était assise à la porte, au-devant d’une voiture et en compagnie d’un autre homme. Dans un premier temps, j’ai décidé de m’en séparer, mais mon amour pour elle a été plus fort et je l’ai gardée après l’avoir bien corrigée. Depuis, j’essaie d’oublier cette histoire», raconte Yaya Alpa Barry. Qui renseigne sur le fait que le couple a aujourd’hui deux beaux enfants. Et madame est interdite d’être sur répondeur, ce qui cache mal les séquelles de sa jalousie.

Des anecdotes comme celle de Barry alimentent plus d’un «Grin». Et chacune est rapportée de façon plus ou moins différente. Mais ce qu’elles ont de commun, c’est l’injoignabilité des femmes sur le téléphone portable. Un objet aujourd’hui qu’elles considèrent comme un droit inaliénable que les conjoints se doivent de respecter. Indispensable pour maintenir le contact, maintenir les relations sociales et professionnelles le téléphone portable a entièrement intégré notre vie.

Pourtant, les femmes n’est pas l’une des premières exigences dès les premiers contacts avec le présent et/ou le futur conjoint subsiste pour la plupart du temps injoignables. Situation banale qui cache des réalités complexes, allant cependant des simples malentendus aux conflits profonds. En effet, le fait pour un homme de ne pas pouvoir joindre son épouse ou sa petite amie au téléphone peut engendrer des malentendus. Les hommes le prennent en général pour un manque d’intérêt ou même de respect. Mamadou, un chef de famille de Bamako, le confirme. «Quand ma femme ne répond pas à mes appels, je me sens ignoré, comme si mes préoccupations n’ont pas d’importance», dit-il.

La frustration de Mamadou est partagée par beaucoup d’hommes. Elle est à la base d’un cycle de méfiance et d’accusations qui fragilisent les relations conjugales. Mais de l’avis de beaucoup de femmes, les hommes leur présage de faux jugement dans la plupart des cas. Awa porte bien ses cinquante ans, enseignante d’un premier cycle explique son injoignabilité par les responsabilités domestiques et professionnelles qui rendent parfois difficile le fait de répondre immédiatement aux appels. « Je ne peux pas toujours décrocher au premier coup. Surtout en classe ou quand je m’occupe des enfants», explique-t-elle. Et de poursuivre en « refusant de décrocher pendant mes heures de cours, j’ai imposé un temps d’appel à mon mari. »

FAIRE SEMBLANT DE NE PAS VOIR L’APPEL- Si l’époux de notre maîtresse du premier cycle comprend et accepte la situation de sa femme, le cas ne semble pas être le même chez certains hommes. Ils se perdent en conjectures comme Ousmane Konaté qui ne peut pas s’empêcher, toutes les fois que son épouse est injoignable, de penser que sa femme a, peut-être, quelque chose à cacher. Il va jusqu’à généraliser en disant que les femmes qui ne répondent pas au premier appel le font pour exprimer une volonté délibérée de se soustraire à des responsabilités conjugales. «Lorsqu’une femme ne veut pas obéir, elle fait semblant de ne pas entendre ou voir l’appel. Même quand le téléphone est dans sa main», croit-il savoir.

Autant les hommes s’expliquent l’injoignabilité des épouses par diverses situations dont certaines sont de simples préjugés, autant les femmes ont des raisons pour leur inaccessibilité. Mariam Bah est mariée et entretient ses deux enfants. Son mari vit en France. Elle explique des moments d’incompréhension avec son lointain mari qui ne cesse de s’enquérir de ses nouvelles. «Au début de notre mariage, il y a eu de temps en temps une certaine tension entre nous quand je ne décroche pas le téléphone.

Avec le recul, il a compris que pendant mes périodes de grossesse, je dors beaucoup. Maintenant, on a dépassé ce cap et c’est quelqu’un qui n’a pas de programme d’appel, il appelle plusieurs fois par jour pour me parler et parler aux enfants», s’enthousiasme notre interlocutrice. Et ne tarit pas d’éloges pour son homme. «Il ajoute le prix du forfait à la popote et en retour je fais tout pour être disponible», raconte-t-elle.

PAS TRES TÉLÉPHONE- À la différence de MB, Mme Sidibé, contractuelle dans une brasserie de Bamako, avoue que son mari n’est pas très téléphone et dit avoir, des fois, peur en voyant son appel, lui qui ne la joint directement que lorsqu’il y a une urgence ; préférant les SMS.Le téléphone est révulsant pour Mme Sissoko et pour cause, son mari est très jaloux et passe son temps à l’appeler. «J’étais responsable des ressources humaines dans une ONG internationale.

Avec tout le travail quotidien, mon mari veut que je sois toujours disponible au téléphone et si par malheur je ne réponds pas, c’est la guerre à la maison», fulmine-t-elle. Monsieur s’imagine tout. Autre explication donnée par une autre femme pour son absence fréquente au bout du fil, l’oubli. C’est l’explication avancée par Assan Keita. «J’oublie chaque fois où j’ai mis le téléphone que j’ai pris l’habitude de mettre en sourdine pour ne pas perturber le sommeil des enfants», avoue-telle. Malgré cette explication fort logique, la dame regrette : «C’est toujours une source de tension entre nous (son mari et elle, ndlr) et pour me faire mal, il appelle ma mère pour dire que je refuse de lui répondre.»

Les arguments avancés par Mme Sissoko et Assan Keita tranchent avec ceux d’Oumar, chef garagiste à Baco Djicoroni. Pour lui, sa femme est simplement accro aux réseaux sociaux et est capable de rejeter un appel pour continuer à suivre un « reel » ou une vidéo courte. Il explique : «Elle a tout le temps le téléphone avec elle et ignore ses travaux et l’entretien des enfants. Elle refuse même de prendre mes appels car pour elle c’est pour lui donner, des directives et lui ajouter de nouvelles tâches. Au début, je ne comprends pas et le soir je suis obligé de faire un peu de ménage, de laver mes habitudes trempées depuis le matin, car elle prétextait être malade.» En réalité, madame est tout simple accro et a été prononcée par une voisine, dévoile Oumar.

Le téléphone est-il devenu un problème dans les foyers ? Bien que certains de nos interlocuteurs l’aient reconnu, le Dr Diarra pense qu’il ne doit pas l’être car pour lui, cet outil doit plutôt se rapprocher. Prenant l’exemple sur sa propre personne, il avance « une femme peut bien être injoignable. Ma femme vend des sacs en live sur les réseaux ce qui fait qu’elle est tout le temps avec son téléphone. Ce n’est pas pour autant que j’exige qu’elle réponde à mes appels, si elle ne décroche pas, je n’insiste pas, je lui laisse un message et elle fini par rappeler», explique-t-il. Moussa Camara, un jeune marié est dans cette même logique. Pour lui, la femme peut être injoignable tout comme l’homme. Il révèle que tout dépend de la confiance dans son partenaire. Pour lui, il n’y a un problème que s’il ya eu un antécédent en soupçon.

Le portable, un problème ? Pas nécessairement dans certains cas. Dans d’autres oui. Ce sont les cas où il devient un outil de surveillance. «Il arrive que des hommes insistent pour que leur femme soit disponible à tout moment, ce qui peut être perçue comme une forme de contrôle», fait remarquer la sociologue Mariam Traoré. Cette situation est exacerbée par un manque de communication. Au lieu de chercher les raisons de cette injoignabilité, beaucoup tombent dans des suppositions et susceptibilités qui finissent en conflits inutiles. « Le manque de communication sur ce sujet peut avoir des conséquences graves. Des querelles, parfois amplifiées par des amis ou des membres de la famille, peuvent dégénérer en ruptures. J’ai vu des couples se séparer simplement parce qu’un partenaire pensait que l’autre ignorait volontairement ses appels», explique-t-elle.

Au-delà des couples, ajoute la sociologue, cette problématique reflète une tension plus large dans la société malienne, où les rôles «genrés» et les attentes conjugales évoluent. Aujourd’hui, les femmes occupent de plus en plus de responsabilités professionnelles et sociales. Les hommes doivent adapter leurs perceptions et leurs attentes. Mariam Traoré soutient qu’il est temps que nous adoptions une vision plus équilibrée des relations. Le respect mutuel et la compréhension doivent amorcer, insister-t-elle.

Anta CISSÉ

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