La France a trouvé deux moyens géniaux pour renvoyer les immigrés sans titre de séjour de la Côte d’Ivoire à leurs pénates. Elle a ouvert, le 21 novembre 2024, un bureau de l’Office français de l’immigration et de l’intégration à Abidjan et finance les projets de ceux qui acceptent ainsi de mettre fin à leur rêve de vivre en France.
Correspondance à Abidjan, Bati Abouè
Cela s’appelle changer de fusil d’épaule. Alors que Paris est le premier pays de l’Union européenne à procéder au plus de retours forcés, elle a finalement trouvé une alternative aux rapatriements violents d’autant que, sur le plan financier, c’est tout bénefice pour Paris.
Selon le rapport de la Cour des comptes de janvier 2024, « le coût d’une journée de rétention (d’un immigré irrégulier, NDLR) s’élève à 602 euros » en plus de mobiliser « environ 16 000 fonctionnaires et militaires à temps plein, dont trois quarts sont des agents de la police aux frontières », selon le même rapport.
Au total, la France économise de précieuses ressources financières avec ce doux mécanisme des retours aidés comme l’expliquait d’ailleurs déjà en 2019 un rapport parlementaire selon lequel le coût moyen du rapatriement forcé est de 13.800 euros contre 2.500 à 4.000 euros en moyenne par retour aidé.
Selon la Cour des comptes, la politique de lutte contre l’immigration irrégulière coûte 1,8 milliard d’euros par an à la France qui a ainsi compris qu’elle avait tout à gagner en promettant à ses immigrés sans titre de séjour quelques milliers d’euros et l’espoir d’être accompagné sur un projet entrepreneurial de leur choix.
Or, pour arriver à ce moment délicat, la France maintient deux fers au feu. D’un côté, elle fait en sorte de ne pas prolonger le visa étudiant des immigrés qui tentent, après leurs études, de trouver du travail pour s’intégrer à la société française et, de l’autre, attire ces derniers avec ce plan d’accompagnement qui sonne alors comme la dernière chance de leur vie pour s’en sortir. Une fois le tour joué, le rapatrié volontaire bénéficie d’un retour au pays par avion arrangé et d’un pécule de 650 euros en poche en plus de la promesse d’être encadré sur un projet « d’insertion professionnelle » à monter.
7130 demandeurs d’asile
Depuis le lancement de son activité en juillet 2023, le bureau de l’OFII à Abidjan a permis la création de 113 commerces, 12 exploitations agricoles, 42 élevages, 51 entreprises de services, pour un total de 1,21 million d’euros d’aides directes au démarrage de l’entreprise. Les bureaux de l’OFII ne sont pas à Abidjan par hasard. D’après le dernier rapport de l’organisation, la Côte d’Ivoire est le sixième pays d’origine des demandeurs d’asile en France en 2023 avec 7130 personnes dans l’Hexagone.
Loin d’être un modèle d’insertion professionnel visant le bien-être des immigrés privés de titre de séjour en France, l’objectif de ce « passeport » vers son pays d’origine vise à « faire baisser l’immigration irrégulière » dans l’Hexagone, reconnaît Didier Leschi, le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration.
Après l’inauguration en grande pompe de ses bureaux à Abidjan, le 21 novembre, Didier Leschi est persuadé que l’intérêt des immigrés sans titre de séjour en France est d’accepter ce modèle de retour. Car « il est quand même plus digne de revenir avec un projet entrepreneurial que les poches vides, entre deux policiers », vante-t-il son projet qu’il considère volontiers comme un « organisme de microdéveloppement ».
« Le Monde » qui a rencontré quelques bénéficiaires assure que certains d’entre eux s’en sortent bien même s’il n’est pas acquis qu’après de multiples étapes, l’impétrant soit financé. La communication de l’OFII vise essentiellement à mettre en valeur le parcours des bénéficiaires pour convaincre plus de monde. C’est ce qu’il fait avec Myriam Quanteny, 29 ans, reconvertie dans la restauration à son retour en Côte d’Ivoire. En France, elle était pourtant employée au service des ressources humaines d’une grande entreprise.
Exit l’immigration choisie
Elle fait partie, sur les 230 « migrants de retour volontaire » en Côte d’Ivoire, des quelques dizaines à avoir bénéficié de cet accompagnement après un master en droit du travail et en ressources humaines effectué entre la faculté de Nanterre et l’Institut des hautes études économiques et commerciales. Elle travaillait avec un statut de CDD comme chargée de recrutement et son contrat devait évoluer en CDI quand son visa étudiant a expiré dans l’intervalle. Elle a alors perdu son travail et son logement en même temps que son titre de séjour.
Après un an sans travail, Myriam Quanteny a fini par se résoudre en janvier 2023 à appeler le dispositif de « retour aidé » de l’OFII découvert sur Internet. Elle s’est alors rendue dans les locaux de l’Office et quelques semaines plus tard, elle était dans l’avion de retour en Côte d’Ivoire avec un pécule de 650 euros en poche.
Il y a pourtant bien un côté nocturne dans cette affaire. Car si les projets de retour incluent un encadrement dispensé par des sous-traitants, des cabinets de conseil, à hauteur de 10 000 euros maximum par personne, cela ne se passe pas toujours ainsi. Car il faut traverser toutes les autres étapes d’un projet entrepreneurial. A savoir l’étude de faisabilité, le business plan, l’étude de marché… « Et quand le projet est mûr, on est auditionnés par un comité de l’OFII qui décide d’accorder ou non les financements et l’accès aux formations complémentaires », confie Myriam Quanteny au correspondant du journal Le Monde à Abidjan. Pas étonnant qu’entre 2019 et 2022, sur les 16 000 Ivoiriens qui ont été visés par une obligation de quitter le territoire français (OQTF), seulement 500 aient effectivement été expulsés dont les 230 « consentants ».
Source: https://mondafrique.com/