Le décryptage de ce matin nous plonge dans le grand bain des transitions, en quête de légitimation. « La durée de la Transition est fixée à 24 mois, pour compter du 26 mars 2022 conformément à l’article 22 de la Loi n°2022-001 du 25 février 2022 portant révision de la Charte de la Transition », relève-t-on dans le décret 06 juin 2022, publié au journal officiel du 21 août 2022. Cet extrait est précieux. Il renvoie à une analyse de la trajectoire de la transition au Mali dont le crédo était le retour à l’ordre constitutionnel.
Il dit aussi la situation de fragilité de l’État : un moment décisif de la vie du pays se transforme en une période de tensions et d’indécisions. On passe d’une transition à une autre avec une certaine goujaterie. Pas seulement au Mali. Les transitions nigérienne, burkinabé et guinéenne n’échappent pas à cet examen. Les controverses sur la fin des transitions participent de la détérioration des rapports entre exécutifs et citoyens. 27 mars 2024, la référence syndicale des magistrats et l’association malienne des procureurs et poursuivants constatent un « vide institutionnel au Mali… ». Les deux organisations invitent la Cour constitutionnelle à « … dire que la transition a pris fin le 26 mars 2024 … ».
Ce n’est pas tout. Le 31 mars 2024, partis politiques, regroupements politiques, et organisations de la société civile demandent « … aux Autorités en place (…) de créer les conditions d’une concertation rapide et inclusive, pour la mise en place d’une architecture institutionnelle, à l’effet d’organiser, dans les meilleurs délais l’élection présidentielle… ». Un nouveau front s’ouvre. À la Cour constitutionnelle d’être vertueuse et courageuse comme l’a été son homologue du Sénégal, le Conseil constitutionnel, qui a indiqué, le 5 mars 2024, « que la date de l’élection du Président de la République ne peut être reportée au-delà de la durée du mandat qui arrive à son terme le 2 avril 2024 ».
Faisons-le pour l’histoire ! Ne nous éclipsons pas ! Au Mali comme ailleurs, le contexte sécuritaire est avancé pour justifier la poursuite des transitions. Mais, l’hypothèse la plus vraisemblable est l’évolution des rapports géopolitiques. Selon un ponte des politiques internes, la confiance entre exécutifs et citoyens ne tient qu’à un fil.
La nouvelle donne géopolitique
Il n’est pas courant de considérer les traités de coopération sous l’angle des libertés. Mais, souvenons-nous qu’avec l’Occident, la question des libertés d’opinion et d’expression était centrale dans les liens de coopération. Dans la presse hexagonale, la publication d’articles dénonçant le piétinement des droits essentiels des peuples des pays partenaires suffisait en son temps à dégrader la popularité d’un chef de l’exécutif du pays bienfaiteur.
Elle pouvait même lui coûter sa réélection. Mais ça, c’était hier. Aujourd’hui, la dénonciation des liens de coopération entre une partie des pays occidentaux et les pays de l’AES participe du désintéressement des médias occidentaux à ce qui se passe au Burkina-Faso ou au Mali. Même les diffusions de RFI et de France 24, médias de grande écoute au Sahel, ne touchent qu’une infime partie des auditeurs en raison de leur suspension depuis 2022.
Un contexte de black-out dans lequel s’est opérée la redéfinition des rapports géopolitiques des transitions au profit de la fédération de Russie. Une nouvelle donne géopolitique où se forgent les personnalités du Goïta, de Traoré et de Tchiani. Des alliances se nouent avec des tempéraments de feu. Certains sont devenus de fins calculateurs, d’autres des improvisateurs. Mais, dans ce nouveau cadre, l’enjeu principal reste l’amélioration des conditions de vie des peuples, le respect des droits et de l’exercice du suffrage universel, comme nous l’a démontré le peuple sénégalais. Admirablement !
Un dimanche festif à Dakar
Sénégal, dimanche 24 mars 2024, c’est jour de fête, celle de la liberté de choisir, de voter librement pour ou contre un candidat. Au 1er tour de la présidentielle, Monsieur Bassirou Diomaye Diakhar Faye (44 ans) est élu (54, 28%) à la magistrature suprême du pays de la Teranga. Sans tripatouillage, sans ingérence et sans propagande, voilà donc une bonne leçon de maturité démocratique à entendre. Pas de crise post-électorale non plus. Félicitons le peuple sénégalais et le 5eme Président de la République sénégalaise.
Chaque esprit libre a rêvé d’être, un tant soit peu, citoyen de la nation sénégalaise. Même chez les opposants à la démocratie, on trouve des tendances favorables au droit de vote. Preuve que le système démocratique fonctionne en dépit des cris d’orfraie, poussés çà et là. Preuve aussi qu’une des forces de la démocratie, au-delà de ses fragilités bien réelles, se trouve dans la capacité des dirigeants à respecter les règles, le b.a.-ba du fonctionnement des institutions. Reconnaissons la robustesse de la démocratie sénégalaise !
La réussite de la présidentielle sénégalaise jalouse les Guinéens, les Nigériens, les Maliens ou les Burkinabés au moment où tout semble partir en vrille. Les mauvais génies d’hier rodent. Enfin, lâchons prise pour protéger la paix sociale ! Espérons que le Mali, le Niger, le Burkina-Faso, la Guinée, et tant d’autres pays africains, empruntent la route de la concorde.
Des existences anéanties
Évidemment, nos chefs d’État ont une éthique. Évidemment, à leur prise de pouvoir, ils ont prôné des mesures drastiques pour ramener la sécurité et organiser des élections « libres et transparentes ». Mais, hélas ! Ils ont cheminé autrement, oubliant au passage que les Guinéens, les Nigériens, les Burkinabés et les Maliens se ressemblent dans leurs rapports à la liberté et aux acquis démocratiques. Des discours effrayants ont remplacé les discours rassurants d’hier. Quelle frustration ! Le climat socio-politique s’érode au profit des groupes narcoterroristes : Aqmi et EIS. Le mot est faible lorsque certains rescapés vous racontent les rituels d’humiliation (viol) qu’ils subissent. Des existences anéanties ! Terminons !
Le succès du colonel Doumbouya, du colonel Goïta, du général Tchiani et du capitaine Traoré se niche dans leurs capacités à transcender les crises et à se recentrer sur l’essentiel : la reconnexion avec les attentes des peuples, comme la liberté, la paix ou le suffrage universel. En attendant, une tournée du président de la transition malienne à Mopti, Gao, Kidal et Ménaka redonnera espoir.
Méditons sur cette citation de Kundera dans l’insoutenable légèreté de l’être :
« La vraie bonté de l’homme ne peut se manifester en toute pureté et en toute liberté qu’à l’égard de ceux qui ne représentent aucune force ».
Mohamed Amara
Sociologue