C’est au pas de charge que Mohamed Ould Cheikh El-Ghazouani, nouveau patron de l’Union africaine, devra inaugurer sa présidence avec une pile de dossiers brûlants: de la crise sécuritaire et la contagion des régimes putschistes dans la région du Sahel à la première participation au prochain sommet du G20 de l’instance interétatique africaine en passant par l’imbroglio soudano-libyen, la dette africaine, le réchauffement climatique, l’accélération de l’Agenda du capital humain, le voisinage tendu algéro-marocain et l’escalade géopolitique au Proche-Orient, le Président GHAZOUANI compte dérouler sa machine supersonique pour gagner le pari de sa mission. À trois mois seulement de l’élection présidentielle à laquelle il est candidat à sa propre succession.
A Addis- Abeba, siège de l’Union africaine, théâtre de plusieurs batailles diplomatiques tantôt feutrées ou épiques, le fait n’est pas banal. L’élection à la présidence de l’Union africaine du Président Mohamed Ould Cheikh El- Ghazouani, in extremis, lors du sommet qui s’est tenu le 17 et 18 février derniers, a été vécue comme un véritable soulagement. Demandeur de rien et n’ayant fait aucune campagne en grandes pompes pour accéder à la tête de cette prestigieuse institution, le chef de l’État mauritanien a été perçu comme un « sauveur » par ses pairs d’Afrique du Nord dont c’était le tour de prendre cette présidence tournante. Mais, sur fond de rivalités tenaces entre le Maroc et l’Algérie, la station menaçait de tomber dans l’escarcelle de l’Afrique centrale, plus précisément l’Angola qui était en embuscade, même si sa machine manœuvrait à fond, loin des coups de projecteurs. Le caractère consensuel de Ghazouani et son profil discret ont fait l’unanimité auprès de ses homologues des pays d’Afrique du Nord pour succéder au Comorien Azali Assoumani. Cependant, pour ce militaire décrit par son entourage comme un taiseux voire un homme secret, ce challenge risque d’être au pas de charge, tant les dossiers urgent et s’accumulent sur la table du nouveau patron de l’organisation politique africaine.
La crise au Sahel, premier challenge crucial
Le premier chantier urgent auquel devra s’attaquer le Président Ghazouani est sans doute la crise sécuritaire au Sahel qui n’a jamais été aussi aigüe. Les coups État à répétition intervenus au Mali (pays voisin de la Mauritanie), au Burkina Faso et au Niger ont plongé cette région dans la tourmente. Tour à tour, ancien patron du renseignement, ancien chef État-major de l’armée, ancien ministre de la Défense, Mohamed Ould Cheikh El- Ghazouani est l’un des meilleurs connaisseurs du problème djihadiste dans le Sahel, pour avoir été une des chevilles ouvrières du dispositif sécuritaire, avant de succéder à Mohamed Ould Abdel Aziz à la tête du pays. En son temps bon nombre de spécialistes de la géopolitique se plaisent à dire qu’il était dans les « bons codes ». Il avait une ascendance sur l’univers qu’il contrôlait. Aucun attentat n’a été noté treize ans durant. Alors qu’une organisation comme la Cedeao peine à faire entendre raison aux putschistes à la tête des trois pays ayant formés l’Alliance des États du Sahel (AES), le général Ghazouani devrait plus facilement pouvoir dialoguer avec ses cadets, le général Abdourahmane Tiani du Niger, le colonel Assimi Goïta du Mali ou le capitaine Ibrahim Traoré du Burkina. Il a le charisme, l’entregent et les outils nécessaires pour faire bouger les lignes.
Mission de pompier dans le bras de fer Rabat-Alger
Il faudra aussi des ressorts adéquats de grand diplomate au président Ghazouani et marcher sur le fil du rasoir pour éviter l’escalade entre deux de ses puissants voisins : le Maroc et l’Algérie, à couteaux tirés dans l’épineux problème saharaoui. La diplomatie mauritanienne, discrète et efficace ces dernières années plaide en sa faveur pour vite aller vers un dégel des relations tendues entre le Maroc et l’Algérie. La posture de neutralité du Président GHAZOUANI, aussi bien appréciée par Alger que Rabat, en est une béquille supplémentaire pour jouer le gentleman go-between. Alors que le Maroc s’est beaucoup rapproché des pays de l’Alliance des États du Sahel en leur proposant une ouverture maritime qui leur fait cruellement défaut, l’Algérie a vu sa relation avec le Mali se dégrader après le rejet par le Colonel Goïta du fameux « Accord d’Alger » qui avait permis une longue trêve avec la rébellion touarègue. Il faudra tout le talent de négociateur de Ghazouani pour éviter une reprise des hostilités dans un pays ayant une longue frontière avec la Mauritanie. La Libye d’une part qui ne s’est toujours pas remise de l’après-Kadhafi avec trois supra-autorités, se disputant la légitimité politique nationale est dans le précipice et d’autre part le Soudan, ravagé par une terrible guerre civile qui a déjà fait des milliers de victimes et des millions de déplacés entre le général Abdel Fattah Al-Burhan et les forces de soutien rapide dont à la tête Mohammed Hamdan Daglo connu sous le nom de Hemitti, figurent en bonne place sur la feuille de route du tout nouveau président de l’Union africaine, candidat à sa propre succession à l’élection présidentielle de juin 2025. L’homme fort de Nouakchott compte briguer les suffrages de millions d’électeurs mauritaniens pour signer un second et dernier mandat à la tête du pays. Son bilan est assez révélateur durant son premier quinquennat (2019- 2024) et tous les pronostics le créditent d’une victoire, haut la main, face à des candidats en perte de vitesse et anéantis par le foisonnement des chantiers sortis de terre depuis son avènement à la tête du pays dans des domaines vitaux ( santé, routes, éducation, sécurité, emplois, énergie etc..)
Les Grand Lacs, « mère de toutes les batailles »
Mais, l’un des défis les plus compliqués pour le Président Ghazouani, qui fuit la lumière, sera de devoir s’impliquer dans la « mère de toutes les batailles » : la crise dans la région des «Grands lacs » où la RDC accuse le Rwanda de Paul KAGAMÉ de lui mener une guerre par son « proxy », le mouvement rebelle du M23. Ceci, au moment où les Nations Unies, poussées à la porte par le gouvernement congolais, a entamé un plan de désengagement de la Monusco.
G20, dette africaine, changement climatique, capital humain et guerre au Proche-orient
À peine installé dans le cockpit de la présidence de l’Union africaine, les défis s’avérent immenses et pressants pour cet homme réputé pour son tempérament modéré et son coefficient d’impétrant. Nul doute qu’en bon militaire, Ghazouani entend mener ces différentes batailles avec dextérité. Le président GHAZOUANI sera donc, à titre symbolique et honorifique, le premier de ses pairs africains à prendre part au prochain Sommet G20 en sa qualité de président en exercice, représentant l’organisation à ce raout de haut niveau des pays les plus industrialisés de la planète. Il est trés attendu sur des questions brûlantes du moment telles que le réchauffement climatique, la dette abyssale africaine qui s’élève à près de 2000 milliards de dollars, la position africaine sur la guerre mortifère Israël-Hamas- qui a fait 30 mille victimes à Gaza. Aussi l’agenda- phare consacré au capital humain africain, qui occupera une place centrale dans sa présidence à la tête de l’organisation africaine, devra amorcer un tournant historique dans la prise des décisions majeures des États afin d’accélérer la machine dévoilée il ya quelques années, mais qui manquait toutefois de mordant. GHAZOUANI, c’est l’homme au milieu d’un tournant, à deux temps.
Par Ismael AÏDARA, Directeur Éditorial de Confidentiel Afrique