#Mali : Précarité dans les Médias : Les déviances et insuffisances prennent le dessus

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Le jeudi 6 juin dernier, dans un hôtel de la place, se tenaient les travaux de clôture d’une activité organisée par l’Association « Femmes et Média ». À la fin de l’événement, les journalistes attendaient patiemment d’être «gérés» autrement dit percevoir leurs frais de déplacement. Ainsi, en fichier indien, ils passent un à un devant la chargée de communication de l’association pour percevoir leur «per diem» (10.000 Fcfa) et émarger sur la liste de présence.

La responsable de la communication paye quelques journalistes, avant de constater qu’elle n’avait pas suffisamment d’argent pour payer tout le monde.

Quand elle explique la situation à ceux qui n’avaient pas encore perçu leur «per diem», la tension monte d’un crâne. «Nous avons invité seulement cinq organes de presse et je me retrouve avec une vingtaine de journalistes à gérer», dit-elle. La chargée de communication décide alors de partager le reste de l’argent aux journalistes, à raison de 2.000 Fcfa par personne. Au bout du compte, tout le monde quittera l’hôtel avec une petite somme dans la poche.

Donner des «per diems» ou plutôt de l’argent aux journalistes après la couverture d’une activité est-il normal, est-on tenté de s’interroger. «C’est une source de motivation, répond Alou Badra Doumbia, journaliste. C’est comme de l’huile de rouage qui permet la marche d’un système», ajoute-t-il le sourire aux lèvres.

Deux jours plus tôt, sous un soleil de plomb, devant le portail du Centre international des conférences de Bamako (CICB), une dizaine de journalistes se réunissent sous un arbre. Ce lieu est l’un de leurs bastions. Ils sont là tous les jours ouvrables de la semaine, pour échanger entre eux, mais surtout pour être au parfum des activités qu’abrite le CICB.

Ce mardi matin, il était 11h 45 quand ABD rejoint le groupe, après avoir couvert un point de presse. Vêtu d’un costume noir, il affiche un grand sourire qui montre clairement que l’activité s’est bien passée pour lui. Il a obtenu l’information à la source mais aussi, il s’est fait un peu de sou, donc a pu obtenir ses frais de déplacement.

AVILISSEMENT DES MÉDIAS- La précarité du métier de journaliste est inéluctable. La situation dérange et certains journalistes préfèrent éviter d’aborder la question. Parler des conditions du travail, met beaucoup d’entre eux, mal à l’aise. Certains journalistes préfèrent se taire, d’autres évitent le débat. Seuls quelques courageux comme Alou Badra Doumbia et Indé Ombotimbé du journal le « Bercail » ont accepté de s’exprimer là-dessus. «Nous vivons péniblement de notre travail, c’est par passion que l’on arrive à tenir», affirme Indé. Pour lui, il ya des organisateurs d’événement qui concernent toujours une somme pour les journalistes non invités. Par contre d’autres préfèrent dire que leur budget n’a pas prévu la prise en charge de ces frais, et on le comprend, car c’est une question de finances.

Visiblement, le «per diem» est le gagne-pain, car il assure la popote et le déplacement des journalistes. Dans notre pays, le journal ne nourrit pas son homme, du point de vue d’ABD. En cela, Indépensez que le journaliste doit être payé par sa rédaction, pour avoir une plume libre. Malheureusement, nos rédactions manquent cruellement de moyens, juge-t-il. C’est un secret de polichinelle qui de dire que les journalistes au Mali vivent chichement. La plupart d’entre eux n’ont pas de salaire et ne bénéficient ni de sécurité sociale, encore moins de retraite.

Ils vivent au jour le jour grâce au «per diem» perçu lors des reportages. Ce sou encore appelé «motivation» est devenu au fil des ans, l’élément clé, dans la collecte des informations. Il est, à la limite, devenu « un passe droit » pour quitter une scène de reportage, autant l’information est importante pour le reporter, autant le « per diem » l’est pour sa motivation. Malheureusement, cette rétribution a fini par nuire incontestablement à l’image de la presse malienne. Cette pratique a valeur aux hommes de médias, le qualificatif de journalistes alimentaires.

Levy Dougnon promoteur du journal la «Nouvelle Alliance» a clairement posé ses conditions avec le personnel employé. Il leur a fait comprendre que les six premiers mois, il n’y aura pas de salaire, chacun devra se débrouiller sur le terrain. «Aujourd’hui Dieu merci, j’ai deux salariés et trois stagiaires», se réjouit le promoteur, même s’il regrette qu’il y ait moins d’activités à couvrir dû à la conjoncture actuelle de notre pays.

Cependant, le promoteur est confronté à des difficultés plus importantes liées à la crise qui traverse le pays. Ces difficultés, selon lui, sont, entre autres, le manque d’électricité, le coût élevé d’impression, la mévente des journaux. Aussi, dit-il, le journal à de moins en moins d’insertion, de publicités et d’abonnements. Malgré ces maigres ressources, Levy Dougnon est obligé de supporter les charges de localisation, de payer les taxes et impôts et le salaire de son personnel.

LES TEXTES NON APPLIQUÉS- En outre le Mali compte plus de 200 organes de presse écrite, 496 radios et 43 télévisions publiques et privées. Mais il n’y a qu’une vingtaine de journaux qui paraissent dans les kiosques, dont une dizaine de quotidiens, fait savoir Mamadou Talata Maïga administrateur délégué de la Maison de la Presse. Selon qui la presse malienne a des difficultés de tous genres. D’un côté les journalistes, violents le code d’éthique et de déontologie et de l’autre, les promoteurs des organes violents le code du travail.

Mamadou Talata souligne que la perception du «per diem» est en contradiction flagrante avec le code de l’éthique et de déontologie des journalistes. «Si les journalistes violents les codes d’éthique et de déontologie en exigeant qu’on leur donne de l’argent, il faut reconnaître qu’il ya au niveau des organes publics et privés, une violation avérée du code du travail», dénonce -t-il. Car, dans les structures publiques, les stagiaires font des années sans être libérés, ni embauchés.

Pire au niveau des organes privés, rares sont les journalistes qui ont un salaire et une sécurité sociale. L’administrateur de la Maison de la Presse souligne qu’au sein des organes de presse privée, il existe «un accord tacite» non écrit et accepté comme tel entre le travailleur et le patron qui consiste à dire «je n’ai pas de salaire à vous donner, mais vous allez travailler et vous débrouiller ; c’est-à-dire trouver votre salaire sur le terrain».

En cela, les ressources financières que la boîte génère, le patron l’empoche laissant pour compte ses travailleurs et l’organe. Alors que non seulement le journaliste doit percevoir un salaire, mais doit aussi être inscrit à la sécurité sociale.

Mamadou Talata Maïga classe les difficultés des médias, en deux catégories : la viabilité des organes et le manque de professionnalisme des hommes de médias. La via des organes, parce que ce sont eux qui emploient les professionnels des médias de façon générale. Malheureusement, ces organes privés et mêmes publics n’ont pas de surface financière suffisamment cohérente pour les prendre en charge, en termes de masse salariale et de sécurité sociale.

RÉDUCTION DES SUBVENTIONS- D’après son analyse ces contraintes sont liées aux tares congénitales, en ce sens que la plupart des organes de presse sont nés surtout après les événements de mars 1991. Ils sont ainsi apparus dans des conditions où l’euphorie et les les besoins d’information étaient pressants. Ils ont commencé à produire sans la formation nécessaire en journalisme et sans la formation en tant que manager des organes médiatiques, c’est ce qui explique le manque de professionnalisme. Mamadou Talata Maïga soutient que beaucoup de journalistes manquent cruellement de formation adéquate. En lisant les journaux, détaille-t-il, vous trouverez les mêmes textes avec les mêmes mots.

La plupart du temps ce sont des comptes rendus, avec toujours le même angle de traitement, il n’y a pas d’analyse, ni de reportages encore moins d’enquêtes approfondies sur la situation sociale, économique ou politique du pays, ceci n’est pas du journalisme, regrette M. Maïga. Il plaide pour une renaissance de la presse, c’est-à-dire revenir aux valeurs fondamentales du journalisme. Ce qui, d’après-lui, interpelle les autorités à prendre leurs responsabilités pour que le Mali ait une presse crédible animée par les professionnels.

Par ailleurs, l’Office de Radios et Télévisions du Mali (ORTM) est touchée de plein fouet par la crise. Il est passé de 9 milliards de Fcfa de subvention qu’apportait l’État, à moins de 4 milliards de Fcfa actuellement, a rapporté Cheick Oumar Sangaré, chef de division production. Selon lui, l’ORTM produit de moins en moins et de façon dérisoire avec les moyens du bord.

Toutes les émissions sont produites sur place, à partir de Bamako, sans la possibilité de les produire à l’intérieur faute de moyens. Idem pour la Société malienne de transmission et de diffusion (SMTD) qui n’arrive plus à couvrir 50% de l’ensemble du territoire national. «Chaque jour, les auditeurs nous appellent pour dire qu’ils n’arrivent pas à capter la Radio Mali, même tout près d’ici dans la localité de Bougouni, cela nous abat moralement», a indiqué le chef de division. Dans cette structure, il faut aussi déplorer le manque de personnel qualifié, ce qui explique le cumul de fonctions de certains journalistes.

LE POUVOIR DE FAIRE ET DÉFAIRE- Souleymane Bobo Tounkara, le directeur des publications en français de l’Agence malienne de presse et de publicité (AMAP) pense que les conditions de travail ici sont meilleures comparées à celles de la presse privée, mais sont inférieures par rapport aux confrères de la sous-région (la Côte d’Ivoire, le Sénégal, et même le Burkina Faso). Ces pays voisins ont mis plus de moyens dans leurs médias, ils ont le salaire plus élevé et sont mieux organisés que nous. Pour lui, l’Amap supporte beaucoup de charges payées sur fonds propres, c’est ce qui explique la situation précaire de la structure.

Elle bénéficiait d’une subvention à hauteur de 300 millions de l’État, qui est aujourd’hui réduite comme peau de chagrin à 50 millions de Fcfa. Quant à l’aide à la presse, depuis quatre ans, elle n’existe plus. La dernière fois, où elle a été allouée, c’était en 2021, avec la somme de 23 millions de Fcfa, alors que précédemment, elle dépassait les 200 millions de Fcfa. De l’avis de l’ensemble des intervenants, la presse malienne a besoin d’aide et d’assistance. Souleymane Bobo Tounkara précise que les pays de la sous-région investissent des dizaines de milliards de Fcfa dans la communication et l’information, pour se faire une image suffisamment solide face à des réalités actuelles, surtout en ce moment où, l’on assiste à une exacerbation de l’info-guerre encore appelé la guerre informationnelle.

Autrement, «l’information est le pouvoir, pour qui sait la maîtriser», disait le journaliste d’origine camerounaise Alain Foka. Elle permet de gagner un conflit, qu’il soit armé ou non, faire et défaire les hommes, les institutions et les États. À son avis, quand les occidentaux veulent envahir un pays ou abattre un chef d’État africain, ils utilisent la presse. Les médias africains doivent être soutenus financièrement et les hommes de médias formés suffisamment pour élaborer une stratégie de riposte face à l’ampleur de la désinformation à laquelle nos pays font face.

Maïmouna SOW

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