Dr. Ibrahim Traoré, médecin résident en gynecologie-obstetrique au Chu Hassan II : “Quand le cancer du sein est détecté à temps, il est vite soigné”

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Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), près d’une femme sur 12 développe un cancer de sein au cours de sa vie. Les chances de survie sont multipliées par la découverte précoce. Pour cela, il faut trois gestes  simples  qui sauveront la vie : observer, palper, presser. Pour mieux comprendre la maladie, nous nous sommes entretenu avec Dr. Ibrahim Traoré, médecin résident en gynécologie-obstétrique au CHU Hassan II.

 Mali Tribune : Qu’est-ce que le cancer du sein et quelles en sont les causes ?

Dr. Ibrahim Traoré : Le cancer du sein est une prolifération incontrôlée de cellules cancéreuses au sein de la glande mammaire. Ces cellules cancéreuses peuvent envahir les tissus voisins et les détruire. Elle peut également se propager (métastases) à d’autres parties du corps. C’est une maladie multifactorielle, dont l’apparition résulte d’une combinaison entre des facteurs environnementaux et génétiques. Certains facteurs de risque de cancer du sein sont connus.

Parmi ceux-ci on peut citer : l’âge : le cancer du sein se développe souvent autour de 60 ans ; les prédispositions génétiques : lorsque plusieurs personnes d’une même famille sont atteintes du même cancer, il peut s’agir d’un cancer héréditaire (5 à 10 % des cas de cancers du sein). Dans ce cas, une mutation dite de prédisposition au cancer du sein est transmise de génération en génération. Les principaux gènes en cause sont les gènes BRCA1 et BRCA2.

Il y a les antécédents familiaux de cancers du sein (présence d’au moins un cas isolé dans la famille proche) ; l’existence d’antécédents personnels de cancers du sein, d’hyperplasies atypiques (maladies bénignes du tissu mammaire) ou d’expositions à des radiations dans le cadre de précédents traitements ; la puberté précoce et la ménopause tardive ; le traitement hormonal substitutif de la ménopause (augmentation légère) ; l’absence de grossesse ou les grossesses tardives, l’absence d’allaitement ; la consommation régulière d’alcool ; le tabagisme, la sédentarité et la surcharge pondérale.

 

Mali Tribune : Comment se manifeste cette maladie ?

Dr. I. T. : Un cancer du sein peut être suspecté lors d’une mammographie de dépistage ou au cours de la palpation des seins (découverte d’une grosseur). Le diagnostic doit être confirmé par des examens complémentaires.

Néanmoins, il y a des signes qui doivent alerter toute femme comme : la grosseur au niveau d’un sein, non douloureuse perçue lors de l’autopalpation ; la déformation du sein apparue récemment ; la rétraction ou déviation du mamelon ; la rougeur, l’œdème et la chaleur d’une zone du sein ; l’aspect de peau d’une partie d’un sein ; la douleur mammaire localisée ; les ganglions palpables au niveau des aisselles ; l’écoulement verdâtre ou coloré de sang par le mamelon.

 

Mali Tribune : Comment se fait le dépistage du cancer du sein ?

Dr. I. T. : Le dépistage du cancer du sein a pour objectif de diminuer le nombre de décès causés par cette maladie en la détectant le plus tôt possible, ce qui permet de la prendre en charge plus tôt et d’avoir un meilleur pronostic avec des traitements moins lourds.

Le plus important dans le dépistage du cancer du sein est l’attention que la femme porte sur son corps. L’observation et l’autopalpation des seins sont primordiales. Ensuite vient la mammographie de dépistage qui concerne les femmes de 50 à 75 ans. D’autres moyens de dépistages peuvent être indiqués chez les patientes à risque élevé de cancer du sein.

 

Mali Tribune : Existe-t-il différents types de cancer du sein ? Si oui, pouvez-vous nous les énumérer ?

Dr. I. T. : Avant de parler des différents types de cancers du sein, je vais faire un rappel de l’anatomie du sein. Chaque sein contient une glande mammaire composée de 15 à 20 compartiments séparés par du tissu graisseux.

Chacun de ces compartiments est constitué de “lobules” et de “canaux”. Le rôle des lobules est de produire le lait en période d’allaitement, les canaux transportent ensuite le lait vers le mamelon. La glande mammaire est entourée d’un tissu de soutien composé de fibres, de graisse et de vaisseaux sanguins et lymphatiques.

Les cancers du sein les plus fréquents (95 % des cas) sont des adénocarcinomes. Ils se développent le plus souvent à partir des cellules des canaux, on parle de cancer canalaire ; ou plus rarement à partir des cellules des lobules, on parle de cancer lobulaire. Il existe d’autres types de cancers du sein beaucoup plus rares.

Selon le stade d’évolution, on distingue le cancer du sein non infiltrant ou in situ. Les cellules cancéreuses sont confinées aux canaux et aux lobules.

Le cancer du sein infiltrant aussi appelé carcinome infiltrant. Les cellules cancéreuses envahissent le tissu mammaire et peuvent s’étendre et affecter les tissus avoisinants. Elles peuvent aussi atteindre d’autres parties du corps pour former des métastases.

 

Mali Tribune : Y a-t-il un traitement adéquat de la maladie ?

Dr. I. T. : Ces dernières décennies ont été marquées par une très grande évolution de la prise en charge de cancer du sein. Comme on l’a précisé dans les questions précédentes, le cancer du sein est une maladie multifactorielle, de ce fait son traitement fait appel à une équipe pluridisciplinaire (chirurgien, radiothérapeute, oncologue, médecin traitant) qui, en concertation, détermine le traitement le mieux adapté à chaque femme. Une proposition de traitement est établie par des médecins d’au moins trois spécialités différentes (chirurgien, oncologue médical, radiothérapeute, anatomopathologiste…) dans le cadre d’une réunion de concertation pluridisciplinaire.

La proposition de traitement est expliquée à la patiente qui peut alors donner ses préférences thérapeutiques. Après son accord, l’équipe médicale définit le programme personnalisé de soins. Ce programme peut associer divers traitements, selon chaque cas. On distingue entre autres :

La chirurgie : c’est une étape incontournable, qui permet d’enlever la masse tumorale. Durant l’opération, le chirurgien peut prélever les ganglions sentinelles, c’est-à-dire les ganglions lymphatiques les plus proches de la tumeur. Ils sont maintenant analysés directement afin de savoir si les cellules cancéreuses se sont disséminées. En fonction du résultat, le chirurgien adapte son geste.

La radiothérapie : elle est souvent réalisée en complément de la chirurgie au niveau de la région de la tumeur, souvent en association avec la chimiothérapie. On peut aussi la prescrire avant l’opération pour réduire le volume de la tumeur et faciliter son ablation.

La chimiothérapie : donnée dans de rares cas en pré-opératoire, elle peut faire diminuer la taille de la tumeur (traitement néo-adjuvant). On fait aussi appel à la chimiothérapie post-opératoire pour prévenir le développement de métastases ou les éliminer en cas d’extension de la maladie.

L’hormonothérapie : elle est utilisée chez des patientes dont les cellules tumorales expriment des récepteurs hormonaux.

Les thérapies ciblées : ces traitements s’attaquent de manière spécifique aux tumeurs. Ainsi, on peut citer les thérapies ciblées sur HER2 ou celles qui empêchent le développement de nouveaux vaisseaux autour de la tumeur, réduisant ainsi sa croissance.

 

Mali Tribune : Quelle est la charge nationale de morbidité du cancer du sein ?

Dr. I. T. : Selon le registre des cancers de 2020, le cancer du sein est le premier cancer féminin avec un taux de 28,8 % de tous les cancers enregistrés suivi du cancer du col de l’utérus, 25,1 %. Selon l’Agence internationale de recherche contre le cancer, environ 14 000 nouveaux cas de cancer ont été recensés au Mali en 2020. Au regard des chiffres, le Mali est très proche de ses voisins de la sous-région. La prise en charge du cancer du sein reste un défi à relever dans le continent africain avec un taux de mortalité élevé et des chances de survie à 5 ans inférieures à 15 % en Afrique (contre 85 % dans les pays à revenu élevé). A cela s’ajoutent la méconnaissance de la maladie, l’accès limité au dépistage et au traitement qui aggravent la situation.

 

Mali Tribune : L’autopalpation des seins et la mammographie peuvent-ils être considérées comme les seuls moyens pour prévenir le cancer du sein ?

Dr. I. T. : Oui, en général ce sont les deux éléments clés du dépistage. Mais dans certaines circonstances, le médecin peut être amené à demander d’autres examens d’imagerie comme l’IRM mammaire dans le cadre d’un dépistage.

 

Mali Tribune : A quel moment on peut dire qu’un cancer est en rémission complète ?

Dr. I. T. : Dans le cas d’une maladie cancéreuse, c’est difficile de parler d’une guérison. Par contre, on peut parler d’une rémission. Cette dernière constitue une phase importante dans la lutte contre le cancer. Dans le cas d’un cancer du sein, la rémission correspond à la disparition totale des signes cliniques du cancer et à une amélioration de la santé globale de la patiente. Si la rémission ne garantit pas à coup sûr une guérison définitive, elle offre un répit précieux à la patiente et à ses proches, et amène de nouvelles perspectives de vie. Chaque jour de rémission est une victoire sur la maladie et un pas de plus vers la sérénité.

Propos recueillis par

Aïchatou Konaré

 

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