Le dernier Afrobaromètre1, un réseau panafricain et indépendant de recherches, est consacré au recul de la démocratie en Afrique, plus spécialement le cas du Mali, fortement corrélé pour les auteurs de l’étude à la mise en place de régimes militaires ces dernières années (1).
Un article d’Olivier Vallée
Il ressort de l’enquête que plus de la moitié des Africains se disent prêts à tolérer une intervention militaire « lorsque les leaders élus abusent de leur pouvoir pour leurs propres intérêts », même si deux tiers d’entre eux rejettent les régimes militaires institutionnalisés. Bien que les jeunes africains se distinguent peu de leurs aînés dans leur soutien à la démocratie, ils se montrent plus disposés à tolérer les interventions militaires.
Le peu de véritable opposition que rencontrent les régimes militaires qui se sont installés récemment tient en partie à la déception que la démocratie aux mains des civil a suscité. Selon Afrobaromètre, les indicateurs de la gouvernance démocratique par les dirigeants élus ont soit diminué au fil du temps, comme pour le respect des présidents pour les tribunaux et le Parlement, soit stagné à des niveaux très bas, comme dans le cas du traitement égalitaire devant la loi.
Géographiquement cette désa[ection n’est pas identique. En Afrique de l’Est, la satisfaction populaire vis-à-vis de la démocratie est très sensible en Zambie, en Ouganda et aux Seychelles où le rejet d’un épisode militaire est net. « Le contraste avec le Mali et le Burkina Faso – deux pays qui ont récemment connu des coups d’État militaires et sont actuellement sous régime militaire – ne pourrait être plus net : Moins d’un Malien sur cinq (18%) et un Burkinabé seulement sur quatre (25%) rejettent cette alternative autoritaire. » L’adhésion que rencontrent les élites martiales à la tête de ces deux pays n’est donc pas simplement de la propagande o[icielle des nouveaux dirigeants et de leurs soutiens militants. L’armée gagne la partie en succédant à des équipes civiles dévaluées par des années de déni de la véritable démocratie et d’absence de fonctionnement impartial de l’État. Au Niger, les sondés qui s’opposent au conseil militaire qui dirige le pays sont plus nombreux qu’au Mali, mais encore minoritaires. La vie politique nigérienne a été plus dynamique et polarisée à la fois qu’au Mali et au Burkina. Au sein même de la junte et de l’exécutif civil à Niamey, les tenants du PNDS, le parti d’Issoufou et de l’ex-président déchu, Bazoum, sont encore présents et actifs, ce qui induit un certain partage du pouvoir et à terme aussi le retour devant les urnes, au moins à l’échelle municipale.
La situation actuelle d’acceptation de l’épisode militaire au Mali doit beaucoup à la guerre civile qui déchire le Sahel. En e[et, il y a 10 ans, la majorité des pays africains rejetaient le pouvoir militaire. Et ce n’est pas un hasard si le Mali et le Burkina Faso sont aujourd’hui les pays qui acceptent le mieux le régime militaire. Mais dans 14 autres pays, dont la Côte d’Ivoire, le Cameroun et même le Ghana, le refus d’une prise du pouvoir par l’armée a diminué en pourcentage des sondés.
A travers 39 pays, 53% des répondants sont disposés à accepter que l’armée prenne le contrôle du gouvernement « lorsque les leaders élus abusent de leur pouvoir pour leurs propres intérêts », tandis qu’une minorité de 42% a[irment que l’armée ne devrait jamais intervenir en politique. Les faits sont là, depuis 2020, des soldats ont renversé des gouvernements démocratiquement élus dans six pays – le Burkina Faso, le Gabon, la Guinée, le Mali, le Niger et le Soudan – dans le cadre d’une série de coups d’État militaires qui semblaient parfois bénéficier d’un certain soutien populaire.
Le scandale n’est pas l’apanage des hommes en uniformes qui se passent des urnes mais on le trouve aussi du côté des présidents de Côte d’Ivoire, du Togo et du Gabon d’avant le coup d’État qui ont réussi – comme plusieurs autres avant eux – à contourner la limitation des mandats pour rester au pouvoir. Les dirigeants du Bénin, de la Tunisie et d’autres pays ont recouru à divers artifices pour compromettre l’ordre politique démocratique, en a[aiblissant les mécanismes institutionnels de surveillance de leur autorité, ou en harcelant l’opposition politique, en imposant des censures médiatiques et même, dans le cas de la Tunisie, en suspendant le Parlement.
La terreur des groupes armés, au Mali, rejoint le peu d’exemplarité des systèmes politiques conventionnels des États voisins pour conforter soit l’indi[érence, soit le soutien de la population au nouveaux maitres en treillis. Les transitions démocratiques du fait de nombreux revers et détournements sont arrêtées ou en régression, y compris hors du Mali. Cependant encore une fois l’Afrique de l’Est inscrit sa di[érence. En 2021, les électeurs zambiens ont résolument rejeté le retour à l’autoritarisme de leur pays, en élisant haut la main le candidat de l’opposition et actuel président, Hakainde Hichilema. Les citoyens activistes, les journalistes, les artistes et la jeunesse africaine se sont également mobilisés, combinant de façon créative les nouvelles technologies et les vieilles méthodes de protestation afin de lutter contre la corruption et d’obtenir une meilleure gouvernance.
Afrobaromètre est bien conscient que le Mali a connu une trajectoire spécifique qui a conduit à la mainmise d’un groupe de colonels sur l’espace politique avec une réduction des formes démocratiques. Mais les évolutions négatives de la gouvernance démocratique au Mali remontent au début de la dernière rébellion Touareg en 2012. Le pays est en e[et l’épicentre d’une crise sécuritaire longue de plus d’une décennie dans l’ensemble du Sahel. De multiples interventions militaires régionales et occidentales ne sont pas parvenues à rétablir la stabilit́é dans les régions contrôlées par les rebelles armés, les groupes militants islamistes et les milices d’autodéfense.
Le conflit a engendré une crise humanitaire, exacerbée par les changements climatiques et les violences intercommunautaires. Ce triste paysage est souvent dissimulé par les partenaires et les voisins de la CEDEAO et de l’UEMOA qui imposent des sanctions à toute la population malienne. Sans dialogue externe ni interne sur le diagnostic des problèmes économiques, de la corruption, et du contrôle du territoire national, le gouvernement militaire s’exonère de tout débat sur les options de sortie de crise. D’après Afrobaromètre, il surfe sur le fait que le rejet du régime militaire s’est e[ondré au lors des coups d’État, passant de 70% à 18% des répondants. Parallèlement, en dépit de la vigilance du Sphinx et de ses rappels on assiste à un recul (de 76% à 21%) de la perception de l’aggravation de la corruption dans le pays par le public.
Afrobaromètre note, à travers les enquêtes réalisées avant et après les coups d’État, que la confiance en la capacité du gouvernement à riposter à la violence est la plus faible, et le soutien à la démocratie le plus élevé, dans les régions du Nord et du Centre les plus touchées par la crise sécuritaire. Quand les forces de défense échouent à endiguer la destruction de la cohésion nationale, la démocratie réapparait comme une solution.
L’enquête au Mali produit donc des réponses contrastées selon les régions. Les attitudes qu’elles révèlent dessinent un Mali fracturé entre le Sud urbain prêt à la suspension des formes habituelles de la vie démocratique contre le retour à la paix et à la sécurité, et les zones de guerre où l’armée n’apporterait pas de solutions. A Bamako principalement, comme on l’a indiqué, la corruption semble aux enquêtés moins prégnante que sous les régimes civils, en particulier celui d’IBK. Mais ce sentiment n’est-il pas une forme de prix à payer pour le soulagement illusoire de la tranquillité de la capitale ? En acceptant de renoncer à leurs droits contre la poursuite du conflit à distance est-ce que les citoyens maliens ne compromettent pas le vivre ensemble, en ville comme dans les campagnes ?
Au Mali, la forme démocratique de la vie civique avait reçu des coups de boutoir depuis des décennies. Les scandales des années IBK, l’absence d’un véritable audit sur les comptes publics, l’impunité des principaux corrompus se combinent pour considérer les militaires comme à la fois un répit et une alternative. Cependant les limites de cette autre voie qu’est la gestion autoritaire du pays apparaissent vite. EDM incapable de fournir su[isamment d’électricité et bientôt même de payer ses agents, les hôpitaux surchargés, le délabrement de la capitale entourée de réfugiés. Tout cela certes, n’est pas imputable aux militaires aux manettes. Mais le désaveu de la démocratie formelle et des élus malhonnêtes qui expliqua la popularité du nouveau pouvoir kaki finira par s’estomper. Sa véritable réussite serait de faire la paix et de contribuer à la renaissance d’une expression populaire plus forte.
(1) Afrobarometer, une organisation à but non-lucratif dont le siège se trouve au Ghana, est La coordination régionale de plus de 35 partenaires nationaux est assurée par le Ghana Center for Democratic Development (CDD-Ghana), l’Institute for Justice and Reconciliation (IJR) en Afrique du Sud, et l’Institute for Development Studies (IDS) de l’University of Nairobi au Kenya. Michigan State University, University of Cape Town et University of Malawi apportent un appui technique au réseau. Sous le vocable francophone Afrobaromètre, une enquête annuelle rend compte de l’évolution des perceptions de la population africaine sur la vie publique.
Source: https://mondafrique.com/