Le ministre des Affaires étrangères a évoqué une possible « riposte » face à l’hostilité du pouvoir algérien. Mais de quoi parle-t-on ?
POLITIQUE – Trop c’est trop. Voilà en substance le message martelé par Paris, après le refus d’Alger de récupérer un influenceur algérien expulsé de l’Hexagone. Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, y voit une volonté « d’humilier la France », quand son collègue des affaires étrangères, Jean-Noël Barrot se dit prêt à « riposter » si « l’escalade continue ».
Alors que la partie droite et extrême droite de la classe politique somme l’exécutif de réagir en adoptant des mesures de rétorsion, le chef du quai d’Orsay a cité sur LCI les « leviers » que la diplomatie française peut actionner pour défendre ses intérêts face à l’Algérie. « Il y a tout un arsenal de riposte diplomatique, certaines choses que nous disons, d’autres que nous ne disons pas. Nous le ferons au rythme et à la manière que nous jugerons le plus efficace, en mobilisant tous les leviers à notre disposition », a-t-il déclaré, avant d’en citer quelques-uns.
Les visas, la fausse bonne idée ?
Parmi eux, les visas. L’idée : accorder moins de visas aux ressortissants algériens souhaitant se rendre, pour une raison ou pour une autre, en France. « On leur donne des visas, mais eux ne donnent pas assez de laissez-passer consulaires » (pour les expulsions), a résumé le ministre de l’Intérieur, qui plaide pour l’instauration d’une « réciprocité » entre Paris et Alger. Cette question des visas est notamment cristallisée autour du fameux accord de 1968. Dénoncé par une partie de la classe politique, cet accord bilatéral facilite l’obtention de visas pour les Algériens, lesquels peuvent librement s’établir en France pour y ouvrir des commerces ou exercer une profession indépendante.
Le délai pour obtenir un titre de séjour de dix ans est raccourci et le regroupement familial est avantagé. Alors que la Macronie a souvent été hostile à la remise en cause de ce texte, au nom de la normalisation des relations compliquées entre la France et l’Algérie, l’affaire de l’influenceur expulsé fait bouger les lignes. Pour Gabriel Attal, qui s’exprime dans une tribune au Figaro, le traité « est aujourd’hui devenu une filière d’immigration à part entière, permettant le regroupement familial et l’installation de personnes, sans même qu’elles aient à connaître notre langue ou montrer leur intégration » et « rend pratiquement impossible de retirer des titres de séjour aux ressortissants algériens, même pour des motifs d’ordre public ».
Une telle mesure serait-elle véritablement efficace ? Il est permis d’en douter. Car, vu d’Algérie, c’est la France qui serait perçue comme responsable de la révision de cet accord qui affecterait des citoyens algériens, dans un contexte où le pouvoir sur place entretient volontiers un sentiment anti-français. Dès lors, on voit mal comment l’administration d’Abdelmadjid Tebboune pourrait pâtir de cette rétorsion. D’autant que sur le plan opérationnel, il est difficile de voir en quoi l’abrogation de cet accord (ou toute autre mesure sur les visas) pourrait changer les choses, puisqu’il suffirait à un Algérien voulant se rendre en France de passer par un visa espagnol et, grâce à Schengen, rejoindre l’Hexagone sans contrainte. S’il s’agit de contraindre le pouvoir algérien à accéder aux requêtes de la France, ce seul levier apparaît insuffisant.
Le (faible) levier de l’aide au développement
Autre outil à disposition de la France, et évoqué par Jean-Noël Barrot : l’aide publique au développement. Concrètement, la France verse chaque année environ 130 millions d’euros. En France, certains somment l’exécutif de couper le robinet tant que l’Algérie jouera l’escalade diplomatique. Après tout, c’est une forte somme que Paris consent à donner à Alger pour soutenir son développement économique et social. Mais là encore, et s’il est question de faire bouger les lignes en Algérie, l’efficacité d’une telle mesure interroge, dans un contexte où le PIB de l’Algérie s’établissait en 2023 à… 247 milliards de dollars. Autant dire que l’enveloppe française, bien que conséquente, représente (très) peu rapportée à ce chiffre. Et que le pouvoir algérien ne souffrirait pas de s’en passer.
Dans sa tribune au Figaro, Gabriel Attal avance une autre piste : « l’arme commerciale ». L’idée : négocier avec les pays européens une augmentation des droits de douane pour les produits venant d’Algérie. Soit l’instauration d’un bras de fer qui contraindra le pouvoir algérien à revenir sur ses positions. Or, comme le souligne sur BFMTV la journaliste Neila Latrous, « le premier produit de l’Algérie exporté vers la France : les hydrocarbures ». Ce faisant, un accroissement des taxes pourrait mécaniquement faire augmenter un prix de l’énergie déjà jugé trop important dans l’Hexagone. Au-delà de ces mesures, dont le seul intérêt semble être celui de l’opinion publique française, il reste des outils bien plus discrets. Ces choses « que nous ne disons pas », dixit Jean-Noël Barrot. Et c’est sur ce terrain de la diplomatie souterraine que Paris peut avoir de quoi se faire entendre, que ce soit sur la place accordée à Alger sur le plan géopolitique ou sur le gel des avoirs des dignitaires algériens. Mais il s’agit là d’arbitrages plus subtils et moins retentissants que ce qu’il peut être dit dans un tweet ou dans une interview.
Source: https://www.huffingtonpost.fr/