« La classe politique sénégalaise se renouvelle » (analyste)

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Alors que les premières tendances annoncent une large victoire du parti au pouvoir, les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), aux législatives anticipées du 17 novembre, Babacar Ndiaye, analyste politique et directeur de la recherche au sein du think tank WATHI, décrypte les raisons de ce succès électoral. Il explore ses répercussions sur l’avenir politique du Sénégal. Il revient également sur l’incapacité des figures majeures de l’opposition à mobiliser leur électorat et met en lumière les défis auxquels la nouvelle majorité parlementaire devra faire face.

Comment analysez-vous la victoire du Pastef aux législatives anticipées du 17 novembre, huit mois après son arrivée au pouvoir, si on tient compte des premières tendances en attendant leur confirmation par la Commission nationale de reclassement des votes ?

La large victoire de Pastef qui est en train de se dessiner est la suite logique de ce qui s’est passé le 24 mars 2024. Lors de la présidentielle, les Sénégalais avaient envoyé un message fort en faveur du changement avec les 54% obtenus par le candidat Diomaye Faye dès le premier tour. Il semble que les Sénégalais souhaitent donner une large majorité au président Faye et au Premier ministre Sonko pour mettre en œuvre leur programme.

Mais historiquement, les Sénégalais ont toujours fait preuve de cohérence après avoir élu un président de la République en lui accordant une majorité confortable.

Durant cette campagne, le leader de Pastef et tête de liste nationale a sillonné le pays avec une stratégie claire, celle d’exposer dans les différentes localités le programme présidentiel intitulé « Sénégal 2050 : Agenda national de transformation » qui est le nouveau référentiel des politiques publiques. Dans ses différents déplacements, il a pu expliquer aux populations ce qui était prévu en termes de réalisations pour les cinq prochaines années, première étape de cet agenda.

Pastef est pratiquement le seul parti ou coalition qui a sillonné tout le Sénégal et qui était investi dans tous les départements. Il faut aussi noter l’absence d’un véritable débat de fond entre les candidats. L’opposition et surtout celle jugée radicale, en l’occurrence la coalition « Samm sa Kaddu » (Tenir sa promesse) dirigée par le maire de Dakar Barthelemy Dias a donné l’impression de préférer s’attaquer à Sonko et non à son programme.

Comment expliquez-vous l’échec des principales figures de l’opposition, comme Amadou Ba, Barthélémy Dias et Macky Sall à fédérer une base électorale suffisante lors de ces législatives ?

La posture de l’ancien président Macky Sall surprend. Bien qu’il demeure à la tête de son parti, il était difficile d’imaginer qu’il se présenterait comme tête de liste à ces législatives il y an encore quelques mois. Après son mandat, il avait annoncé son intention de se consacrer à des dossiers internationaux, tels que le changement climatique et le développement économique de l’Afrique, tout en s’installant au Maroc. Son retour rapide sur la scène politique intrigue, d’autant qu’il n’a pas participé activement à la campagne. Son parti a également été affaibli par de nombreux départs depuis sa perte du pouvoir. Certains anciens ministres et directeurs se sont ralliés à Amadou Ba, d’autres ont préféré concourir sous leur propre bannière. Enfin, plusieurs anciens membres de son parti et de la coalition Benno Bokk Yaakaar (Ensemble pour un même espoir) ont soutenu Pastef lors de ce scrutin.

Les premiers résultats montrent que Macky Sall conserve certains bastions dans le nord, notamment à Matam, mais qu’il perd la région de Fatick, son fief historique. Lorsque votre parti subit autant de défections et que vous ne menez pas activement campagne, contrairement aux autres têtes de liste, il est difficile d’espérer un résultat significatif face à une organisation aussi bien rodée que Pastef. Par ailleurs, il est courant qu’un parti traverse une période d’implosion après avoir perdu le pouvoir, avec un fondateur qui reste malgré tout en première ligne. Il est toutefois surprenant qu’après 12 années de présidence, Macky Sall soit encore tête de liste à ces législatives, sans avoir préparé une véritable relève au sein de son parti. On peut également noter que, dans une situation similaire, l’ancien président Abdoulaye Wade reste encore aujourd’hui à la tête de son parti.

L’ancien Premier ministre Amadou Ba était lui sur le terrain, mais il est difficile de savoir quels étaient ses thèmes de campagnes. Il est associé au bilan de Macky Sall en tant que dernier Premier ministre. Après la présidentielle, il a choisi de créer son mouvement politique avec d’anciens ministres de l’APR. Tout indique qu’il sera troisième de ce scrutin derrière Pastef et la coalition de Macky Sall alors qu’il avait obtenu 35% à l’élection présidentielle. Il n’a pas transformé l’essai avec sa coalition. Il est encore battu dans son fief à Dakar.

Le maire de Dakar Barthelemy Dias a voulu représenter avec ses camarades le « bloc générationnel » mais la stratégie de s’attaquer à Ousmane Sonko n’est pas une option payante. Il n’a pas vraiment engagé un débat de fond sur ce qui l’oppose à Sonko autour de l’économie, l’éducation ou encore sur le nouvel agenda des politiques publiques proposé par le pouvoir.

Il faut également constater que l’inter-coalitions mise en place par Macky Sall, Amadou Ba et Barthelemy Dias n’a pas fonctionné face à Pastef. Nous n’avons pas eu de débats de fond durant cette campagne et la violence s’est invitée au début et à la fin reléguant au second plan les préoccupations des Sénégalais.

Quelles en sont les conséquences de ces tendances sur l’avenir politique du Sénégal ?

Nous rentrons certainement dans une période de changement et de renouvellement de la classe politique sénégalaise. Certaines personnalités qui restent chef de leur parti comme l’ancien président de l’Assemblée nationale Moustapha Niasse ou encore l’ancien président Wade sont en retrait et leurs partis connaissent des turbulences. L’ancien Premier ministre Idrissa Seck ou encore l’ancien maire de Dakar Khalifa Sall ont été en retrait dans ce scrutin. Nous assistons sans doute à un passage de relais avec une nouvelle génération. Pastef est le parti dominant de la politique sénégalaise avec les résultats de la présidentielle et les premières tendances fortement favorables du scrutin de dimanche.

Il faudra voir tous les résultats des élections législatives et le nombre de sièges de la coalition portée par l’ancien président Sall, mais aussi celles de l’ancien Premier ministre Amadou Ba et du maire de Dakar Dias. Cela prédéfinira l’opposition à l’Assemblée nationale, mais nous sommes assurément dans une phase de transition avec l’émergence de nouveaux leaders politiques.

Quelles seront, selon vous, les principales priorités d’Ousmane Sonko et du Pastef maintenant qu’ils disposent d’une majorité parlementaire ?

Ils ont annoncé beaucoup de priorités à l’Assemblée nationale, notamment les réformes sur la justice, l’installation de la haute cour de justice dans le cadre de la reddition des comptes, ou encore la suppression d’institutions (Conseil économique, social et environnemental et Haut conseil des collectivités territoriales). Mais de mon point de vue, l’urgence se trouve au niveau de l’économie et du pouvoir d’achat des Sénégalais. La situation économique du pays est difficile et elle devrait être la priorité. Nous aurons normalement avec la nouvelle assemblée le vote du budget 2025. Nous verrons bien l’organisation de ce premier budget du nouveau pouvoir.

La configuration d’une large majorité à l’Assemblée nationale ouvre de nombreuses perspectives en termes de reformes et de changements. Seulement, il faut s’attaquer aux priorités des Sénégalais que sont le pouvoir d’achat, la santé ou encore l’éducation et, bien évidemment, la question cruciale de l’emploi des jeunes. D’une certaine manière, les élections législatives vont clôturer une longue séquence politique qui a débuté en 2021 avec toutes les péripéties que le pays a connues. La prochaine élection est prévue en 2027 (élections locales), Il faut engager les ruptures promises dans la gouvernance, amorcer les changements pour avoir cette souveraineté économique et alimentaire tant vantée aux Sénégalais. L’attente est forte et les défis sont d’ordre structurel, mais c’est le sens du vote des Sénégalais lors des élections présidentielle et législatives.

Avec cette double victoire présidentielle et législative, comment l’opposition pourrait-elle se restructurer pour faire face à la nouvelle dynamique politique ?

Je crois que l’opposition doit être plus sur le registre du débat et de la proposition. Il faut innover dans la manière de s’opposer. Il faut être au plus près des préoccupations des Sénégalais et installer des débats de fond que cela soit à l’Assemblée nationale ou dans les médias. Les premières projections indiquent qu’il n’y aura sans doute pas beaucoup de groupes parlementaires à l’Assemblée nationale, mais il faudra profiter des moyens mis à la disposition du député pour relayer les préoccupations des populations.

Vous avez raison d’évoquer une nouvelle dynamique, car la classe politique sénégalaise connaît une reconfiguration notable. Une génération active depuis trois décennies semble céder la place à une relève plus « jeune », marquant une transition vers une autre manière de faire de la politique. Cette évolution appelle des débats de fond et des propositions concrètes, conformément aux attentes des populations qui aspirent à des ruptures significatives. Une opposition cantonnée aux invectives, polémiques ou « coups d’éclat médiatiques » risque de se heurter à des déconvenues électorales. Il devient impératif pour l’opposition de renouveler ses stratégies, d’adopter un discours centré sur les préoccupations des Sénégalais et de formuler des alternatives crédibles.

AC/te/Sf/APA

Source: https://fr.apanews.net/

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