La région du continent africain a récemment connu des transformations majeures dans la politique étrangère de ses pays, caractérisée par la diversification des partenariats de coopération avec divers pays et ne se limitant pas aux seuls partenaires traditionnels. Cette politique a suscité une multiplication des offres de coopération de la part des grands pays industriels afin d’établir des partenariats stratégiques, économiques et militaires avec les pays du continent, parmi lesquels on trouve la Chine, qui a récemment pu renforcer de façon rapide ses relations avec de nombreux pays africains, et cela s’est concrétisé par le neuvième sommet du Forum de coopération sino-africain qui s’est tenu du 4 au 6 septembre 2024, dans le cadre duquel de nombreux accords de coopération ont été signés avec les pays participants dans divers secteurs vitaux, dont six avec le gouvernement du Tchad.
Cependant, il semble que la tendance du Tchad à coopérer avec les nouveaux partenaires n’a pas plu à certains partenaires traditionnels, qui cherchent à maintenir leur influence et leurs intérêts dans le pays, et qui voient que l’expansion de l’influence des nouveaux partenaires en Afrique en général et du Tchad en particulier est devenu une menace pour leurs intérêts, surtout après les déclarations du président chinois lors du récent Forum sino-africain, ou il avait critiqué la politique des pays occidentaux en Afrique, la décrivant comme une source de souffrance pour les peuples du continent. Les plus importants de ces partenaires sont peut-être la France, Israël et les Emirats arabes unis.
Pour la France, le Tchad est considéré comme le dernier bastion de ses forces dans la région du Sahel, après que les gouvernements du Mali, du Niger et du Burkina Faso ont mis fin à sa présence sur leurs terres. Par conséquent, Paris ne tolérera aucune autre partie qui pourrait lui faire perdre sa position au Tchad, qui lui permet de surveiller les pays voisins et de tenter un retour dans les trois pays du Sahel.
Quant au gouvernement d’Abu Dhabi, le Tchad est considéré pour lui comme une zone de transit pour les armes et équipements militaires des Forces de soutien rapide, et c’est ce que révèlent plusieurs rapports de sites d’information et d’organisations de défense des droits de l’homme. Selon un rapport publié le 16 octobre par le Washington Post, ”le Sudan Conflict Observatory”, un groupe financé par le Département d’État américain a surveillé 32 vols destinés à transférer des armes d’Abu Dhabi vers les Forces de soutien rapide entre juin 2023 et mai 2024, via l’aéroport d’Um Jars, situé au nord-est du Tchad.
En outre, les autorités soudanaises ont également accusé à plusieurs reprises leurs homologues tchadiennes d’acheminer des fournitures militaires des Émirats arabes unis aux forces de soutien rapide via le passage d’Adre, en plus d’utiliser les aéroports d’Um Jars et d’Abéché pour atteindre le même objectif.
Pour Israël, le Tchad est considéré d’une part comme un marché de vente pour ses armes, et d’autre part comme une porte d’entrée pour diffuser l’idée de normalisation avec lui dans la région du Sahel, ce qui lui permet d’étendre son influence dans la région et obtenir des voix de soutien aux Nations Unies et au Conseil de sécurité.
Grâce aux efforts du Mossad, les renseignements israéliens, le Tchad a accepté de normaliser ses relations avec Tel-Aviv en 2019 lors de la visite de Benjamin Netanyahu, Premier ministre israélien, à N’Djamena, au cours de laquelle il a annoncé le retour des relations diplomatiques bilatérales, après une rupture qui s’étend depuis 1972. Non seulement cela, mais le Tchad a ouvert son ambassade en Israël, lors de la visite du président Déby à Tel Aviv le 1er février 2023.
Il convient de noter que Déby et son entourage ont secrètement importé des armes d’Israël et des Émirats arabes unis en utilisant une compagnie secrète appelée Pegasus Logistic and Handling Dangerous Goods (PLHDG). Le frère de Déby, Abdelkerim Idriss Déby, a joué un rôle majeur dans la gestion de cette compagnie et a apporté d’énormes contrats d’armes à son frère grâce aux relations étroites qu’il a nouées avec les gouvernements de Tel-Aviv et d’Abu Dhabi.
Ce dernier travaillait depuis 2018 avec le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu puis l’ancien chef du Mossad, Yossi Cohen, afin de renforcer le rapprochement diplomatique entre Israël et le Tchad.
Face aux craintes communes de la France, des Émirats et d’Israël quant à l’expansion de l’influence de nouveaux partenaires sur le continent africain, les gouvernements de ces pays ont formé une grande alliance et ont intensifié leurs efforts pour s’imposer face aux nouveaux concurrents qui pourraient les balayer hors du pays.
Les Émirats arabes unis ont utilisé la base française d’Abéché pour acheminer du matériel militaire et des véhicules blindés vers le Soudan. Amnesty International a publié le 14 novembre un rapport sur son site Internet, dans lequel elle affirme avoir surveillé la présence de véhicules blindés de transport de troupes fabriqués par les Émirats arabes unis dans diverses régions du Soudan. Ces véhicules blindés, utilisés par les Forces de soutien rapide, disposent d’un système de défense interactif avancé appelé ”Galix”, fabriqué par la société française Lacroix Défense et conçu en collaboration avec Nexter (maintenant KNDS France).
Israël a également aidé les Émirats arabes unis à transférer des armes avancées vers les Forces de soutien rapide, ce qui a été mentionné par ”Military Africa”, une société spécialisée dans les industries militaires, dans un rapport publié le 8 octobre 2023, lorsqu’elle a déclaré avoir surveillé l’utilisation des armes israéliennes, des lance-roquettes LAR-160 par les Forces de soutien rapide contre l’armée soudanaise.
En août de la même année, les Forces de soutien rapide ont été surveillées utiliser des fusils israéliens Galil ACE 31 à lunette thermique.
En conclusion, dans de telles circonstances résultant de l’intense compétition d’influence au Tchad, le gouvernement de Déby pourrait s’exposer à de sévères sanctions de la part du Conseil de sécurité, d’autant plus que le représentant de Khartoum au Conseil de sécurité, Al-Harith Idriss, avait à plusieurs reprises porté de graves accusations contre le gouvernement tchadien, concernant son soutien aux forces d’Hemedti. Cette position a également été étayée par des rapports d’organisations de défense des droits de l’homme au Soudan.
Oumar DIALLO
CEEMO