Aux environs de 15 heures, un calme règne à l’intérieur du siège de la plateforme de promotion et de vente d’œuvres d’art «Agansi» sis à Tomikorobougou en Commune III du District de Bamako.
Dans une salle, la fondatrice d’Agansi, Massira Touré, a les yeux rivés sur un ordinateur portable. Autour d’elle des tableaux peints à la main décorent les murs. L’opératrice culturelle pointe du doigt l’un d’entre eux qui explique une personne se sentant seule et nostalgique malgré la foule qui l’entoure. Comme Massira Touré, de nombreuses femmes se battent au quotidien pour donner un beau visage à l’entrepreneuriat culturel.
L’Association Kilé forme plus de 40 cinéastes chaque année et organise des activités culturelles et artistiques au Mali. Sa présidente Fatoumata Tioye Coulibaly affirme que le métier d’opératrice culturelle est en expansion. «Il y a 50 ans, il était rare de voir les opératrices culturelles.
Aujourd’hui, elles émergent. Le combat quotidien de ces opératrices doit servir de modèles inspirants pour la nouvelle génération et permettre de revisiter l’histoire de l’art, de briser les stéréotypes et de promouvoir une culture plus inclusive et paritaire», conseille-t-elle. Elle argumente que ce secteur connaît une dynamique notable, notamment grâce à la diversification des structures culturelles, l’évolution numérique et une prise de conscience croissante de l’importance de la culture dans la société. Celle qui est la directrice artistique du projet «Ciné Sahel» aborde le cas de l’industrie cinématographique qui est un terrain connu d’elle pour avoir remporté, en 2017, le prix spécial du jury au Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou (Fespaco).
La réalisatrice commente que cette industrie évolue avec l’essor des plateformes numériques, la diversification des modes de production et de diffusion. Cela, renchérit-elle, crée de nouveaux besoins en médiation culturelle, en programmation d’événements et en animation de publics autant d’activités dans lesquelles le rôle d’une opératrice culturelle peut s’inscrire. Les femmes marquent le secteur de l’entrepreneuriat culturel de leur empreinte.
VISIBILITE AU TRAVAIL DES PLASTICIENS- Fatoumata Thioye Coulibaly relève qu’elles apportent souvent des approches différentes qui enrichissent le panorama culturel. «Leur sensibilité aux réalités sociales et aux enjeux liés au genre permet de repenser et d’élargir les pratiques artistiques et culturelles», note-elle. Par ailleurs, la cinéaste explique que les défis à relever portent notamment sur la vision artistique et les impératifs économiques et l’adaptation aux évolutions technologiques et aux nouveaux modes de diffusion ainsi que la difficulté de travailler avec des budgets souvent limités.
«Je crée des projets qui permettent de donner de la visibilité au travail des artistes plasticiens tels que les dessinateurs, les peintres, les sculpteurs. Je crée également des projets qui permettent aux personnes intéressées par l’art de voir le travail des artistes, de les mettre en contact pour qu’ils puissent acheter des tableaux», explique la fondatrice d’Agansi. Cette initiative de Massira Touré a vu le jour à partir des difficultés qu’elle a rencontrées pour trouver des galeries et de bons contacts dans le domaine de la peinture. «Je n’avais pas assez de visibilité sur ce que je faisais. J’estime que ce soit moi ou un autre plasticien, tous travaillent dans leurs ateliers. Malheureusement, tout le travail de fond qu’ils fournissent reste inconnu, ignoré», regrette celle qui a d’abord créé une galerie en ligne en 2017. En 2020, elle crée le siège de son entreprise où elle accueille le public pour mieux comprendre la peinture.
Depuis, cite-t-elle, son équipe a initié des ateliers de peinture en faveur des enfants et adultes. «Dans l’année, on peut former 400 enfants en peinture. On les sensibilise aussi sur l’art. L’année dernière, on a formé plus de 100 enfants pendant les vacances», précise l’entrepreneure culturelle. Et de signaler que sa plateforme organise des résidences consistant à mettre les artistes ensemble pour les permettre de créer des œuvres et exposer leurs tableaux. Elle poursuit que la 1ère édition de leur projet intitulé : «Voix des plasticiennes du Mali» a permis de travailler avec 10 plasticiennes qui ont réalisé des tableaux. Ces œuvres, dit-elle, ont été exposées au siège d’Agansi en marge de la Journée panafricaine des femmes et la campagne des 16 jours d’activisme en 2023.
RENFORCEMENT DES CAPACITES- L’opératrice culturelle explique que notre environnement constitue une difficulté majeure pour les femmes désirant pratiquer un métier. Elles ont trop de pression sociale liée à la gestion de leur famille, dit-elle. Selon elle, ce facteur fait que beaucoup de femmes n’embrassent pas le métier d’opératrice culturelle en particulier et d’autres activités professionnelles. Malgré cette situation, témoigne-t-elle, beaucoup de femmes initient des projets dans le domaine culturel et créatif. «Elles essaient de sortir du lot et de s’imposer sur le marché.
Ces initiatives demandent beaucoup d’efforts et d’accompagnements», assure Massira avant d’ajouter qu’un autre défi des opératrices culturelles a trait à la méconnaissance de leurs produits par la population. «Notre environnement immédiat ignore ce qu’on vend comme produit. Il faut être son propre agent commercial pour sensibiliser les gens avant de les transformer en consommateurs», indique Massira Touré. Face à ces défis, elle propose la création d’un fonds pour encourager l’entrepreneuriat féminin dans le domaine de la culture et la mise en place des mécanismes de renforcement des capacités des opératrices culturelles pour les rendre efficaces dans la mise en œuvre de leurs projets. Pour elle, il faut que l’État et le secteur se reconnaissent dans les projets menés par les opératrices culturelles pour pouvoir les soutenir.
La présidente de l’Association N’ga bolo hen (dialecte bozo qui signifie entraide), Amachata Salamanta, informe que son entreprise propose, à travers l’art et la culture, des activités de sensibilisations, d’éducation et de formation à l’endroit des jeunes déscolarisés et défavorisés. Depuis sa création en 2018, affirme-t-elle, l’Association a permis l’insertion professionnelle de plusieurs d’entre eux dans le domaine de la danse, la teinture (bogolan), la narration du conte.
Amachata Salamanta dit constater un engouement pour le métier d’opératrice culturelle. Elle argumente qu’elles font preuve de courage face à des contraintes financières et sociales. L’artiste confie qu’elle tient sa détermination à la suite d’une formation de deux ans en entrepreneuriat culturel. La comédienne et conteuse explique que cette expansion présente des avantages grâce au rôle capital de la femme en tant que mère et épouse dans notre société. Parce que, justifie-t-elle, leurs projets contribuent, en grande partie, à l’éducation des jeunes qui sont l’avenir de notre pays.
Mohamed DIAWARA