In memoriam Ruth Hoffer, alias Hawa Diallo : Une amie du Mali s’en est allée

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“Quelle légende !”  s’écria un de nos fils à l’annonce de la disparition de Ruth. Il ne s’agit guère de relater ici une légende. Ce n’est ni l’occasion ni le cadre. Nous Maliens, avons connu Ruth Pleisser sous le nom Mme Hoffer, avant de l’appeler Hawa Diallo. Pourquoi donc une légende ?

 

Ruth, d’après les jeunes Maliens en larmes qui l’ont connue, savait plus que quiconque parler avec les plus jeunes. Elle savait les pousser à la parole, les provoquer et leur arracher des confidences. Ainsi résultait une certaine confiance. Ainsi les connaissait-elle, au-delà de ce que leurs propres parents savaient d’eux. Pour ce faire, rien de plus efficace que son français qu’elle entretenait au long de ses séjours répétés au Maroc, au Niger au Mali, en France et bien au-delà.

En outre, elle s’était mise au bamanan, la langue la plus usitée au Mali. Ses phrases déclenchaient autant d’étonnements, de rires que de considérations pour une dame en quête franche d’échange et de proximité. Elle n’avait cure des conventions que la communauté des expatriés cultivait en silence. Elle voguait entre la société malienne et la sienne, bravant les critiques, et si nécessaire, en provoquant les observateurs.

Ruth avait le don autant d’approcher les grands de la société malienne que les plus petits, ses favoris. Elle était totalement intégrée dans notre famille, nous l’appelions Ma Sœur, elle nous appelait toujours ma sœur ou mon frère.

Un jour, pour appuyer ses efforts de création d’une école pour jeunes filles orphelines, elle se rendit au bureau d’un haut responsable de l’administration municipale. A peine dans le bureau et les salutations d’usage terminées, le monsieur affable, ouvrit son frigidaire et sortit du fromage. “Madame, souhaiterez-vous du fromage ?” Ruth, contrariée, dans un pays où cet aliment est quasi inconnu, répondit poliment : “Oui monsieur”. Elle en goûta, tout en pensant pas moins.

La conversation au sujet du futur lot de terre où faire construire l’Ecole de l’espoir fut fructueuse. A la rencontre suivante, Ruth ramena un gâteau fait main de sa propre cuisine. Quelle ne fut la surprise du monsieur qui se piquait de cuisine européenne ! Les fondements de l’école étaient jetés.

L’école ; nommée Jigiya Bon, “modèle d’établissement d’éducation et d’encadrement des enfants de couches vulnérables”, pour citer une collègue et amie de Ruth, fut créée en 2004. Une association “Association des maisons de l’espoir”, Verein Häuser der Hoffnung, en bamanan, fut créée grâce au soutien financier et moral de Dr. Gunthard Weber. La maison compte 60 jeunes filles, orphelines ou semi-orphelines, qui fréquentent une école privée ou un centre de formation.

Bien plus de 400 filles issues de familles démunies reçoivent des bourses d’études scolaires, ou universitaires. Au total, 8 écoles ont été construites ou rénovées dans les régions rurales du Mali dont certaines équipées d’énergie solaire. En octobre 2024 Jigiya Bon fêtera ses 20 ans, sans leur mère.

Ruth, que nous nous appelions Hawa Diallo, connue également sous le pseudonyme de “La Vieille Nationale” est de dimension nationale, nationale puisque son action s’étend au-delà de la capitale, Bamako. Hawa Diallo était la Dame de la République, de toute la République du Mali.

A l’annonce de son décès, un de ses anciens collègues gémissant lança spontanément : “Que d’orphelins !” Pour ceux qui ne la connaissent pas, vous imaginez maintenant, rien qu’avec Jigiya Bon, combien d’orphelins et d’orphelines Hawa Diallo laisse sur terre. Vous imaginez combien de larmes ont coulé et coulent. Vous imaginez combien de familles éplorées.

Mariam Sidibé, la directrice de Jigiya Bon, collègue et amie malienne de longue date écrit : “Ensemble, nous avons surmonté des obstacles pour donner vie à ce projet, et son héritage vivra à travers Jigiya Bon. Ruth restera à jamais dans nos cœurs, un héritage nous rappelant de croire en nous-mêmes et en la capacité de chacun à changer le monde”.

Après 15 ans de séjour au Mali, Ruth et Wilfried ont quitté le Mali, leur deuxième partie. Un jour, de retour pour s’occuper de Jigiya Bon, ils ont, comme d’habitude rendu visite à leurs amis, grands et petits, au sens social du terme. Et Ruth de demander à l’un de leurs anciens proches et employés comment allait sa famille. Comment allait le travail ?

L’homme eut cette réponse quasi philosophique : “Ça va… [mais]. Tout le monde n’est pas [comme] Hoffer”. Cet employé rendait ainsi hommage à l’unique relation de travail et de confiance, voire d’amitié qu’il avait eu la chance d’établir avec Ruth et Wilfried. Evidemment, Ruth ne commenta pas la phrase. Elle continua à poser d’autres questions, à demander après d’autres personnes, à rigoler et à plaisanter.

Ruth, “la lumière dans nos vies” dont “nous continuerons à honorer l’héritage”, comme l’écrit Mariam Sidibé, n’est plus. Transgresser fut le mot d’ordre silencieux de sa vie. L’agent provocateur au service de l’humain, n’est plus. Cette cofondatrice de Jigiya Bon incarnait la curiosité.

L’autrice de l’œuvre de toute d’une vie, qui s’impose comme leçon à tout un chacun, nous a quittés dans la nuit de la Saint-Sylvestre à l’âge de 89 ans.

Ruth on bada jamu.

Prof. Dr. Mamadou Diawara

Goethe Universität, Frankfurt, Point Sud, Bamako

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