“Le plan de relance économique du Mali, les solutions du secteur privé” était le thème débattu au cours de la 12e édition de l’émission “Au cœur de l’économie”, une coproduction de l’ORTM et de l’agence de communication Spirit, tenu au Musée national. Pour discuter de cette problématique, Sidiki Dembélé et Nianian Aliou Traoré, les animateurs de l’émission, avaient comme invités Issa Bengaly de l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM), Mossadeck Bally, président du Conseil national du patronat du Mali (CNPM), Madou Cissé, maître de conférences, et Siriman Sacko, secrétaire général du conseil de la société civile. L’enregistrement du 12e numéro de l’émission a eu lieu le jeudi 21 mars 2024 au Conseil national du patronat du Mali (CNPM).
Selon Mossadeck Bally, l’économie malienne n’attire pas suffisamment les investisseurs et ne crée pas suffisamment d’emplois. Aussi, pour relancer l’économie malienne, le CNPM a-t-il travaillé sur 5 secteurs, à savoir l’énergie, les ressources humaines, les infrastructures, le financement et la fiscalité parce qu’à ses dires, toute entreprise a besoin d’énergie, de ressources humaines bien qualifiées, d’infrastructures pour la commercialisation de ses produits, de financement parce qu’un entrepreneur a besoin de financement car il vient avec ses propres moyens ou s’endette auprès d’une banque pour ouvrir son entreprise dans un environnement incitatif où il n’y aura pas d’injustice fiscale.
Il a déploré le fait que les Maliens investissent plus à l’extérieur qu’à l’intérieur parce que l’environnement de création d’entreprise n’est pas incitatif. Cela est dû au fait qu’au Mali, il manque de l’énergie, il y a une fiscalité conservatoire, les jeunes ne sont formés pour travailler (les formations ne correspondent pas aux marchés de l’emploi), il n’y a pas assez d’infrastructures pour la commercialisation des produits, les banques ne prêtent pas aux entreprises. “Contrairement au Mali, les pays voisins améliorent leur environnement des affaires. Le Mali a tout les potentiels qui ne sont pas développés“, a-t-il regretté.
Comme solution de relance de l’économie malienne, Mossadeck Bally a informé que le CNPM a proposé de développer l’énergie. Sur ce secteur, M. Bally, non moins président du groupe de travail énergie, a fait le constat que l’Energie du Mali (EDM) a une puissance de 700 méga (moins d’un gigawatt) qui est relativement faible. Elle a un réseau de transport vétuste. Ce qui entraîne beaucoup de pertes d’électricité dans le réseau.
Comme grief, il a indiqué que l’EDM a le monopole de production, de distribution de l’électricité au Mali et dont la gestion n’est pas vertueuse avec beaucoup de manquements de rigueur, de professionnalisme et de prospective. “Tout ceci combiné fait que le Mali se trouve dans une crise énergétique“, a-t-il analysé. Et comme solution au problème énergétique, il a proposé, entre autres, à court terme de sortir la dette colossale de l’EDM qui est de l’ordre de 600 milliards F CFA et que l’Etat en fasse son affaire. “Il faut donner les moyens à l’Energie du Mali pour acheter du carburant et faire tourner les centrales électriques pour donner de l’électricité aux populations et aux entrepreneurs maliens. Très rapidement, il faut mettre en place un dispositif qui permettrait d’ici les 5 prochaines années d’être autosuffisant en énergie. Pour cela, l’EDM doit être la faîtière qui va posséder et gérer le réseau de transport et de distribution mais que la production d’électricité soit privatisée. L’EDM doit être le producteur d’électricité. Mais elle doit laisser la place aux privés pour la distribution. Nous préconisons aussi qu’il y ait un guichet unique de projets PPP énergétiques logés à la présidence de la République pour accélérer l’exécution du projet. Ensuite, nous avons estimé qu’il fallait revoir le système de subvention pour qu’elle ne soit pas généralisée. Aujourd’hui, l’Etat donne des subventions à EDM. Cela veut dire que le riche, le moins riche, le pauvre, sont tous subventionnés lorsqu’ils consomment de l’énergie alors que cela ne doit concerner que les couches qui en ont besoin. Nous préconisons de financer de mini réseaux pour que les grandes villes aient leurs réseaux. Il n’est pas bon d’avoir un réseau unique sur un territoire aussi vaste du Mali. Et finalement, il faut aller vers les énergies renouvelables”, a-t-il proposé.
Issa Bengaly de l’UNTM s’est inquiété de la solution de privatisation de l’EDM proposée par M. Bally. Il a rappelé la privation de Huicoma qui a été un fiasco. Il a suggéré une privatisation partielle d’EDM en intéressant les privés. Car, à ses dires, l’Etat n’a pas pour le moment la solution de la crise énergétique. A son entendement, la privation de l’EDM aura des impacts sur le revenu du consommateur qui risque de payer plus cher l’électricité.
Bally a rappelé à ce propos que toutes les privatisations au Mali n’ont pas échoué. Il a évoqué les privatisations de Grand hôtel et la Sotelma qui ont été des réussites. “Il faut laisser au secteur privé ce qu’il peut faire mieux que l’Etat. Aucun Etat au monde ne peut produire aussi efficacement que le secteur privé. Il faut renforcer la production privée d’énergie. Gardons le monopole d’Etat sur le transport d’énergie qui est le segment le plus important. Il faut ouvrir le capital de l’EDM bien structurée au secteur privé national. Pour des raisons stratégiques, certains secteurs comme la défense, la diplomatie, la sécurité, doivent rester dans le juron de l’Etat”, a-t-il dit. Selon Siriman Sacko, pour relancer l’économie, il faut mobiliser les fonds privés, il faut un partenariat public-privé pour financer les infrastructures. Il proposera de donner la priorité à l’agriculture qui abrite les 80 % des emplois formels et informels. “Il faut mobiliser les fonds privés et des fonds d’investissement pour financer tous les domaines prioritaires comme l’agriculture. Il faut investir dans l’agriculture pour l’industrialiser et aller vers l’agro-business pour créer des emplois pour les jeunes et avoir une économie tirée vers le haut”, a-t-il préconisé. Aux dires de Madou Cissé, le principal problème au Mali est que les gens pensent que l’Etat peut les rendre riche. “En Afrique et au Mali, chaque fois qu’il fois qu’il y a un problème, il faut que l’Etat intervienne. Même si les caniveaux ne fonctionnent, l’Etat intervient pour le réparer. Ce qui n’est pas son rôle. Cela est un problème. D’un point de vue économique, l’Etat a principalement deux rôles. L’Eta a pour mission de créer les conditions pour que les citoyens s’enrichissent. L’Etat doit comprendre que son rôle est dans le régalien. Il doit faire en sorte que la justice fonctionne correctement. Il doit faire en sorte que la défense et la sécurité intérieure soient assurées. Le privé doit prendre le relais. Après avoir enrichit le peuple, l’Etat peut venir faire la distribution. Partout où le privé ne peut fonctionner, l’Etat va revenir dans son rôle tutélaire en faisant par exemple les routes, les grandes infrastructures. La société civile doit jouer son rôle de société civile. Il faut que l’Etat comprenne que tout ce qui peut fonctionner du point de vue privé doit être laissé au privé et que l’Etat se charge de tout ce que le privé ne peut pas faire. L’Etat ne peut pas être l’Alpha et l’Oméga du développement Sinon, rien ne marchera”, a-t-il indiqué.
A propos du secteur de la fiscalité, M. Bally a souligné que le CNPM a proposé que le système fiscal soit amélioré pour relancer l’économie malienne. Mais il a insisté sur le fait qu’il y a une injustice fiscale au Mali. “C’est un scandale que nous ne cesserons jamais de dénoncer le fait que le foncier n’est pas taxé au Mali. Cela veut dire que je peux posséder 1000 hectares à Bamako jusqu’à ma mort. Tant que le Code général des impôts ne changera pas, je ne paierai pas un franc sur ces 1000 hectares. Mes enfants vont en hériter, ils ne paieront pas un franc. Dans tous les autres pays de la sous-région, si vous possédez un lopin de terre, vous payez la taxe sur le foncier non bâti ou la taxe sur le foncier bâti si vous possédez une maison d’habitation. Ce sont les revenus locatifs qui sont taxés au Mali qui est de 15 % dont 12 % pour l’Etat et 3 % pour la Commune dans laquelle se trouve le bâtiment. Il faut taxer le foncier pour générer des revenus. Nous proposons la baisse de l’ITS. Réduire l’ITS a deux avantages. Cette réduction permet de libérer le pouvoir d’achat. Ce qui va fait augmenter la demande à condition que l’économie s’industrialise de plus en plus. Le 2e avantage, c’est d’amener plus d’emplois dans le secteur formel. La taxation du travail fait que beaucoup d’employés préfèrent prendre plus et renoncer à leur pension de retraite. Parce que la création d’emploi dans le formel est taxée. Ce qu’il fait qu’il y a beaucoup d’emplois dans l’informel. Taxons moins l’emploi formel. Une économie ne peut pas se développer sans un système équilibré et équitable. Au Mali, très peu de gens paient l’impôt parce qu’il est confiscatoire”, a-t-il proposé.
Pour redresser l’économie malienne, la commission de travail du CNPM sur la fiscalité dirigée par Begré Makanguiné a proposé l’élargissement de l’assiette fiscale. Pour cela, la commission recommande la réforme au niveau de la fiscalité.
Sur le sujet, Siriman Sacko a informé que le statut des banques de la place ne leur permet pas de financer. “Nos banques sont des banques classiques qui ont des dépôts ouverts qui ne sont pas des dépôts à termes. Les gens peuvent déposer leur argent dans ces banques pour les retirer le lendemain. C’est pour cette raison que la société civile a proposé la création des banques d’investissement, des banques spécialisées pour les petites et moyennes entreprises (PME) afin de sauver l’économie. Il faut des financements adaptés aux entreprises avec un plan de remboursement”, a-t-il dit.
Aux dires de Madou Cissé, les banques ne peuvent pas prêter ce qu’elles n’ont pas. “De manière classique, les banques prennent les épargnes des particuliers et les communiquent aux autres. Au Mali, quand le salaire est fait le 25 du mois, le 3 du mois suivant, il n’y a presque plus rien dans les comptes. Ce qui veut dire qu’il n’y a pas d’épargne de long terme pour les banques. Donc, il faut aller vers les banques d’investissement. C’est là où l’Etat devient intéressant pour garantir les prêts de long terme. Pour les prêts à long terme, les banques ont 1 à 2 % par an sur tous les crédits qu’elles accordent. Ce qui veut qu’elles n’ont pas de jus pour l’investissement. Ensuite, les banques ont des profils de risque. Leur calcul de profil de risque est incompatible avec l’activité des entreprises au Mali. Donc, ces deux éléments, mis bout à bout, posent un problème de financement de l’économie”, a-t-il divulgué. Pour la relance de l’économie à partir des infrastructures, le CNPM, à travers le président du groupe de travail sur le secteur, Ibrahim Kalilou Sacko, a dit que les infrastructures constituent un enjeu majeur pour le Mali. Pour lui, la promotion de l’économie nationale ne peut pas aller sans les infrastructures de transport. Ainsi, il a suggéré l’aménagement, la sécurisation, l’exploitation des infrastructures routières, fluviales, aériennes, ferroviaires. Concernant la relance de l’économie par les ressources humaines, Sidi Dagnoko, le président du groupe de travail du domaine a laissé entendre que le CNPM a fait le constat que le chômage est à 9 % (chiffre BIT) au Mali et qui est disparate selon les localités. Il a fait remarquer que le chômage est accru chez les jeunes de 30 à 35 ans. A ses dires, le marché du travail est rigide et caractérisé par des difficultés et un dialogue social faible. Il a fait savoir qu’au Mali, le marché de l’emploi est timide.
“Au moment où on crée 50 000 emplois dans le public et 100 000 emplois dans le privé (150 000 emplois chaque année), il y a 300 000 jeunes qui arrivent sur le marché de l’emploi. Donc, 150 000 à 200 000 jeunes qui ne trouvent pas d’offre d’emplois disponibles pour eux. Ce qui est un fossé assez important. Ce qui est un des grands défis, un challenge pour le Mali. Il s’agit d’arriver à accroitre le dynamisme de la création d’emploi”, a-t-il dit.
Sur l’école, il a dit qu’il y a un problème d’interconnexion et un problème d’insuffisance de passerelles entre l’école et les entreprises. “L’école et l’entreprise, c’est comme deux mondes parallèles. Chacun évolue de son côté et pourtant, elles sont interdépendantes”, a-t-il précisé. Comme atout du Mali, il a affirmé que le pays a une population jeune avec la disponibilité de la main-d’œuvre. Et les jeunes ont l’appétence sur le numérique. Ce qui, à ses dires, est un bon signe. Le Mali dispose une diaspora très compétente. Ce qui est un atout qui peut aider dans le développement des compétences. Un autre atout du Mali est qu’il est pays à industrialiser. “S’il y a des conditions favorables pour les investissements, le Mali serai un bassin d’emplois“, a-t-il estimé. Comme faiblesses du Mali, Sidi Dagnoko a évoqué la domination du marché d’emploi par l’informel avec très peu de professionnalisation des acteurs de ressources humaines. “Il y a beaucoup chevauchement, beaucoup de confusion dans le rôle des acteurs qui s’occupent de la problématique de l’emploi et de la formation professionnelle”, a-t-il fait remarquer. Comme recommandations, son groupe de travail a proposé l’élaboration de statistiques sur le marché de l’emploi et le marché de travail, la création de plus de PPP dans la formation technique et la formation professionnelle pour que l’offre puisse correspondre à la demande, la professionnalisation de la fonction ressources humaines, encourager et stimuler ceux qui créent de l’emploi formel au Mali, connecter l’école à l’entreprise qui sont deux mondes qui ont besoin d’évoluer ensemble. Comme perspectives pour la relance économiques, les invités ont recommandé la création des conditions propices de relance. Pour cela, le secteur public et le secteur privé doivent être complices dans leurs actions afin de développer l’économie. Et l’Etat doit être en retrait par rapport à la production qui doit être libéralisée. L’économie de marché doit être adoptée. A leurs dires, le fonctionnement de l’économie doit revenir au secteur privé qui doit enclencher la production. Ce qui, estiment-ils, permettra de créer des emplois.
Siaka Doumbia