Le cercle des contempteurs de la Transition s’agrandit sur la scène politique à l’allure d’un front de résistance en pleine expansion. En tout cas, les langues se délient de partout et annoncent des lendemains de moins en moins radieux pour le pouvoir en place. On eut dit que la dépolitisation de la Transition est probablement passée par-là. Enclenché depuis l’avant-dernier remaniement, le processus ne s’est accompli avec l’éviction définitive de Choguel Maïga, au bout d’une longue période d’ostracisme régalien. Seulement voilà : le dernier remaniement ministériel n’a pas seulement débarrassé l’Exécutif transitionnel de son gênant chef du gouvernement; il l’a aussi nettoyé des ultimes traces de son aile politique, en brisant notamment l’espoir des tendances instrumentalisées pour ce faire. De quoi grossir les rangs des frustrés et expliquer le soutien de plus en plus nuancé d’un certain Me Tall, visiblement agacé de vaines attentes de son heur de rectification à lui. Lors de sa traditionnelle rencontre annuelle avec la presse, en effet, le président du CNID, non moins dissident du M5-RFP, a choisi de franchir une nouvelle phase de son rapport à la transition et ne s’est embarrassée comme à ses habitudes des formules de retenues et de réserves sur certaines dérives qu’il a longtemps avalées comme des couleuvres . «Une transition, quelle que soit la qualité de ceux qui la dirigent, plus ça dure, plus c’est dur. Et c’est vraiment dur aujourd’hui», avait-il lancé, entre autres diatribes à l’encontre des pouvoirs qu’il prenait soin de caresser avant l’exclusion complète de l’aile politique de Transition. Il va sans dire que Me Mountaga Tall se sente tout aussi excédé par la mainmise militaire sur les fruits d’une lutte que l’armée est censée avoir seulement parachevée. «Que la Transition devienne purement militaire aujourd’hui, c’est une critique qui va continuer à revenir. Mais c’est ce qu’il fallait éviter», avait-il renchéri par la même occasion, en tournant en dérision les options souverainistes des autorités en ces termes : «La souveraineté ce n’est pas combattre les autres, la souveraineté, c’est assumer ses responsabilités et assurer au peuple son bien-être par les besoins fondamentaux». Autant de l’aphorismes critiques qui traduisent, selon les observateurs avertis, l’amorce d’une démarcation progressive à défaut d’une rupture définitive entre les autorités de Transition et le président du CNID-FYT.
La tendance est davantage prononcée du côté du président du MPR, qui vient de rejoindre à la hâte son ancien compagnon du M5 dans sa perception selon laquelle «Nul ne rend service à un pouvoir établi en lui conseillant de se soustraire à l’organisation des élections». Au détour d’une restitution de son passage à la Primature, ce week-end, l’ex PM de la rectification faisait ses choux gras d’un sujet qui gêne le sommet de l’Etat aux entournures et que beaucoup d’acteurs ont payé de leur liberté, à savoir : la brûlante problématique de légitimité des autorités. Selon Choguel Maïga, le président de la Transition a tout faux d’agir et de se sentir dans la peau d’un président démocratiquement élu alors qu’il ne doit son autorité qu’à un «compromis politique». Il en veut pour argument, la nullité de la nouvelle constitution dont la promulgation, à ses yeux, n’emporte une entrée en vigueur qu’après l’élection présidentielle. Et l’ex PM en disgrâce de s’en référer à la défunte constitution qui n’a été effective que le 8 Juin 1992 après son adoption en février de la même année.
Ce faisant, il n’ignore certainement pas qu’il soulève insidieusement une question assez ambivalente sur fond de sous-entendus sur la teneur des textes fondamentaux antérieurs (charte et ancienne constitution) auxquels le président de la Transition est lié par un serment d’inéligibilité à la présidentielle. Sauf qu’en la matière, le président du Comité Stratégique en a le ventre plein de couleuvres, pour n’avoir jamais renoncé à faire référence à la nouvelle constitution constamment visée dans tous les actes et textes législatifs contresignés par la Primature. Son extrême sujétion à l’autorité de fait lui imposait ainsi cette posture indifférente assez fraîche dans les mémoires pour qu’on s’interroge sur les motivations profondes d’un réveil aussi vigoureux et tardif sur les limites des prérogatives d’un président de transition. Il intervient notamment après avoir cautionné la transgression les uns après les autres les domaines exclusivement réservés à un président investi de suffrages populaires : la présidence du conseil supérieur de la magistrature, l’initiative d’une révision de la constitution ou d’engager le retrait du pays d’organismes sous-régionaux, soit d’abroger des traités, entre autres.
Quant à la durée de la Transition, c’est par la faute des mêmes acteurs du M5 qu’elle s’était noyée dès le départ dans les méandres des calculs, marchandages et positionnements entre militaires du CNSP et politiques du M5. À un point tel que la question en était devenue une zone interdite pour certains qui ne rêvaient que d’une place au soleil, puis d’autres qui ambitionnaient une éventuelle transmission du pouvoir.
Sur le retour à l’ordre constitutionnel et la mise en veilleuse des principes démocratiques, des voix audibles comme Me Mountaga Tall ont par exemple constamment botté en touche, tandis que naguère encore Choguel Maïga soutenait, avec le zèle d’un cerbère, que «les élections ne sont pas une fin en soi» et que s’y attacher s’assimile à une insouciance devant les équations sécuritaires et le tribut que leur paie l’armée et les «Monébo Denw». Ce faisant, l’ex-PM déroge pour le moins au serment qu’il s’était donné d’éviter tout acte porteur de déstabilisations des fondements de la Transition qu’il a contribué à asseoir, à travers entre autres des assises nationales et une journée de souveraineté hissée au rang de consultation électorale.
A. KEÏTA