La presse malienne a célébré vendredi dernier (3 mai 2024) la Journée mondiale de la liberté de la presse. Comme d’habitude, les faîtières et les professionnels des médias ont saisi l’occasion pour passer au peigne fin les acquis et les défis à relever pour un exercice libre et apaisé du métier. Malheureusement, le constat est très amer. En effet, cette année, cette journée a été célébrée dans un environnement socio-financier très éprouvant. Non content d’asphyxier volontairement les médias libres, le gouvernement multiplie les intimidations et les tentatives de les réduire au silence à défaut de leur imposer un contenu. A ce rythme, les autorités vont bientôt sonner le glas de la presse libre au Mali.
«La Presse au service de la planète : crise environnementale et urgence du journalisme» ! Tel était le thème de la célébration de la 31e Journée internationale de la liberté de la presse. Cette thématique met en évidence l’impérieuse nécessité pour les médias de s’engager dans la préservation de l’environnement. Et cela au moment où nous subissons de plein fouet les conséquences du dérèglement climatique (canicule, inondations, problèmes de santé, criminalité, violences conjugales, mauvais résultats scolaires…). «Le monde connait une situation d’urgence environnementale qui menace l’existence des générations actuelles et futures» a alerté Bandiougou Danté, président de la Maison de la presse.
Cette journée est célébrée au moment où l’environnement médiatique est aussi déchiré entre les défis à affronter, les menaces pesant sur elle et sa vitalité voire sa survie dans ces conditions. «Façonner un avenir de droits : La liberté d’expression comme moteur de tous les autres droits de l’Homme» était le thème de la précédente édition. C’était déjà une manière de dire que la liberté d’expression constitue «l’élément essentiel à la jouissance et à la protection de toutes les autres libertés».
On se demande aujourd’hui quelle leçon nos autorités ont réellement tiré de ce thème pour s’acharner ainsi sur les médias libres du pays ? Après la liberté d’association et d’expression, après avoir réduit au silence ceux qui se sont montrés trop critiques à leur égard ces derniers mois et dissous les partis et les associations dont les activités ont été jugées subversives, elles ont voulu museler les médias avec la complicité de la Haute autorité de la communication (HAC). Il est clair que, comme l’a rappelé le président de la Maison de la presse, la situation de la liberté de la presse au Mali est loin d’être reluisante. «De nombreux professionnels des médias sont portés disparus, intimidés ou ont abandonné leurs maison», a déploré M. Danté. A cela, il a ajouté «l’enlèvement (le 11 décembre 2023) d’Almamy Barazi, directeur de la radio Bonne Forêt de Taboye dans le cercle de Bourem, par des individus armés non identifiés». On comprend alors aisément que, dans son rapport 2024, l’ONG «Reporters Sans Frontières» (RSF) ait classé le Mali à la 114e place sur 180 États.
Mais, le pire, c’est la pression financière que le gouvernement de Transition exerce sur les journalistes qui ne voient plus la queue du diable à plus forte raison la tirer. Les médiums (presse écrite, radios, télévisions, presse en ligne) ploient atrocement sous le poids des charges de fonctionnement dans l’indifférence totale des décideurs politiques. Qu’est-ce que peut encore justifier le gèle de l’aide à la presse (pour laquelle on se battait encore pour qu’elle soit indexée au budget national) ?
Pas en tout cas en raison de la crise financière puisque les budgets de nos institutions sont en perpétuelle hausse malgré le discours démagogique sur la réduction du train de vie de l’Etat. On condamne les médias privés au pain sec alors que les membres désignés d’un organe de la transition s’arrogent un salaire, des primes et des indemnités généralement prévus pour des élus de la nation. Selon des sources officielles, la présidence, le CNT et la Primature ont coûté 42 991 061 000 F CFA aux contribuables en 2023. La presse est-elle si inutile dans ce pays ?
Encore que la pilule est facile à avaler pour ce qui est de la présidence de la Transition d’autant plus que les œuvres sociales de l’actuel locataire de Koulouba (construction et équipement des centres de dialyse, équipement des centres de santé, adduction d’eau, construction et rénovation de classes, dons en nature aux nécessiteux) sont en train de combler un énorme fossé au niveau de l’accès aux services sociaux de base. Qu’à cela ne tienne, la presse étouffe et est sciemment étouffée pour une ambition inavouée.
Une situation aggravée par l’exercice illégal du métier qui, selon Bandiougou Danté, crée «un désordre encouragé et entretenu» faisant «planer le risque d’une implosion inéluctable». Ce nombre indéterminé de médias sur les réseaux touche impunément à tout en violation des règles d’éthique et de déontologie. «Ces médias qui sont dans l’asymétrie sont aussi les auteurs d’une concurrence déloyale si bien que les journaux se meurent, les radios et les télévisions agonisent», a dénoncé le président de la Maison de la presse. Et d’asséner, «ces médias désemparés, sans perspectives, sans opportunités, frappés de plein fouet par la situation économique précaire doivent faire face aux obligations quotidiennes».
Tel est l’état des médias du pays au moment où la Journée mondiale de la liberté de la presse est célébrée au Mali. C’est une presse à l’agonie que le gouvernement de transition est pressé d’achever en l’étouffant par tous les moyens, notamment financièrement !
Moussa Bolly