Confisqué •Depuis le début de la guerre en Ukraine, les avoirs russes dorment sur des comptes en banque européens et américains, sans que personne n’ose y toucher. Des voix s’élèvent pour demander que ces fonds permettent de soutenir l’Ukraine
L’essentiel
Des centaines de milliards de dollars d’avoirs russes sont gelés en Europe et aux États-Unis, mais impossible pour le moment de les confisquer sans aller contre le droit international ou risquer de créer un « précédent économique », selon le ministre de l’Europe Benjamin Haddad.
L’Europe profite déjà des intérêts de ces fonds gelés, qui rapportent environ 3 milliards d’euros par an, pour financer l’effort de guerre ukrainien, une décision qui a fait « l’objet d’analyses juridiques approfondies » d’après le ministre Jean-Noël Barrot.
La Russie pourrait riposter à une éventuelle confiscation par des actions en justice, des saisies d’actifs occidentaux ou une « intensification de la guerre hybride » impliquant cyberattaques et déstabilisations selon le spécialiste Norbert Gaillard.
Deux cent quarante milliards de dollars qui dorment sur des comptes en banque européens, 30 milliards chez les Britanniques, et 80 milliards aux Etats-Unis, des réserves d’or et de métaux rares, des yachts… Si la liste des avoirs russes gelés peut faire rêver, en France, comme en Europe, personne n’ose n’y toucher.
Face à l’isolationnisme américain, ces fonds pourraient pourtant permettre de soutenir l’effort de guerre ukrainien. Une solution que beaucoup de pays européens dont la France ne voit pas d’un bon œil. Interrogé sur la question par France Info ce mardi, le ministre de l’Economie Eric Lombard évoque une idée « contraire aux accords internationaux ».
Pourquoi ne pas les confisquer ?
En effet, bien que gelés, ces biens et ces fonds sont toujours russes. La France, comme les autres pays, n’a aucun droit de se les approprier sans violer le droit international et surtout le droit de propriété. Pour Norbert Gaillard, économiste et consultant spécialiste des questions de souveraineté, la difficulté du cas russe réside dans le peu de jurisprudence sur le sujet, qui pousse l’ensemble des acteurs à la frilosité. « Pour qu’un processus s’enclenche, il faudrait au minimum une décision de justice d’une cour internationale sur laquelle s’appuyer. »
Pour lui, il serait cependant possible de contourner cet argument juridique en appliquant ce qu’on appelle des « contre-mesures », qui permettent à un pays lésé, ici l’Ukraine, de demander des réparations à un autre état, comme spécifié à l’article 49 de la Commission du droit international. Un processus complexe, presque inédit, qui montre bien le tâtonnement dans lequel sont ceux qui en appellent au droit dans cette situation de guerre unique.
Dans les faits, L’Europe profite déjà de ces fonds en en récoltant les intérêts. Quelque 3 milliards d’euros annuels qui permettent de financer la poursuite de la guerre en Ukraine, une décision qui a fait« l’objet d’analyses juridiques approfondies », selon le ministre de l’Europe Jean-Noël Barrot, interrogé par France Inter ce mercredi.
Prudence pour Yannick Harrel, conférencier en cyberstratégie et auteur de La cyberstratégie russe : « A partir de quel moment est-ce que c’est considéré comme du vol ? Les intérêts sont-ils des actifs ? On peut comparer ça aux livraisons d’armes, à partir de quel moment est-on en guerre ? »
La peur d’un « précédent économique »
Ce qui inquiète beaucoup de pays comme la France, ce sont surtout les effets économiques d’une telle confiscation sur le système d’échanges internationaux. Un système qui repose « avant tout sur la confiance », pour Yannick Harel. « A partir du moment où vous confisquez ces avoirs, vous détruisez la confiance qui existe entre partenaires, c’est-à-dire qu’on ne viendra plus investir chez vous. »
Les Européens, qui font partie du réseau d’échanges internationaux Swift, ou les Russes, qui échangent majoritairement avec les Brics, ne souhaitent pas se couper de ces investissements étrangers. A l’heure où l’Union Européenne tente d’attirer des capitaux et de rassurer les marchés, la confiscation des avoirs russes pourrait avoir l’effet inverse.
Une crainte partagée par le ministre délégué aux Affaires européennes, Benjamin Haddad, pour qui confisquer les avoirs gelés risquerait de créer un « précédent économique », mais aussi par La France insoumise, par l’intermédiaire du député Bastien Lachaud, qui évoque des « conséquences désastreuses » pour la France. « Les Etats-Unis nous encouragent à récupérer ces avoirs, mais se sont bien gardés de le faire sur les 80 milliards qu’ils ont chez eux », souligne Yannick Harrel.
L’Empire russe contre-attaque
Derrière les questions juridiques et économiques, le grand inconnu reste la réponse qu’aura la Russie face à cette potentielle violation du droit international. Outre de possibles attaques devant les tribunaux, Vladimir Poutine pourrait aussi décider de saisir en retour les actifs occidentaux bloqués en Russie, une somme moins importante que celle bloquée en Europe, mais qui pourrait malgré tout mettre en difficulté l’économie européenne.
Source: https://www.20minutes.fr/