Emmanuel Macron a tenté de passer en force au Sahel

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Dans son dernier ouvrage « Emmanuel au Sahel, itinéraire d’une défaite » (Max Milo), la journaliste Leslie Varenne, spécialiste de l’Afrique, raconte méticuleusement la chronologie du désastre français dont le point d’orgue a été le départ forcé des militaires français du Niger fin 2023. Dans un entretien à Mondafrique, elle analyse la responsabilité personnelle du Président français et examine les conséquences pour notre pays du déclassement international qui accompagne l’échec sahélien. 

Mondafrique : Diriez-vous que l’attitude d’Emmanuel Macron a précipité les bouleversements diplomatiques observés au Sahel? S’agit-il plutôt de basculements idéologiques de ces pays ou encore d’un mouvement inexorable auquel il fallait s’attendre tôt ou tard ?

Leslie Varenne : L’attitude d’Emmanuel Macron a joué un rôle clé. Il n’a pas pris la mesure des bouleversements du monde et des changements en cours. Pourtant dès 2019, donc avant les coups d’Etat, les chefs d’Etat de la région se rapprochent de la Russie. Au sommet de Sotchi, ils sont tous là et ils disent qu’ils veulent pouvoir choisir leurs partenaires. C’est d’ailleurs l’une des principales raisons pour laquelle Macron convoque le sommet de Pau. La situation dans leurs pays est difficile. L’armée française ne parvient pas à juguler le niveau de violence. Les Présidents sahéliens sont coincés entre le marteau de leurs populations et l’enclume de la France, qui malgré l’échec sécuritaire, continue à se comporter comme si elle contrôlait tout. Comme toujours avec Emmanuel Macron, chaque fois qu’il est mis en difficulté, au lieu d’avancer avec douceur et diplomatie, on le voit sur de nombreux dossiers, il tente de passer en force, devient interventionniste, rigide, comme si lui-même était remis en cause.

Il ne s’agit pas d’un basculement idéologique : les Présidents au pouvoir en 2019 étaient des francophiles de la vieille école. Plus qu’une bascule idéologique, il y avait une envie de desserrer l’étau français. En prime, compte tenu du rejet de la politique française par leurs opinions publiques, chaque fois que ces chefs d’Etat disaient un mot contre la France, ils reprenaient immédiatement de la hauteur dans les sondages.

Mondafrique : Vous écrivez aussi qu’il a renforcé l’alignement de la France sur les Etats-Unis et ainsi altéré la voix singulière de Paris.

L.V. : Nicolas Sarkozy et François Hollande ont une responsabilité capitale dans le désastre au Sahel. Sarkozy à cause de sa guerre en Libye et en Côte d’Ivoire, Hollande en raison de cette guerre proclamée mais si vague contre le terrorisme. Macron arrive à la fin d’un cycle. Et il plante les clous dans le cercueil. Pour ce qui concerne l’alignement sur les Etats-Unis, Emmanuel Macron a poursuivi la politique de ses prédécesseurs. Avant d’être alignée sur les Etats-Unis, la France avait une voix singulière et elle était respectée pour ça. Pour les peuples des pays du Sud, ça comptait. Ce temps est révolu. On le voit bien avec la guerre à Gaza où Paris n’a plus une voix qui porte.  S’ajoute à cela, l’image que la France donne d’elle-même. Une des phrases que j’ai le plus entendue au cours de ces sept ans, c’est : « On ne reconnaît plus la France».

Mondafrique : Pensez-vous que la montée de l’extrême-droite en France a joué un rôle dans ce désamour ? Après tout, les Africains regardent eux-aussi les télévisions françaises ! 

L.V. : Ce n’est pas la montée de l’extrême droite en elle-même, c’est plutôt tous les débats autour de l’islam, cette intolérance envers une religion. Même les chrétiens africains ne la comprennent pas. Ils sont, eux, très œcuméniques.

Mondafrique : Quelle part a joué le tempérament du Président?

L.V. : Macron est un Président très interventionniste. Tous les dossiers sont gérés par l’Elysée. C’est un Président qui ne délègue pas, qui est toujours en 1ère ligne, on vient de le voir encore sur la Nouvelle-Calédonie. Au Sahel, il avait la position de chef des armées, ce qui lui a permis d’assumer encore davantage la posture du chef qui décide. Cette arrogance-là n’est pas passée, ni auprès des chefs d’Etat, ni auprès des populations.

Mondafrique: Vous écrivez qu’il décide seul, sans s’appuyer sur l’expertise de la diplomatie française et sur l’histoire de la France.

L.V. : Emmanuel Macron est un grand Président parce qu’il préside un pays qui a un héritage et une histoire. Il n’est pas un grand Président parce qu’il préside un pays désindustrialisé de 66 millions d’habitants. Il compte sur la scène internationale grâce à l’histoire de la France et de sa diplomatie, qui fut, dans le passé, l’une des plus grandes du monde. Mais pour autant, il ne poursuit pas la politique traditionnelle de la France. Il ne s’appuie pas sur la diplomatie qui, il est vrai, a perdu de sa superbe et il supprime même le corps diplomatique.

Mondafrique : Venons maintenant aux conséquences de cette politique. Vous écrivez que, « dans ce grand chambardement, chacun joue ses intérêts et la France, comme la mer, se retire ». Du point de vue international et national, que faut-il retenir de ce retrait français et de ses conséquences pour la France et son influence? Doit-on parler d’un déclassement?

L.V.: On peut parler d’un déclassement. Pour l’image de la France, cet échec au Sahel est catastrophique. Ce n’est pas tant le départ de nos armées mais la manière dont on a quitté ces pays. Au fond, on n’est pas obligé, pour être grand, d’avoir des militaires partout et dans toute l’Afrique. Mais la manière dont ils ont été obligés de quitter ces pays a signé un déclassement. Tous les pays, concurrents ou alliés ont perçu cela. Les conséquences seront nombreuses.

Bien sûr, la France ne bénéficiera plus des 14 voix des pays d’Afrique francophone à l’ONU. A la décharge d’Emmanuel Macron, même si les choses s’étaient passées autrement, cette époque serait tout de même révolue. En revanche, l’effacement de la France en Afrique aura de nombreuses conséquences. Dans toutes les institutions multilatérales, elle pèsera moins ; il y aura moins de fonctionnaires français nommés. Compte-tenu du rejet de la politique française sur le continent, être Français est même devenu un handicap dans certaines institutions ou grandes ONG.

C’est la même chose à l’Union européenne :  les Français ne sont plus indispensables sur les questions africaines. La conséquence de cette perte d’influence fait de la France un Etat parmi les 27, à égalité avec les autres. Ce qui réjouit les autres pays européens lassés de l’arrogance française !

Mondafrique : Quelles conséquences peut-on imaginer en termes de déploiements militaires français en Afrique ? Vous évoquez de futures bases franco-américaines : est-ce une bonne idée ?

L.V. : Ça fait plus de deux ans qu’Emmanuel Macron promet une nouvelle stratégie militaire en Afrique. Donc attendons. Il vient de donner dix-huit mois à son envoyé personnel Jean-Marie Bockel pour lui faire des propositions. Le chef d’état-major Thierry Burkhard a récemment, lui, parlé de mutualisation. Comme la France ne veut plus être en première ligne seule, il serait question de mutualiser les bases. Mais avec qui ? Qui a intérêt à mutualiser avec la France ? C’est la plus mauvaise idée. Les Américains n’ont pas une bonne image non plus ; rapprocher deux forces contestées ne sera pas mieux accepté. Et l’armée française apparaîtra en outre comme la supplétive des Etats-Unis…

Mondafrique : Quels sont les grands prédateurs au festin de l’ancien pré carré ?

L.V. : Tout le monde saisit sa chance, c’est une grande compétition et les pays africains savent en jouer. Le vainqueur est le plus compétitif. Pour donner quelques exemples : la Chine, avec sa capacité de financement des infrastructures ; la Turquie, avec son armement adapté et bon marché ; la Russie, avec l’armement, les céréales, les sociétés militaires privées. En outre, le fait que la Chine et la Russie soient au Conseil de Sécurité assure un paratonnerre aux pays africains. Chez nos alliés, les plus en pointe pour prendre notre place sur le continent sont l’Allemagne et l’Italie.

Mondafrique : Que faudrait-il faire, selon vous, pour remonter la pente ?

L.V. : Il faudrait qu’on réfléchisse tous. Qu’est-ce que la France peut apporter dans un partenariat respectueux et équilibré ? Je pense que la France a beaucoup d’atouts : une langue, parlée dans 14 pays ; une histoire, même si elle a été, parfois, tragique et compliquée ; des relations entre les peuples, à travers, par exemple, les mariages mixtes. Comment mettre ça en musique ? D’une certaine manière, à son insu et sans le vouloir, Emmanuel Macron a permis un grand reset. Tout est déconstruit, mais tout est à reconstruire différemment. Il était temps !

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  3. “’est plutôt tous les débats autour de l’islam, cette intolérance envers une religion. Même les chrétiens africains ne la comprennent pas. Ils sont, eux, très œcuméniques”

    Ah et bien elle ferait mieux de se renseigner sur la condition des chrétiens au Sahel. Un seul exemple: Mgr Laurent Dabiré, évêque de Dori, au nord-est du Burkina Faso, qui conduit une lutte quotidienne pour que les chrétiens de cette région puissent vivre leur foi.

    https://fr.aleteia.org/2023/06/22/au-sahel-le-sort-des-chretiens-sest-degrade-en-quelques-annees/

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