Le Niger a été le laboratoire des politiques de sujétion de la France et de l’Union européenne pendant plus de dix ans avant de devenir l’épicentre militaro-politique de l’OTAN en Afrique, jusqu’au démontage des deux bases aériennes française et américaine il y a quelques mois. Les menaces terroristes et sécuritaires ont servi de prétexte à l’intervention militaire de la France, de l’UE et de l’OTAN au Niger mais en réalité, l’ennemi de l’UE est le migrant.
Olivier Vallée
Pour ceux qui sont ravis de monter en épingle les éclats de l’État du Niger, le renvoi du chef de délégation de l’Union européenne est une occasion de plus. En revanche, les mêmes oublient bien volontiers tout le dispositif de sanctions et de restrictions contre le pays que Josep Borrel et ses alliés français ont déployé après le renversement de Mohammed Bazoum.
Ainsi, dans le cadre de sa politique de sécurité et de défense commune, l’Union européenne a lancé en 2012 une mission civile intitulée «EUCAP Sahel Niger»[1] au Niger, qui était jusqu’alors son partenaire privilégié au Sahel. Pour le 6ème mandat (2022-2024), un budget de 72 millions d’euros avait été alloué et aussitôt suspendu après juillet 2023. La France s’efforce de récupérer ces fonds pour le G5 Sahel où ne restent que la Mauritanie et le Tchad, ce dernier pays s’acheminant vers un retrait.
Eucap Sahel : la rente militaro-civile
Cette mission n’a produit aucun effet dans le renforcement opérationnel des forces de sécurité intérieure sinon de les dresser contre les migrants qui traversent le Niger[2]. Elle a été un gouffre financier scandaleux qui n’a pas bénéficié au pays. Pour mener à bien ses missions, EUCAP Sahel Niger comptait, jusqu’en juillet 2023, 130 experts internationaux, dont une soixantaine de Français, parmi lesquels des gendarmes d’active et de réserve dotés déjà d’une riche expérience à l’international : une véritable caste surpayée faisant venir des secrétaires et des agents administratifs de toute l’Europe et d’autres pays du continent africain.
Les nouvelles autorités nigériennes trouveraient certainement des perles dans cette mission de sécurité publique et un audit serait instructif sur le dévoiement des fonds cultivé en toute impunité par l’UE depuis des décennies.
Mais enfermé dans sa logique de mâle protecteur des populations civiles d’Europe et du Niger, l’exécutif de l’UE définit un droit d’intervention bienveillante qui dénie toute souveraineté au Niger. Ainsi « afin de garantir l’acheminement en temps utile de l’aide humanitaire ou de préserver les activités qui répondent aux besoins fondamentaux des personnes au Niger, le nouveau régime de restrictions mis en place en 2023 prévoit une dérogation pour raisons humanitaires aux mesures de gel des avoirs.»
Niger, un porte-avion au Sahel ?
Dans ce cadre, en octobre 2024, l’UE a mis en place un pont aérien humanitaire et acheminé 58 tonnes de fournitures sanitaires essentielles, y compris des médicaments et du matériel médical. Cela explique la fureur de l’UE quand le gouvernement du Niger se demande à quel titre les ressources humanitaires sont orientées vers les ONG choisies par l’UE. L’Agence Française de Développement fait de même, détournant les ressources prévues pour les États africains en les donnant au Secours catholique.
« L’UE a, dès le départ, condamné avec la plus grande fermeté le coup d’État perpétré au Niger», a déclaré Josep Borrell, responsable de la politique étrangère de l’UE. « L’UE envoie un message clair : les coups d’État militaires ont un coût ». Josep Borrell reste enfermé dans le schéma de la dépendance financière du Niger et des pays pauvres d’Afrique. Il est vrai que le couple catalan qu’il formait avec Manuel Valls a pu lui laisser croire que le Niger était une chasse gardée. Il y a dix ans, le 23 novembre 2014, Manuel Valls fait le grand chelem, signant d’un coup 6 accords avec Mahamadou Issoufou, le Président d’alors : Areva, l’installation de l’armée française sur la base aérienne nigérienne de Niamey, l’extradition d’un des fils du colonel Kadhafi, Saadi, et de ses proches, la création du G 5 Sahel, la collaboration des services de renseignement, etc
A cette époque, la France et l’UE courent après l’Africom des Américains. Le commandant d’Africom, le général Rodriguez, est venu célébrer avec Issoufou le succès des manœuvres « Flintlock », rassemblement de militaires venus de 18 pays d’Afrique et d’Europe qui se sont entraînés dans les régions d’Agadez, de Diffa et de Tahoua. L’Union européenne, malgré EUCAP, ferme alors les yeux sur le viol des libertés publiques, le maintien de l’esclavage et les mariages des enfants.
La revanche d’Ankara
Aujourd’hui, l’Union européenne n’a toujours pas fait le bilan de sa posture de domination et de mépris pour l’Afrique et le Niger qui fut son allié. Dans une note récente[3], Andrew Lebovich évoque le professionnalisme de l’armée nigérienne et l’échec de la coopération avec Eucap du fait de l’attitude arrogante du système de coopération obsolète de l’UE. Il n’y a pas de rédemption à l’horizon. La dénonciation de la propagande antirusse par la France et l’UE passe à côté des véritables glissements amorcés depuis 2002. La puissance qui gère en profondeur le Sahel est la Turquie et sa principale cible a été l’influence française et, au-delà, l’hypercolonialisme de l’UE. L’Union, au lieu de se réformer, ambitionnait encore de manipuler la Grèce[4] pour attaquer le schéma de partenariat juste et équilibré que les Turcs avancent dans toute l’Afrique, et au Sahel en particulier. Après la dernière visite du président Macron au Maroc, cette recette a de nouveau été étudiée avec l’Office Chérifien des Phosphates qui utiliserait le paravent grec.
Tout cela semble bien dérisoire. Le noyau dur de la politique africaine de l’UE est masculiniste et militariste. L’instrument budgétaire qui pouvait rallier des régimes comme ceux d’Issoufou et de Bazoum a été démantibulé par Bruxelles qui réalloue l’argent du Sahel à l’Ukraine, à Frontex (l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes) et à la lutte contre l’immigration, y compris avec des États comme le Soudan. Avec l’inconscience et l’absence de prévision dont elle est coutumière, l’UE a financé la Turquie de 2021 à 2023 pour qu’elle bloque les réfugiés de Syrie : manque de vision, mauvaise orientation de l’argent et incapacité de développer une relation de partenariat avec l’Afrique.
Source: https://mondafrique.com/