Le samedi 13 avril 2024 marquait l’ouverture du Dialogue inter-malien annoncé par le président de la Transition dans son discours à la nation à l’occasion du nouvel an 2024 qui, selon lui, devrait éliminer les racines des conflits communautaires et intercommunautaires.
En janvier 2024, les autorités maliennes de Transition ont annoncé la fin de l’Accord pour la paix et de réconciliation, issu du processus d’Alger et lançaient un Dialogue national dans le but de progresser vers la paix sans médiation internationale. Cette décision reflète la volonté des autorités maliennes de prendre en main le processus de paix et de réconciliation, mais suscite des interrogations quant à son efficacité et son inclusivité.
Les dialogues précédents, ayant abouti à des accords de paix, ont souvent été critiqués pour leur manque d’inclusivité, se limitant à des négociations entre le gouvernement et les mouvements rebelles, avec une médiation extérieure.
Les dialogues de Tamanrasset en 1990 et d’Alger en 2006, sous médiation algérienne, n’ont été pas très concluants. Le dernier accord en date, signé en 2015, impliquait une gamme plus large d’acteurs internationaux, y compris des Etats de la région, des organisations internationales et les Nations unies réunis au sein Comité de mise en œuvre de l’accord (CSA) avec l’Algérie comme chef de file.
L’efficacité d’un dialogue ou d’un accord ne dépend pas uniquement de la présence d’une médiation, mais surtout de la volonté des parties prenantes à travailler ensemble pour la paix. Cette tentative de dialogue aurait pu favoriser une appropriation locale et inclusive des processus de dialogue entre tous les Maliens sans médiation extérieure.
Cependant, elle ne prend pas suffisamment en compte les principaux acteurs de la violence dans le pays tels que les groupes terroristes affiliés à Al-Qaïda, comme Hamadou Kouffa et Iyad Ag Ghali. Cette posture des autorités de la Transition s’explique par une prédominance des actions militaires dans la stratégie de sécurisation du pays.
Les conclusions du Dialogue national inclusif, initié en 2019 par l’ancien président Ibrahim Boubacar Kéita, ont mentionné la nécessité d’engager des dialogues avec les deux principaux protagonistes du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM/Jnim) Iyad et Kouffa. De plus, l’ancien président de la Transition, Dioncounda Traoré, récemment démis de ses fonctions par le colonel Assimi Goïta, avait été nommé en juin 2019 comme Haut représentant du chef de l’Etat pour le Centre du Mali chargé de conduire ce dialogue. A l’époque, la France avait tenu une position hostile à tout dialogue avec les groupes armés terroristes.
Une des principales difficultés réside dans l’absence de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) et dans la reprise de Kidal par l’armée malienne. Depuis la récente suspension des activités des partis politiques et des associations, plusieurs partis ont refusé de participer au dialogue. Ce manque de confiance peut rendre difficile la conclusion d’accords durables et la mise en œuvre efficace des mesures convenues, soulignant ainsi les défis pour parvenir à une paix durable et inclusive.
Malgré les efforts déployés pour résoudre les conflits internes au Mali, le processus de paix reste fragile et confronté à de nombreux défis. Il est impératif de reconnaître les lacunes passées et d’adopter une approche plus inclusive, avec un engagement renouvelé envers un dialogue authentique et une mise en œuvre effective des accords pour garantir une paix durable pour tous les Maliens.
Eviter les erreurs des dialogues et des accords précédents
Les gouvernements successifs du Mali ont entrepris diverses initiatives pour résoudre les cycles de conflits internes auxquels le Mali fait face depuis des décennies. Parmi ces efforts, la signature de plusieurs accords de paix, dont le dernier en date est l’Accord de paix et de réconciliation issu du processus d’Alger, signé à Bamako le 20 juin 2015. Ces négociations, menées à Alger, visaient à restaurer la souveraineté territoriale du Mali et à mettre fin à la guerre qui déchirait le pays.
Cependant, la mise en œuvre de cet accord a été entravée par plusieurs obstacles, notamment les oppositions de certains partis politiques et organisations de la société civile quant à son application et les différentes tensions entre le gouvernement et certains mouvements signataires de l’accord.
Par la suite il y a eu plusieurs dialogues : la Conférence d’entente nationale en 2017, le Dialogue national inclusif en 2019 et les Assises nationales de la refondation en 2021 sans véritable impact sur le processus de paix.
Toutefois, malgré ces efforts officiels, le Mali reste confronté à une réalité complexe sur le terrain. Les groupes armés, qui constituent la plus grande menace, continuent de sévir dans certaines régions, menaçant la sécurité des civils et entravant les efforts de reconstruction. Dans un contexte où les tensions ethniques, les insurrections armées et les conflits intercommunautaires sont courants, les politiques officielles visant à promouvoir la paix et la stabilité semblent parfois déconnectées des dynamiques réelles de conflictualité car ne prenant pas suffisamment en compte les principaux acteurs.
Les recommandations de toutes ces initiatives n’ont jamais pu être appliquées. Le manque de confiance entre les parties prenantes a été un obstacle majeur à la réussite des précédents dialogues. Les années de conflit, de méfiance, de violence et de tensions politiques ont laissé des fissures profondes qui sont difficiles à surmonter, même avec des initiatives de dialogue bien intentionnées.
La récente suspension des activités des partis politiques et des associations à caractère politique par le président de la Transition suscite des inquiétudes quant à la liberté d’expression et à la participation politique dans le pays, des droits garantis par la Constitution. Elle crée davantage de tensions entre la classe politique et les autorités de Transition à la veille des travaux du dialogue qui se veut inclusif.
Cependant, elle risque de compromettre les chances d’un consensus autour de ce nième dialogue, en alimentant la méfiance et les critiques. De plus, l’instabilité sécuritaire dans certaines régions du Mali rend difficile la participation de toutes les parties prenantes au dialogue. Ces développements soulèvent des questions sur la capacité du Dialogue inter-malien à aboutir à une paix durable
Une élection présidentielle conditionnée au Dialogue
Le dialogue en cours revêt une importance capitale pour le devenir de la transition politique et le retour à l’ordre constitutionnel au Mali. Malgré le léger report de la présidentielle annoncé il y a quelques mois pour des raisons techniques, le gouvernement de Transition reste muet quant à l’annonce d’une nouvelle date pour cette échéance censée mettre fin à la transition.
La question de la présidentielle sera inévitablement abordée, bien qu’elle ne figure pas parmi les cinq points retenus dans les termes de référence du dialogue transmis au président de la Transition par Ousmane Issoufi Maïga, ancien Premier ministre et actuel président du Comité de pilotage.
Pourtant, malgré ces défis, il est impératif de reconnaître que le dialogue est crucial pour la restauration de la paix et de la stabilité au Mali. En effet, la résolution des divergences politiques et sociales est une condition sine qua non pour la tenue d’élections libres, justes et apaisées. Les conclusions tirées de ce dialogue seront déterminantes pour la durée de la Transition. Ainsi, il est essentiel que toutes les parties prenantes s’engagent pleinement dans ce processus de dialogue, avec une volonté sincère de surmonter les différences et de trouver des solutions consensuelles aux défis qui se présentent.
Une telle démarche nécessite un climat de confiance mutuelle et un engagement ferme en faveur de l’intérêt supérieur du Mali.
Bah Traoré
Chercheur