Les sages de la Cour constitutionnelle blackboulent la loi organique du Conseil national de transition, au moment où l’exécutif peine à ressusciter l’esprit de dialogue chez les Maliens.
L’invivable vie
Le 18 avril 2024, la Cour constitutionnelle “déclare non conformes à la Constitution et à la Charte de la transition le titre de la loi ainsi que les dispositions des articles 1er, 4, 5, 6, 7 et 8”, journal officiel du 22 avril 2024.
Dans une démocratie, le meilleur bouclier reste juridique. La Cour constitutionnelle se démarque et régule. La noblesse d’esprit prime. Mais certains partisans de la loi sont furieux. Ils dénoncent un “discrédit sur l’épine dorsale du pouvoir, le CNT”, orchestré par les opposants à la Transition. Ne nous acharnons pas. Pour le CNT, la vraie régulation est de valider la loi, pas de la déclarer non-conforme.
Le 26 avril 2024, les parties signataires de la déclaration commune du 31 mars 2024 constatent : “Les membres du Conseil national de transition (CNT) semblent beaucoup plus préoccupés et intéressés par leurs propres rémunérations (…)“. Pour elles, la solution c’est le “retour à l’ordre constitutionnelle”.
En toute objectivité, l’arrêt des sages de la Cour constitutionnelle dit quelque chose d’un désir profond de justice pour les Maliens : ne plus vivre l’invivable vie d’hier. Certes, les opposants à l’arrêt espèrent une validation de la loi suite aux reformulations du texte par le CNT. Mais, l’esprit de l’arrêt de la Cour constitutionnelle rappelle aux organes de la Transition leur devoir de justice, de responsabilité et de solidarité à l’égard des Maliens : ne pas abuser à tort de ses pouvoirs. Et pas seulement au Mali.
Quand le droit gouverne !
Souvenons-nous que le 5 mars 2024, le Conseil constitutionnel sénégalais, frère jumeau de notre Cour constitutionnelle, sauve la démocratie sénégalaise de la noyade tant attendue par les lamproies.
Un moment de démocratie ! Les sages sénégalais indiquent “que la date de l’élection du président de la République ne peut être reportée au-delà de la durée du mandat qui arrive à terme le 2 avril 2024…”. Alors même que le président sortant, Macky Sall, souhaitait leur avis pour un report du scrutin présidentiel au 15 décembre 2024.
Certes, le cas sénégalais est différent du cas malien. Chez les Sénégalais, il s’agit d’un recours au Conseil constitutionnel par Macky Sall au sujet d’un éventuel report de la présidentielle. Chez les Maliens, il est plutôt question d’une saisine de la Cour constitutionnelle par le président de la Transition, Assimi Goïta, à propos “des avantages, des indemnités et autres traitements des membres” du CNT.
Mais, le lien entre les deux saisines se trouve dans la symbolique des décisions. A Dakar et à Bamako, les plus hautes juridictions sont antonymes du désordre. Leur indépendance des instances exécutives et législatives s’affirme. Elles disent le droit. Quand le droit gouverne, le lien entre les institutions et les populations se recrée. Et, l’espoir renaît.
Les limites à ne pas franchir
La confiance aussi. On ne se contente ni d’émouvoir l’opinion publique ni de faire passer la démocratie pour un monstre, mais de veiller au respect de l’intérêt général. Sur la base du respect des principes du droit, l’arrêt des sages, duuboŋandikaw en songhay, constitue un bel exemple pour que désormais les intérêts des uns ne soient pas compromis par l’attitude des autres. On ne se languit pas de l’injustice.
D’un côté, les sages de la Cour constitutionnelle respectent leur engagement. Ils rappellent les limites à ne pas franchir. De l’autre, le Conseil national de transition bégaie. Il donne le sentiment d’être déconnecté du quotidien des Maliens : sécurité, santé, gagner son pain, etc.
Le 16 avril 2024, l’enlèvement de la centaine de passagers de trois autocars (Bandiagara) invite tout citoyen à l’entraide et à l’humilité. Aujourd’hui, la crise sécuritaire constitue un des facteurs aggravants des traumatismes et des humiliations des populations dont personne ne se réjouit.
Dans la sérénité transmise par nos illustres aïeux, ne nous soumettons pas au diktat de nos monstres internes. Pas de tombereau d’insultes, mais raisonnons et régulons. Face à l’histoire, aujourd’hui, c’est sur l’esprit de la Cour constitutionnelle que la gestion de la Transition doit nous pousser pour cultiver la démocratie. Il y va de la noblesse d’esprit, car la liberté n’attend pas.
Sommes-nous en train de changer de cap sur le fleuve Niger ?
Mohamed Amara
Sociologue