En cavale depuis le 4 novembre dernier, le colonel Claude Pivi, surnommé « Coplan » ou « Grand KO», a été arrêté au Liberia ce 17 septembre 2024. Après dix mois dans la nature, cet officier longtemps craint au sein de l’armée guinéenne, pour ses faits d’armes et aussi ses frasques, a été interpelé au cours d’un banal contrôle de routine, dans un village frontalier entre le Liberia et la Guinée, par la police libérienne avant son extradition vers Conakry. Confidentiel Afrique revient sur les connexions troublantes avec Istanbul où vit reclus le déchu président Alpha Condé qu’entretient le »banni » officier de Lansana Conté, puissant « securocrate » de Dadis Camara et le « maudit » inoxydable de l’actuel homme fort de Conakry. Détails exclusifs
Le samedi 4 novembre 2023, rappelons-le, un commando conduit par Verny Pivi, son fils, avait fait irruption à la prison centrale de Conakry pour en exfiltrer l’ancien président Moussa Dadis Camara, Moussa Thiegboro Camara et Claude Pivi. Alors que Dadis et Thiegboro ont mis fin à leur cavale, quelques heures plus tard, en se rendant, Pivi avait disparu des radars.
En compagnie d’une dizaine d’autres prévenus, dont le capitaine Moussa Dadis Camara, ancien président du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD), Claude Pivi avait été condamné en juillet dernier, par contumace, à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une période de sûreté de 25 ans dans le cadre du procès du massacre du 28 septembre 2009 au stade du même nom, dans la capitale guinéenne. Au moment des faits, le capitaine Claude Pivi était ministre chargé de la sécurité présidentielle. Déjà cité pour sa responsabilité dans la répression sanglante des manifestations de 2006 et 2007, Pivi était avec le Secrétaire d’État à la présidence chargé des services spéciaux, de la lutte contre le banditisme et la drogue, le capitaine Moussa Tiegboro Camara, l’un des soutiens les plus sûrs du capitaine Moussa Dadis Camara.
Trainant une sulfureuse réputation de « soldat mystique et blindé », Claude Pivi jouit d’une forte influence au sein des forces armées guinéennes. Avant son évasion, lors de ses auditions devant la cour criminelle de justice, à propos du massacre du 28 septembre 2009, il se vantait d’avoir fait la guerre en Sierra Leone, en Guinée-Bissau, et au Liberia où il avait également été, un temps, garde du corps du chef de guerre Charles Taylor. Ironie de l’histoire, c’est en terre libérienne qu’il est alpagué comme un simple malfrat par la police locale.
Sa tête mise à prix
La cagnotte promise pour son arrestation, 50 000 euros (environ 500 millions de francs guinéens), montre bien tout l’intérêt que les Autorités accordent à son cas. En effet, même après l’éviction du pouvoir de Dadis Camara, Claude Pivi n’avait rien perdu de son influence. La preuve, aussi bien le président de la transition, en 2010, le général Sékouba Konaté, puis le Professeur Alpha Condé, l’avaient maintenu à la tête de la sécurité présidentielle, tous les deux ayant choisi de ne pas se mettre à dos ses hommes et ses réseaux.
La Commission d’enquête internationale des Nations unies avait fait état, dans un rapport, de nombreuses informations tendant à établir que « Coplan » se trouvait réellement au stade le 28 septembre 2009, comme l’affirment certains témoignages recueillis par l’OGDH et la FIDH. Il aurait commandé ses troupes dans les tueries du stade et organisé la chasse aux manifestants dans la journée du 28 septembre dans d’autres lieux de la ville.
En outre, selon ce rapport, « sa responsabilité et sa participation aux arrestations arbitraires, aux attaques contre les maisons des dirigeants de l’opposition dans la soirée du 28 septembre et aux « descentes » meurtrières des unités agissant sous sa responsabilité, dans les quartiers de la capitale majoritairement acquis à l’opposition est aussi clairement établie ». Des attaques qui se sont déroulées dès le 28 septembre et les semaines qui ont suivi.
Le banni de Conté
Auparavant, le rôle du capitaine Claude Pivi, avait été évoqué lors des événements sanglants de janvier et février 2007, avec la grève générale menée par les syndicats et la répression qui s’était soldée par plus de 200 morts. En juin 2008, lors de la manifestation de policiers en raison du non-paiement des arriérés de salaire, de violents affrontements eurent lieu avec les militaires que le président Lansana Conté utilisait comme boucliers pour mater la contestation. Le bilan est lourd : plusieurs dizaines de morts. Certains des auteurs de la répression brutale du mouvement des policiers se retrouveront parmi les principaux membres de la junte et du gouvernement qui prendront le pouvoir à la mort de Conté en décembre 2008. C’est notamment le cas du lieutenant Claude Pivi Coplan, promu capitaine depuis la prise du pouvoir par l’armée et nommé ministre chargé de la sécurité présidentielle du CNDD.
L’arrestation de Claude Pivi intervient au moment où la tension sociale est à son comble en Guinée.
Connexions troublantes avec Alpha CONDÉ depuis Istanbul
Les rumeurs persistantes font état de démarches souterraines menées par le président déchu, Alpha Condé, renversé le 5 septembre 2021, depuis son exil turc, pour reprendre la main. Des informations battues en brèche par le premier ministre Bah Oury selon qui le président du RPG Arc en ciel est, « de par l’autorité du CNRD, libre de ses mouvements et envoyé en Turquie ». Toutefois, il souhaite que tout pays pouvant accueillir cet hôte « encombrant » fasse de telle sorte qu’il « ne sert pas de base de déstabilisation de la République de Guinée ». Une déclaration non dénuée de sens dans le contexte actuel, marqué par une autre rumeur faisant état d’échanges entre l’ex-président et l’ancien chef d’état-major des armées, Sadiba Koulibaly, décédé le 22 juin 2024, dans des conditions assez troublantes. Il avait été condamné quelques jours plus tôt, par le tribunal militaire de Conakry, à cinq ans d’emprisonnement pour « désertion à l’étranger et détention d’armes de guerre ».
En outre, la « disparition » de Foniké Menguè et de Mamadou Billo Bah, deux activistes guinéens membres du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) interpellés par les forces armées dans la nuit du 9 au 10 juillet 2024, suscite toujours une grave inquiétude. Dans le même temps, l’artiste chanteur Elie Kamano a alerté, le samedi 14 septembre, sur une menace d’enlèvement pesant sur sa personne de la part du CNRD qui aurait dépêché un commando à Bamako où il se trouve dans le cadre d’une tournée de soutien aux pays de l’Alliance des États du Sahel (AES), le Mali, le Niger et le Burkina Faso.
Il faut l’admettre, le CNRD est à la croisée des chemins. Arrivé au pouvoir en Guinée à la faveur du coup d’État du 5 septembre 2021, le colonel Mamady Doumbouya s’était engagé, il y a deux ans, à rendre le pouvoir à un gouvernement civil élu à la fin de l’année 2024. Depuis, la transition semble marquer le pas et l’opposition qui tente, bon gré mal gré, de se faire entendre, dénonce une répression systématique et un pilotage à vue. Les appels à manifester pour dénoncer les dérives autoritaires du régime et réclamer le retour de l’ordre constitutionnel sont, pour le moment peu suivis ou tués dans l’œuf par un important dispositif sécuritaire déployé pour empêcher tout rassemblement.
Le chef de l’Etat, Mamady Doumbouya, ancien lieutenant-colonel investi président et promu général, s’était engagé à organiser une « transition inclusive et apaisée » et à quitter le pouvoir après l’élection d’un gouvernement civil avant la fin de l’année 2024. Cette échéance a été repoussée depuis, sans nouvelle date, malgré les cris d’orfraie d’une opposition désabusée et beaucoup plus active sur les réseaux sociaux.
En février 2023, en effet, Mamady Doumbouya avait réaffirmé qu’il rendrait « le pouvoir aux civils à l’issue de la transition, fin 2024 ». Mais un an plus tard, rebelote : seule la promesse d’organiser un référendum sur une nouvelle constitution figure désormais dans le discours de vœux du président de la transition. En février 2024, dès sa nomination comme nouveau Premier ministre, Bah Oury, avait indiqué que la transition se poursuivrait en 2025. Ce que l’opposition guinéenne considère comme une nouvelle preuve de « l’échec de la gouvernance du CNDR » incapable, selon elle, de tenir ses engagements.
Parmi les raisons invoquées par le pouvoir pour justifier le retard, il y a, d’abord, le recensement de la population, la première des dix étapes du chronogramme de transition, dévoilé par le gouvernement en avril 2022. Ensuite, entre autres préalables, l’établissement d’un nouveau fichier électoral, l’élaboration et le vote d’une nouvelle constitution, l’élaboration des textes de lois organiques, ou encore l’organisation des élections locales, puis législatives, avant la présidentielle en 2025. Un projet qui semble bien trop ambitieux pour une transition de deux ans.
Putsch en préparation avorté
Fin juillet, un avant-projet de constitution, prélude au référendum que les Autorités comptent faire adopter avant la fin de l’année, avait été dévoilé. Pour sa part, l’opposition réclame toujours le retour des libertés fondamentales et le respect du calendrier de transition initial. Avec l’arrestation de Claude Pivi et la crainte nourrie par une éventuelle élimination physique, la Guinée risque de sombrer dans des lendemains incertains. Récemment, une délégation de partisans du président Doumbouya s’était rendue en Guinée forestière pour chercher un soutien en vue des prochaines consultations électorales. Au sein de l’armée, également, la prudence est de rigueur. Depuis la « disparition » du général Sadiba Koulibaly, une certaine méfiance prévaut au niveau des troupes. Va-t-on vers un retour aux démons du passé ?
Par Karim DIAKHATÉ et Hugues DESORMAUX (Confidentiel Afrique)