Dans une contribution intitulée «SORTIR DE NOTRE CRISE», Fabou Kanté, Ambassadeur de la Paix, réagit à certains sujets d’actualité tels que les recommandations du Dialogue Inter-Maliens (DiM), la réduction du train de vie de l’État sur fond de celui des membres du Conseil National de Transition (Cnt), le dernier mémorandum du M5-Rfp, et le panel des démocrates. Cet agitateur d’idées conclut par une série de propositions.
Selon lui, les quatre mots qui reflètent la psychologie collective actuelle des Maliens et l’Etat du Mali sont : Déception, Inquiétudes, Anxiétés, Impasse.
L’Ambassadeur de la paix rappelle que le Dialogue Inter-Maliens est une initiative du Mouvement Tabalé. Il regrette que «la vision stratégique, le contenu et les objectifs donnés à ces sessions nationales par cette plateforme de veille citoyenne panafricaine, afin qu’elles soient une délivrance pour le peuple malien, ont été dévalorisés et torpillés, ont été vidés de tout leur sens par le régime actuel». Selon lui, il s’est avéré que le vaillant peuple du Mali a une fois de plus été trompé par ses dirigeants».
Le DiM, a-t-il souligné, est l’un des plus grands saupoudrages de notre histoire récente. «Ce dialogue inter-Maliens n’a été ni pensé, conçu et ni organisé pour apporter la paix au Mali, mais plutôt pour créer les conditions socio-politiques propices à l’ancrage du pouvoir en place, et pour arroser les princes du jour d’avantages et de privilèges».
Il a évoqué la prise de Kidal à la satisfaction des Maliens au nom du redéploiement de l’Etat sur toute l’étendue du territoire, et du rétablissement de l’intégrité territoriale. «La reconquête de Kidal a été accueillie et interprétée comme un évènement ayant lavé l’honneur de l’Etat, qui traînait toujours l’humiliation subie par l’armée malienne en mars 2012 et mai 2014, par les mouvements armés rebelles. Elle a surtout servi de sédatif que l’Etat a régulièrement injecté dans le corps social malien, toutes les fois qu’il s’est trouvé en situation d’incapacité d’apporter des réponses concrètes aux difficultés existentielles du peuple malien. Tout compte fait, elle n’a non seulement pas amélioré la situation sécuritaire au Nord du Mali et au Mali, et elle semble avoir mis l’Etat dans une situation de vainqueur inquiet, dans la mesure où les mouvements rebelles sont connus par leur habitude de résilience et de silence prolongés, pour ressurgir le plus souvent aux moment et lieu où on les attend le moins, surtout qu’en l’espèce, ils se sont convaincus que l’option militaire a été un choix délibéré de la Transition pour résoudre la crise du nord, et qu’il n’y a qu’une option similaire qui déterminera leur posture vis-à-vis de la même Transition. Tout cela se passe dans un environnement de redéfinition des rapports de forces internationaux dans le Sahel, qui risque de faire de notre pays un centre de confrontations des grandes puissances militaires mondiales». La reprise de Kidal, loin d’être l’amorce de la fin de l’insécurité au Nord du Mali, note Fabou Kanté, marque incontestablement la réouverture d’un nouveau cycle de conflits et de violences dans notre pays.
A en croire Fabou Kanté, «les recommandations de ce dialogue ne ramèneront hélas ni la paix au Mali, et ne rassembleront point les Maliens. Deux (02) mots les qualifient : “Dommage”, Regrettable”. « Ceux qui nous dirigent aujourd’hui sont-ils véritablement des hommes de paix ? Nos gouvernants ont-ils pleinement conscience de ce que c’est qu’un Etat ?», s’interroge-t-il.
Pour lui, ce qui se passe au sein du Conseil national de transition (Cnt) dépasse l’entendement. «En plus d’exprimer du mépris pour le peuple malien, ses dirigeants nous enseignent à travers leurs propos et agissements ce qui signifie pour eux le changement, c’est-à-dire : “Bougez de là afin que nous occupions vos places.” »
Mémorandum du M5-RFP
Ce document incendiaire, qui n’a d’autre objectif que de provoquer au sein des masses populaires une montée d’adrénaline spontanée contre les 05 Colonels avec le Chef de l’Etat en ligne de mire, est l’aboutissement d’un long processus politique, analyse Fabou Kanté. «Ce mémorandum n’est qu’un présage de cette lutte politique acharnée, qui va désormais opposer ouvertement les colonels à la branche politique du M5-Rfp incarnée par le Fsd, avec l’Urd comme colonne vertébrale. Les premiers coups semblent commencer à être portés, le signataire dudit mémorandum étant déjà sous mandat de dépôt. L’acte du 18 Août 2020 qui a mis fin au pouvoir d’IBK, était tout sauf un Coup d’Etat. Ce fut simplement un arrangement entre des officiers et les soutiens politiques d’IBK, qui a consisté à sacrifier ce dernier au profit du maintien de son système, en évitant par tous les moyens que le pouvoir ne tombe entre les mains du M5-Rfp».
Il avance que la nomination de Choguel Kokalla Maïga à la primature était une astuce des militaires pour contenir les effets socio-politiques de l’éviction de Ba N’Daw. «C’est pourquoi, interpréter la nomination de Choguel au poste de Premier ministre comme une reconnaissance de la légitimité, de la valeur du M5- Rfp, ou comme une déclaration d’amour de la part des militaires, n’est que le résultat de la naïveté politique et de l’hypersensibilité».
A l’en croire, «la stratégie adoptée par les militaires envers Choguel, qui est devenu un mal nécessaire pour eux, a été d’utiliser son potentiel politique et communicationnel sans fin, comme bouclier contre les adversaires et ennemis endogènes et exogènes, qui seraient nés des décisions et des actes posés par la Transition. Cependant, ils n’ont jamais laissé les mains libres à ce Premier ministre imprévisible et impénétrable, qui doit rester sous contrôle permanent. Depuis la nomination de Choguel, constate Fabou Kanté, les militaires ne lui ont jamais accordé une marge de manœuvre sociopolitique et économique suffisante.
Le chef du gouvernement «a été contourné chaque fois qu’il s’agissait de problèmes majeurs politiques, de sécurité et géostratégiques. C’est ce traitement figuratif appliqué à Choguel par les militaires, qui pourtant continuent chaque jour à pousser des pions vers le contrôle total du pouvoir d’État, combiné à leur processus de démantèlement du M5- Rfp, qui est à l’origine de l’exaspération du Président du Comité Stratégique du M5-Rfp, pour qui, ce sont essentiellement ses luttes qui ont permis aux militaires de prendre le pouvoir sur un plateau d’or».
Et il poursuit son analyse : «Choguel qui s’est dévoué aux militaires, a néanmoins toujours pris la précaution de mettre de son côté les moyens de riposter contre ses employeurs au besoin, comme pour maintenir l’épée de Damoclès sur leurs têtes, et leur envoyer deux (02) messages : «Nous ne serons en harmonie que si et seulement si nous partageons le pouvoir et la gestion du pays», et «sachez que sans moi, le chaos est assuré.» C’est cette dynamique politique interactive négative entre les militaires et Choguel, qui a complètement détourné ce dernier, en tant que chef de gouvernement, des véritables préoccupations socio-économiques des Maliens, au profit de sa quête quotidienne de résolution de l’équation de la conservation du pouvoir, plongeant ainsi la Transition dans une impasse totale…»
Selon lui, les recommandations issues du DiM, différent de celles des Anr créent les conditions pour redessiner l’architecture institutionnelle de la Transition et rangent toutes les cartes de l’exercice du pouvoir du côté des militaires avec une possibilité de mettre le Premier ministre sur la touche. Le mémorandum du M5 est un autre front interne qui vient de s’ajouter aux multiples fronts déjà ouverts par la Transition. «Nous ne pouvons qu’attendre l’issue de toutes ces batailles pour notre pays».
Sur le Panel des démocrates, il estime que «l’erreur à éviter dans l’analyse de ce phénomène, serait de tomber hâtivement dans des jugements de valeur, des intentions, des préjugés, des avertissements, des intimidations et des menaces de nos concitoyens auteurs de la mise en place de ce gouvernement en exil». Pour lui, «la mise en place d’un tel gouvernement par des personnes qui se considèrent comme des démocrates, est une nouvelle forme de lutte contre la Transition qu’elle ne cautionne pas, tout en lui opposant une alternative politique. La constitution de ce gouvernement en exil peut être perçue comme une action de désespoir, un acte de bravoure, une diversion, une défiance, une provocation bref, les opinions varient en fonction des intérêts de chaque personne».
Propositions pour résoudre la crise
Pour sortir de l’impasse, Fabou Kanté propose entre autres de mettre en place une équipe gouvernementale de mission dirigée par un Premier ministre apolitique, organiser à court terme le Forum Citoyen pour la Paix et la Réconciliation au Mali (FocipareM) ; rassembler les Maliens autour d’un programme concret pour un retour à l’ordre constitutionnel ; mobiliser le peuple malien avec organisation et méthode, pour inspirer une candidature civile. Il appelle les autorités de la Transition à faire preuve de discernement, de courage et de vision en créant des passerelles d’échanges avec ce panel des démocrates.
«Il faut exhorter le peuple du Mali, à l’intérieur comme à l’extérieur, à être patient, solidaire, à se munir d’esprit de sacrifice pour surmonter ensemble les défis qui se posent à notre pays. Le chemin vers la paix et la prospérité est semé d’embûches. Mais avec de la volonté, de la détermination, de la persévérance et de la bonne foi, nous pourrons surmonter tous les obstacles et bâtir le Mali de nos rêves», conclut l’Ambassadeur de la Paix.
Une synthèse de Chiaka Doumbia