Non-justification de fonds destinés aux salaires et accessoires du personnel local (55 891 200 F CFA), paiement de dépenses indues 10 879 333 F CFA…
Non-justification des retraits effectués sur le compte
bancaire de l’ambassade (34 502 266 F CFA), paiement de dépenses fictives de frais scolaires (17 753 106 F CFA)
L’ex-ambassadeur du Mali à Abu Dhabi, Mamary Camara (il est présentement ambassadeur du Mali à Kigali, au Rwanda) et deux agents comptables ont été épinglés pour plus de 202 millions de F CFA d’irrégularités financières, suite à une mission de contrôle du Bureau du Vérificateur général (BVG) sur la gestion des exercices 2021, 2022, 2023 et 2024 (30 septembre). Ainsi, les irrégularités financières, selon le rapport du BVG, sont relatives au paiement de dépenses indues (10 879 333 F CFA), au paiement de dépenses fictives de frais scolaires (17 753 106 F CFA), à la non-justification des retraits effectués sur le compte bancaire de l’ambassade (34 502 266 F CFA), à la non-justification de fonds destinés aux salaires et accessoires du personnel local (55 891 200 F CFA), à la non-justification de dépenses relatives aux charges locatives (30 809 320 F CFA), à la non-justification des virements effectués par l’ambassadeur sur son compte bancaire personnel (22 939 080 F CFA), à la non-justification d’un écart de caisse (23 980 223 F CFA), au paiement indu d’indemnités de déplacement et de mission (2 510 050 F CFA), à la justification de dépenses par des pièces non conformes ( 2 694 134 F CFA). Face à cette situation, les faits relevés ont été dénoncés au procureur de la République chargé du Pôle national économique et financier et transmis au président de la Section des comptes de la Cour suprême.
Le rapport du Bureau du Vérificateur général (BVG) sur la gestion de l’ambassade du Mali à Abu Dhabi, aux Emirats arabes unis au titre des exercices 2021, 2022, 2023 et jusqu’au 30 septembre 2024 défraye aujourd’hui la chronique. En fait, il s’agit bien de la gestion de l’ex-ambassadeur Mamary Camara, qui avait été nommé à ce poste par décret n°0916 du président de la Transition du 21 décembre 2021. Son décret a été abrogé le 5 avril 2024 avec d’autres diplomates. Quelques mois après, Mamary Camara fut nommé ambassadeur du Mali à Kigali, au Rwanda.
En plus de l’ambassadeur Mamary Camara, les noms de deux agents comptables sont cités. En d’autres termes, les trois personnes concernées ont été épinglées pour plus de 202 millions de F CFA d’irrégularités financières constatées par la mission de vérification. Elles seront bientôt devant la justice pour répondre à leurs actes d’autant que les faits relevés ont été dénoncés par le procureur de la République chargé du Pôle national économique et financier et transmis au président de la Section des comptes de la Cour suprême. Ils sont, d’après le rapport, susceptibles de constituer des infractions à la loi pénale et à la législation budgétaire et financière.
Notons que cette présente vérification financière sur la gestion de l’ambassade du Mali à Abu Dhabi aux Emirats arabes unis avait pour “objectif de s’assurer de la régularité et de la sincérité des opérations de recettes et de dépenses”. Ainsi, les travaux de vérification ont porté sur la gestion du personnel, la tenue de la comptabilité, la gestion de la trésorerie, la justification des opérations de dépenses relatives au fonctionnement courant, le paiement des frais scolaires, des soins médicaux, des charges locatives et des salaires ainsi que le recouvrement des recettes propres.
Irrégularités financières
La vérification a relevé des irrégularités financières d’un montant total de 202 071 532 F CFA, qui sont relatives au paiement de dépenses indues (10 879 333 F CFA), au paiement de dépenses fictives de frais scolaires (17 753 106 F CFA), à la non-justification des retraits effectués sur le compte bancaire de l’Ambassade pour (34 502 266 F CFA), à la non-justification de fonds destinés aux salaires et accessoires du personnel local (55 891 200 F CFA), à la non-justification de dépenses relatives aux charges locatives (30 809 320 F CFA), au paiement de dépenses indues de soins médicaux (112 820 F CFA), à la non-justification des virements effectués par l’ambassadeur sur son compte bancaire personnel (22 939 080 F CFA), à la non-justification d’un écart de caisse (23 980 223 F CFA).
Sans oublier le paiement indu d’indemnités de déplacement et de mission pour un montant de 2 510 050 F CFA et la justification de dépenses par des pièces non conformes pour un montant total de 2 694 134 F CFA.
L’ambassadeur et le secrétaire agent comptable ont
respectivement ordonné et payé des dépenses indues.
L’équipe de vérification a constaté que “l’ambassadeur et le SAC ont respectivement ordonné et payé des dépenses indues. En effet, sur la base des bons de commande signés par l’ambassadeur, le SAC a payé des dépenses relatives à la prise en charge des frais de communication téléphonique et Internet au domicile du personnel diplomatique, administratif et technique alors que lesdites dépenses ne sont pas prévues par l’article 9 du décret n°96-044/P-RM du 8 février 1996, modifié, fixant les avantages accordés au personnel diplomatique, administratif et technique dans les missions diplomatiques et consulaires de la République du Mali. Le montant total des dépenses indues payées s’élève à 10 879 333 FCFA”.
L’ambassadeur et le secrétaire agent comptable ont
effectué des dépenses fictives de frais scolaires.
Sur cet aspect, la mission de contrôle a constaté que “l’ambassadeur et le SAC ont effectué des dépenses fictives de frais scolaires. En effet, sur les fonds reçus de la PGT en mai 2023, l’ambassadeur, ordonnateur des dépenses, a procédé au virement des frais scolaires de trois (3) enfants au titre du 3ème trimestre 2022/2023, du compte bancaire de l’ambassade vers son compte personnel. Ledit virement a été réalisé grâce au système de ‘E-Banking’ le 24 mai 2023. Ce système permet à l’ambassadeur, à partir de son téléphone portable, d’effectuer des mouvements de fonds sur le compte bancaire de l’ambassade. Le montant viré dans le compte personnel de l’ambassadeur est de 4 855 482 F CFA. Or, ce même montant a déjà été payé par virement bancaire de l’ambassade en mars 2023. Dans la comptabilité de décembre 2023, le SAC a justifié les frais de scolarité du 1er trimestre 2023/2024 de deux (2) élèves par deux (2) factures délivrées par les établissements scolaires en lieu et place de reçus de paiement. Or, les mêmes frais ont été réclamés par l’école à travers une relance d’impayés du 11 mars 2024”.
Ce n’est pas tout. Puisque la mission de vérification précise que “suite à cette relance, le SAC a procédé au paiement desdits frais en mars 2024 justifiés par des reçus délivrés par l’établissement scolaire. Il s’ensuit donc que le paiement effectué en décembre 2023 est fictif. Le montant de cette irrégularité s’élève à 2 418 915 F CFA. Le SAC a également justifié, dans la comptabilité de mai 2024, le paiement des frais scolaires du 2e trimestre 2022/2023 d’un (1) élève par la facture n°23245153 du 30 janvier 2024 alors que ces frais de scolarité avaient déjà été justifiés en avril 2023 sur la base de la même facture. Le montant de cette irrégularité s’élève à 1 490 999 F CFA. Il a également justifié dans la comptabilité de décembre 2022 des frais de transport du 1er trimestre 2022/2023 de deux (2) élèves par une relance d’impayés d’un établissement scolaire ne valant pas reçu de paiement. D’ailleurs, ce paiement supposé ayant été fait depuis décembre 2022 figure toujours sur la dernière relance d’impayés de l’établissement scolaire à la date du 4 décembre 2024. Le montant de cette dépense fictive est de 669 554 F CFA.
Par ailleurs, la PGT a mis à la disposition de l’AMAD un montant de 27 241 478 FCFA suivant le mandat n°1792 et l’ordre de transfert n°0124339 du 7 mai 2024. Sur ce montant, l’ambassadeur a procédé au paiement de frais scolaires pour un montant total de 18 923 322 F CFA, soit un écart de 8 318 156 F CFA qui n’étaient pas disponibles dans le compte de l’ambassade au passage de l’équipe de vérification. Le montant total des dépenses fictives de frais de scolarité s’élève à 17 753 106 F CFA”.
L’ambassadeur et le secrétaire agent comptable n’ont pas justifié des retraits effectués sur le compte de l’ambassade.
Les enquêteurs du BVG ont révélé que “l’ambassadeur et le secrétaire agent comptable n’ont pas justifié des retraits effectués sur le compte de l’Ambassade. En effet, ils ont établi des chèques pour des dépenses qui ne s’adossent à aucune pièce justificative. Lesdits chèques, portés à l’ordre d’eux-mêmes, ont été débités sur le compte bancaire de l’ambassade. Le montant total des retraits non justifiés s’élève à 34 502 266 F CFA”.
L’ambassadeur et le secrétaire agent comptable n’ont
pas justifié l’utilisation de fonds destinés au paiement de
salaires et accessoires du personnel local de l’ambassade.
Sur ce volet, l’équipe de vérification a constaté que “l’ambassadeur et le SAC n’ont pas justifié l’utilisation de fonds destinés au paiement de salaires et accessoires du personnel local de l’ambassade. La PGT a viré chaque mois de janvier 2022 à septembre 2024 une ligne supplémentaire d’un montant de 1 500 000 F CFA dans le compte de l’ambassade pour la prise en charge des cotisations sociales du personnel local. Ce montant est viré au compte du numéro matricule «0151358Y» avec «AMBAMALI» comme nom et ‘Abu-Dhabi’ comme prénom. Or, la réglementation du pays d’accréditation n’admet pas le paiement de cotisations sociales pour les travailleurs étrangers. De plus, l’examen des états de paiement des salaires a permis à l’équipe de vérification d’établir que l’AMAD n’a payé aucune cotisation sociale au profit du personnel local durant la période sous revue. A la requête de l’équipe de vérification, l’ambassadeur et le SAC n’ont pu fournir aucune pièce justifiant l’utilisation du montant envoyé au titre de la rubrique «AMBAMALI». Le montant non justifié pendant la période sous revue s’élève à 49 500 000 F CFA. Par ailleurs, trois (3) agents relevant du personnel contractuel de l’AMAD ont été licenciés par l’ambassadeur entre mai et septembre 2023. Ces licenciements n’ont pas été portés à la connaissance de la direction des ressources humaines (DRH) du Secteur des affaires étrangères. De leur licenciement en mai 2023 jusqu’en septembre 2023, la DRH du Secteur des affaires étrangères a ordonné le transfert des salaires desdits agents dans le compte de l’ambassade.
Au lieu de rapatrier les montants ainsi reçus, l’ambassadeur les a justifiés par des états émargés au nom des bénéficiaires qui n’étaient plus en fonction à l’AMAD. Par correspondance du 20 mars 2024, le SAC avait invité l’ambassadeur à signaler à la DRH du Secteur des affaires étrangères la situation desdits agents licenciés depuis longtemps et dont les salaires continuaient à être virés dans le compte bancaire de l’ambassade. Le montant total des salaires irrégulièrement justifiés s’élève à 5 858 600 F CFA. Enfin, au titre du salaire de juillet 2023, le SAC a justifié un montant de 532 600 F CFA par un état signé par un (1) chauffeur n’ayant jamais fait partie du personnel de l’ambassade. Le montant de cette dépense fictive s’élève à 532 600 F CFA. Le montant total des salaires et accessoires irrégulièrement justifiés s’élève à 55 891 200 F CFA”.
L’ambassadeur n’a pas justifié des dépenses relatives
aux charges locatives de l’ambassade
Le BVG a estimé que “l’ambassadeur n’a pas justifié des dépenses relatives aux charges locatives de l’ambassade. En effet, il n’a pas justifié des montants mis à sa disposition par la PGT au titre des charges locatives. En 2022 et en 2024, il a ordonné le retrait du montant de 298 131 837 F CFA envoyé par la PGT au titre des charges locatives sur lequel il a justifié 276 919 185 F CFA, soit un écart non justifié de 21 212 652 F CFA. De même, il n’a pas fourni les pièces justificatives probantes des dépenses de charges locatives. Lesdites dépenses ont été justifiées par des factures d’information et des factures pro forma délivrées par les établissements hôteliers en lieu et place des reçus attestant les paiements effectués. D’une facture à une autre, les périodes de séjour de l’ambassadeur à l’hôtel se chevauchent. Les montants ont été retirés par chèque et aucune preuve de paiement n’a été mise à la disposition de l’équipe de vérification. Le montant des paiements irrégulièrement justifiés s’élève à 9 596 668 F CFA. Le montant total des dépenses de charges locatives non justifiées s’élève à 30 809 320 F CFA”.
L’ambassadeur a effectué des dépenses indues de soins médicaux
S’agissant des soins médicaux, la mission de contrôle a constaté que l’ambassadeur a effectué des dépenses indues. “Entre avril et mai 2022, l’ambassadeur a pris en charge sur le budget d’Etat des frais de consultation médicale et de soins dentaires à hauteur de 100 %. Or, la réglementation en vigueur prévoit que les dépenses de consultation médicale soient supportées par l’Etat à hauteur de 80 %, les 20 % restants étant à la charge des bénéficiaires. De même, les soins dentaires sont supportés sur le budget d’Etat à hauteur de 50 %, le reliquat est à la charge des bénéficiaires.
Les dépenses ont fait l’objet de virements effectués par l’ambassadeur à partir du compte bancaire de l’ambassade à travers le système E-Banking. Le montant total de cette irrégularité s’élève à 112 820 F CFA”, précise le rapport.
L’ambassadeur n’a pas justifié des fonds de l’ambassade virés sur son compte bancaire personnel.
Et la mission a constaté que “l’ambassadeur n’a pas justifié des fonds de l’ambassade virés sur son compte bancaire personnel. Il ressort des relevés bancaires de l’AMAD que l’ambassadeur, en violation du principe de séparation des fonctions d’ordonnateur et de comptable public, a agi Gestion de l’Ambassade du Mali à Abu Dhabi – Vérification financière – Exercices : 2021, 2022, 2023 et 2024 (30 septembre) 23 en comptable de fait en procédant au maniement des fonds domiciliés sur le compte bancaire de l’ambassade. En effet, en dehors de toute habilitation, il a utilisé le système ‘E-Banking’ pour transférer des fonds du compte bancaire de l’ambassade vers son compte personnel, grâce à une application installée sur son téléphone. Parmi les virements effectués figurent les salaires d’agents contractuels de l’ambassade et diverses opérations relatives à des dépenses pour lesquelles l’équipe n’a pu disposer d’aucune pièce justificative. Cette immixtion de l’ambassadeur dans les fonctions de comptable public a été signalée par le SAC au ministre chargé des Affaires étrangères suivant lettre sans numéro du 21 juin 2024. Par la suite, le ministre chargé des Affaires étrangères a informé celui chargé des Finances suivant la lettre n°0002589/MAECI-SG-DFM du 5 juillet 2024. En réponse, le ministre chargé des Finances a rappelé, suivant la Lettre n°002325/MEF-SG du 19 juillet 2024, le caractère illégal du comportement de l’ambassadeur et invité le ministre chargé des Affaires étrangères à prendre les dispositions en vue d’assurer un climat de travail apaisé au sein de l’ambassade. Durant la période sous revue, le montant total irrégulièrement viré par l’ambassadeur sur son compte bancaire personnel s’élève à 22 939 080 F CFA”.
Le secrétaire agent comptable n’a pas justifié un écart de caisse
L’équipe des enquêteurs ont constaté que “le secrétaire agent comptable n’a pas justifié un écart de caisse. En effet, il ressort du PV de passation de service signé le 27 mai 2024 entre les SAC entrant et sortant un écart de caisse non justifié de 23 980 223 F CFA”.
Le secrétaire agent comptable a procédé à des paiements indus d’indemnités de déplacement et de mission.
Parlant des indemnités de déplacement et de mission, l’équipe de vérification a constaté que “le SAC a procédé à des paiements indus. En effet, sur la base de l’Ordre de mission n°026/AMAD/2022 du 31 mars 2022 relatif à la rencontre avec les partenaires dans le cadre de la demande d’appui humanitaire adressée au Croissant Rouge des Emirats arabes unis, il a payé à l’ambassadeur et au chauffeur des indemnités de déplacement et de mission pour cinq (5) jours alors que la mission a été effectuée en quatre (4) jours. Le montant indu payé correspondant à un (1) jour de mission non effectué est de 130 000 F CFA. Il a utilisé le même ordre de mission pour justifier des indemnités de déplacement et de mission de mars 2022 pour un montant de 435 666 F CFA. Au titre de janvier 2022, le SAC a établi deux (2) états de paiement différents et fourni des reçus de test Covid-19 au nom de six (6) agents de l’ambassade pour justifier les indemnités d’une seule et même mission effectuée par deux (2) personnes suivant l’Ordre de mission n°11/01/AMAD du 11 janvier 2022. Or, la même mission a été justifiée par des reçus des 21 et 28 janvier 2022 alors qu’elle n’a duré qu’un (1) jour, le 11 janvier 2022. Le montant total indu payé s’élève à 230 792 F CFA. En janvier 2021, il a justifié des indemnités de mission par des reçus de dîner de restaurant et des reçus datant du 24 janvier 2021 au nom de quatre (4) agents de l’Ambassade n’ayant pas effectué ladite mission qui s’est déroulée du 21 au 24 octobre 2020. En effet, leurs noms ne figurent pas sur l’ordre de mission n°03/AMAD/SCpté/2020 du 10 octobre 2020 qui ne concerne que l’Ambassadeur ayant effectué seul la mission par vol”. Avant de préciser que “le montant de cette irrégularité est de 165 374 F CFA.
Au compte de juillet 2022, le SAC n’a pu justifier des dépenses d’indemnités de déplacement et de mission d’un montant total de 1 548 218 F CFA par des pièces probantes telles que les états d’émargement et l’ordre de mission. Le montant total des indemnités de déplacement et de mission irrégulièrement payées s’élève à 2 510 050 F CFA”.
Le secrétaire agent comptable a justifié des dépenses par des pièces non conformes
Et enfin, l’équipe de vérification a constaté que “le SAC a justifié des dépenses par des pièces non conformes. En effet, il a justifié lesdites dépenses par des factures pro forma issues de cotations ou des factures non libellées au nom de l’Ambassade, des états de paiement d’appuis financiers indus, de reçus de dépôt de cautions remboursables. Le montant total des dépenses justifiées par des pièces non conformes s’élève à 2 694 134 F CFA”.
El Hadj A.B. HAIDARA avec le rapport du BVG