À Bamako la capitale, le coup de balai des vérificateurs et auditeurs publics n’a pas manqué de porter ses effets. Non seulement l’insalubrité y est ambiante, mais la gestion des déchets domestiques et ordures ménagères n’est pas de tout repos. C’est dans ce contexte que le rapport de l’OCLEI (Office central de lutte contre l’Enrichissement illicite) est tombé pour apporter des éclairages sur les préoccupations des autorités quant la nébuleuse que constitue la gestion de l’insalubrité dans la ville de Bamako où la population est confronté au quotidien à ce problème majeur en l’absence de rotation des bennes d’enlèvement des ordures ménagères en général et des déchets liquides et solides plus particulièrement créant des frictions entre mitoyens parfois. Ce phénomène persiste depuis maintenant plusieurs années.
Pour rappel, dans le cadre de la Décentralisation, la gestion des déchets solides est une compétence transférée aux Collectivités Territoriales par le décret N°2014-0572/P-RM du 22 juillet 2014. À ce titre, dans le domaine de l’assainissement et de la lutte contre les pollutions et nuisances, les municipalités ont un rôle prépondérant à jouer.
Le rapport d’analyse sur les compétences transférées aux collectivités territoriales et des contrats liés à l’assainissement de la ville de Bamako et noués par la Mairie du District de 2014 à 2022 a révélé ses conclusions, suite à une mission qui s’est déroulée dans le cadre de ses prérogatives. l’OCLEI a passé en revue tous les contrats liés à l’assainissement de la ville de Bamako, et plus spécifiquement, l’analyse a porté sur la mise en œuvre de la convention de gestion déléguée des services de propreté de la ville de Bamako conclue entre la Mairie du District et la société OZONE Mali sur la période de 2014 à 2022. Pour mener à bien ces travaux jusqu’à leur terme, l’habilitation n°2023-0000001/OCLEI-SG du 09 novembre 2023 a été délivrée par le Président de l’OCLEI à une équipe du Pôle Investigations. Cette équipe a fait plusieurs remarques. Primo, la Convention de la gestion des services de propreté de la ville de Bamako a été conclue dans des conditions opaques ; secundo l’Etat s’est substitué à la Mairie du District pour le paiement des prestations de la société OZONE Mali ; tertio, la Mairie a engagé et payé d’autres prestataires pour le nettoiement sur la période sous contrat avec la société OZONE Mali. Tout cela fait désordre aux yeux de l’équipe d’investigations. Car la facturation au forfait a entrainé une dépense indue de 20,3 milliards de FCFA.
Conséquence : le Ministre des Finances a engagé l’Etat à rembourser 18 milliards de FCFA empruntés par OZONE Mali. Le président de l’Office central de Lutte contre l’Enrichissement illicite (OCLEI) a donc transmis, pour leurs observations, le rapport provisoire par Lettre n°000356/OCLEI-P du 13 août 2024 au Ministre de l’Environnement, de l’Assainissement et du Développement durable, par Lettre n°000357/OCLEI- P du 13 août 2024 au Ministre de l’Economie et des Finances et, par Lettres n°2024-358/OCLEI du 13 août 2024 et n°2024-0480/OCLEI du 30 octobre 2024 à la Mairie du District de Bamako. Pour obtenir des éléments de réponse aux questions soulevées par son équipe d’investigations. En résumé, il en résulte que les éléments de réponse reçus par l’OCLEI figurent en encadré dans son présent rapport qui couvre la période allant de 2014 à 2022.
L’Office central de Lutte contre l’Enrichissement illicite (OCLEI) fait observer que la Mairie du District a engagé 87 milliards de francs CFA dans l’assainissement de la ville de Bamako. Ce montant résulte de la Convention de gestion des services de propreté de la ville de Bamako avec la société Ozone Mali du groupe marocain Ozone Environnement et Services, pour un montant annuel de 9 197 141 781 FCFA sur une durée de 8 ans, et celle de contrats avec des groupements d’intérêt économique pour 13 459 223 148 FCFA entre 2019 et 2022. Une nébuleuse que l’OCLEI a déplorée dans le processus de conclusion et de signature de la Convention de la gestion des services de propreté de la ville de Bamako, parce qu’il s’est déroulé dans des circonstances opaques.
À signaler que les échanges sur les prestations et leurs coûts ont été bouclés sans une intervention documentée des services techniques compétents, notamment ceux de la Mairie du District de Bamako, du Ministère chargé des collectivités territoriales et du Ministère de l’Economie et des Finances, a noté l’OCLEI, qui n’a trouvé aucun document attestant une analyse rigoureuse et documentée sur les besoins, la faisabilité du projet, la nature et le volume des prestations, les voies et moyens de stockage et de traitement des déchets collectés, la typologie et le nombre des ressources humaines requises. Sans compter qu’il n’y a eu aucune évaluation financière permettant de déterminer les montants à payer par le Mali ni leurs modalités.
À ce point d’analyse, l’OCLEI fait remarquer que le Ministre de l’Environnement, de l’Eau et de l’Assainissement a conduit le processus de conclusion de la convention en apposant sa signature, alors qu’il n’était ni autorité concédante ni autorité de tutelle de la Mairie du District. Ce qui est d’autant plus grave qu’il s’agit de commande publique. Au détail près, le rapport met en évidence, à la date du 31 décembre 2022, selon les données reçues à son siège, des paiements effectués à la société OZONE Mali de la somme de 25.318.335.372 FCFA au titre de ses prestations sur la période. Sur ces paiements, 24.605.857.262 FCFA, soit 97% du montant, proviennent du budget national à travers des subventions accordées par le Ministre de l’Economie et des Finances.
Par contre, la Mairie n’a payé sur ses fonds propres que 712.478.110 FCFA, soit 3% des paiements effectués. L’OCLEI en déduit que parallèlement à l’exécution de la Convention avec la société OZONE Mali, la Mairie du District a, de 2019 à 2022, contracté également avec d’autres prestataires des marchés de nettoiement pour lesquels elle a engagé par contre 13.459.223.148 FCFA et payé 4.894.129.617 FCFA sur ses fonds propres. Ce n’est pas tout, puisque, de 2015 à 2019, les autorités de la Mairie du District de Bamako ont permis à la société OZONE Mali de procéder à une facturation forfaitaire de ses prestations. Ce qui est aussi gravissime, car par ce système de facturation ils font ressortir un taux d’exécution de 100%, obligeant la Mairie à payer la totalité des prestations prévues dans le bordereau des prix. En procédant ainsi, le montant total facturé par la société OZONE Mali s’est élevé à 42.504.956.354 FCFA sur cette période. L’évaluation faite par l’équipe d’investigations de l’OCLEI sur les prestations réellement exécutées fait ressortir 22.152.848.721 FCFA. Or le montant facturé dépasse de 20.352.107.633 FCFA la réalité des prestations effectuées. C’est le comble !
De plus, note le rapport, en juin 2020, le Ministre de l’Economie et des Finances a engagé l’Etat, à travers l’octroi d’une garantie autonome à un pool bancaire, au remboursement d’un prêt bancaire de 18.007.549.044 FCFA accordé à la société OZONE. Il est presque normal de dire que la Mairie du District, bien qu’étant la partie contractante de la Convention, n’a pas été associée à la conclusion de ce prêt bancaire.
Pour tous ces faits épinglés, l’Office central de Lutte contre l’Enrichissement illicite recommande aux autorités : d’impliquer en temps opportun les services techniques dans les évaluations techniques et financières préalables à la signature d’une convention de délégation de service public ; de ne pas impliquer officiellement des services et responsables qui n’ont pas d’attributions légales dans la signature d’une convention de délégation de service public ; d’identifier les sources de financement et le mécanisme de mobilisation des ressources avant la signature de toute convention de délégation de service public ; de déterminer la nature et l’étendue des besoins de manière exhaustive et avec précision afin d’éviter l’attribution de contrats parallèles ayant les mêmes objectifs.
En conclusion, le caractère opaque de la négociation et de la conclusion de la Convention de la gestion des services de propreté de la ville de Bamako entre la Mairie du District et la société OZONE Mali explique, principalement, les difficultés rencontrées par les parties pour sa mise en œuvre, dit le rapport. Cette opacité dans laquelle la convention a été conclue a impacté négativement l’intérêt et l’engagement de ces acteurs dans le suivi, le contrôle et le règlement des prestations de nettoyage et d’assainissement de la ville de Bamako par la société OZONE Mali.
L’approche adoptée par les autorités l’a été au détriment des principes fondamentaux régissant la commande publique, à savoir l’économie et l’efficacité du processus d’acquisition et la transparence dans les procédures, ajoute-t-il.
L’ensemble des manquements observés n’a pas favorisé les conditions de la transparence et de la légalité requises à l’établissement et à l’exécution judicieux de la convention dans l’intérêt général. Des acteurs majeurs des services techniques ayant un rôle à jouer en amont et en aval de la signature de la convention n’ont pas été impliqués avant l’étape de la conclusion de ladite convention. Afin d’assurer une saine gestion des ressources publiques, l’Office central de Lutte contre l’Enrichissement illicite a formulé ses recommandations citées plus haut.
L’Office central de Lutte contre l’Enrichissement illicite (OCLEI) a été créé par l’Ordonnance n°2015-032/P-RM du 23 septembre 2015. Le Décret n°2015-0719/P-RM du 09 novembre 2015 en fixe l’organisation et les modalités de fonctionnement. Il est une autorité administrative indépendante telle que prévue aux articles 46 à 49 de la Loi n°2014-049 du 19 septembre 2014 fixant les principes fondamentaux de la création, de l’organisation, du fonctionnement et du contrôle des services publics. Conçu colle outil d’amélioration de la gouvernance publique mis en place par l’Etat du Mali, d’une part, pour accélérer l’atteinte de ses objectifs de transparence et de bonne gestion des ressources publiques et, d’autre part, pour mettre en œuvre les obligations qui lui incombent en vertu des instruments communautaires, régionaux et internationaux de lutte contre la corruption et les infractions assimilées, l’OCLEI a pour mission de mettre en œuvre l’ensemble des mesures de prévention, de contrôle et de lutte envisagées au plan national, sous régional, régional et international contre l’enrichissement illicite. À ce titre, il est chargé, entre autres, d’effectuer ou de faire effectuer des études périodiques sur l’évolution des techniques utilisées aux fins d’enrichissement illicite ; de centraliser les informations nécessaires à la détection et à la prévention des faits d’enrichissement illicite ; d’animer et de coordonner, en tant que de besoin, aux niveaux national et international, les moyens d’investigations dont disposent les administrations ou services pour la recherche des infractions induisant des obligations de déclaration ; d’émettre un avis sur la mise en œuvre de la politique de l’Etat en matière de lutte contre l’enrichissement illicite et de proposer toutes réformes nécessaires au renforcement de l’efficacité de la lutte contre l’enrichissement illicite ; de susciter et de promouvoir au sein des institutions et des organismes publics et parapublics des mécanismes destinés à prévenir, détecter et faire réprimer l’enrichissement illicite ; d’évaluer périodiquement l’impact des stratégies et les performances atteintes ; de recommander toutes réformes, législative, réglementaire ou administrative, tendant à promouvoir la bonne gouvernance, y compris dans les transactions commerciales internationales.
Les études réalisées par l’OCLEI peuvent aboutir à l’ouverture d’investigations financières pour présomption d’enrichissement illicite contre les personnes impliquées.
Khaly-Moustapha LEYE