«À situation exceptionnelle, décision exceptionnelle». C’est la formule trouvée par notre consœur de l’ORTM, Nianian Aliou Traoré au JT d’hier soir pour présenter le secrétaire général de la Présidence de la République venu lire le contenu du décret signé par le Général d’armée Assimi Goïta, Président de la Transition, chef de l’État, qui met fin au gouvernement du Dr Choguel Kokalla Maïga.
«La situation exceptionnelle», c’est une belle figure de style trouvée pour décrire cette nouvelle page de l’histoire politique du Mali et de la présente période de transition qui s’est accélérée le temps d’une demi-semaine. Après le discours de «clarification» qu’il avait d’abord promis plusieurs semaines auparavant et tenu le samedi 16 novembre dernier au CICB, après les réunions tenues par d’autres acteurs politiques soutiens de la Transition ainsi que la profusion de communiqués de condamnation des propositions du désormais ex-PM, tout observateur averti se serait mis aux aguets pour voir la suite à donner à cette «crise gouvernementale».
Les analystes politiques et les chercheurs en sciences politiques focalisés sur l’histoire politique de notre pays se trouvent ici de la matière. Pour faire un historique de telles crises, faisons-le à reculons et par la plus récente qui s’est déroulée lors de l’actuelle Transition. C’était le 24 mai 2021, lorsque dans la journée, par un communiqué lu par son porte-parole, le vice-président du Mali informait ses compatriotes que le Président de la Transition Ba Ndaw et son Premier ministre Moctar Ouane étaient «déchargés de leurs prérogatives ». Cette crise ouvre la page de la «Rectification de la Transition» avec la nomination le 7 juin suivant de Choguel Kokalla Maïga comme nouveau Premier ministre.
Les crises d’une telle nature ont «fait florès» dans l’histoire politique de 1960 à nos jours avec les dissolutions de gouvernements et certains remaniements fort remarqués. La véritable crise gouvernementale du premier Président Modibo Keïta est intervenue vers la fin de son règne, en 1967 avec « sa révolution active » bâtie sur trois mesures principales dont un remaniement qui l’a vu se séparer de l’aile dite « modifiée » de L’US RDA. Cela n’aura pas facilité les choses pour le premier Président et interviennent les événements du 19 novembre 1968 avec l’arrivée du Comité militaire de libération nationale (CMLN).
Le régime militaire connaîtra sa véritable crise gouvernementale avec les événements du 28 février 1978 qui verront l’arrestation de Tiécoro Bagayoko et autres. Un nouveau Gouvernement en résultera le 4 mai 1978. A partir de cette date on peut dire que le régime du parti unique (l’UDPM qui remplace le CMLN) naviguera sur un fleuve tranquille avec le Général Moussa Traoré désormais seul maître à bord jusqu’ à sa chute le 26 mars 1991. Au passage, il faut savoir que c’est le Général président qui expérimentera le poste de Premier ministre en 1986, en nommant au poste le Pr Mamadou Dembélé pour deux ans (06 juin 1986-06 juin 1988) avant de revenir au classique cumul de président de la République et chef de gouvernement jusqu’en 1991.
S’il ya une période marquée par des crises gouvernementales dans l’histoire politique du Mali, c’est bien aux premières heures de la gouvernance de l’ADEMA. Avec un premier mandat d’Alpha Oumar Konaré jalonné par de mémorables changements de gouvernements. Nommé le 12 avril 1992, le Premier ministre Younoussi Touré, choisi pour son statut de banquier technocrate, devait permettre au premier président démocratiquement élu de se départir de la pression de ses compagnons de lutte. Mais que nenni ! Au bout d’une année il quitte le navire alors que Bamako était devenu un véritable chaudron sociopolitique. A sa suite, le président professeur, resté collé à son approche de toujours « piocher » un modéré ou un technocrate, jeta son dévolu sur le notaire Abdoulaye Sékou Sow. Ce dernier ne fera pas mieux que son précédent. Il restera moins de temps, moins d’un an même, à la Primature avec un départ acté le 04 février 1994. Son successeur, Ibrahim Boubacar Keïta, fera un long deal de six ans (record pour un Premier ministre) et quittera la tête du gouvernement à la faveur des grandes manœuvres au sein du parti au pouvoir pour la succession du président Konaré qui mettait fin à ses deux mandats.
Si le Président Amadou Toumani Touré a eu une fin de règne moins heureuse, on peut le créditer d’un certain calme entretenu dans la gestion de ses gouvernements. On retrouvera les « tensions gouvernementales » au cours de la Transition qui suivit, avec l’épisode du départ du Premier ministre de pleins pouvoirs, Cheick Modibo Diarra, en mauvais termes avec le Président du CNRDRE, Amadou Haya Sanogo et ses compagnons qui le feront démissionner au bout d’une longue nuit du 10 au 11 décembre 2012. Enfin le dernier épisode de cette série de crises gouvernementales d’avant l’actuelle Transition et qui auront émaillé la marche politique du Mali, c’est le départ du Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga. Nommé le 30 décembre 2017 par le président IBK, «le Tigre» n’aura passé que 16 mois à la Primature, emporté qu’il sera le 18 avril 2019, par une menace de motion de censure à l’Assemblée nationale. C’étaient les prémices du mouvement M5 RFP qui finiront par mettre fin au régime du président IBK le 18 août 2020, avec l’arrivée du CNSP au pouvoir.
Choguel Kokalla MAIGA aura tenu trois ans et 5 mois, battant le record de longévité de l’ensemble des Premiers ministres d’IBK. Il aura été le 21 e premier ministre du Mali (depuis le premier, Mamadou Dembélé sous Moussa Traoré) et le 24 e chef du gouvernement (les trois premiers ayant été le président Modibo Keita, le Capitaine Yoro Diakité et le Général Moussa Traoré).
Le Mali tout entier espère un long calme après cette courte et forte tempête institutionnelle.
Alassane Souleymane