La situation aux Etats-Unis est actuellement « très critique » pour les personnes en situation irrégulière. « C’est une sorte de chasse aux sorcières que nous vivons ici », témoigne Beaugard, un immigré régulier dans l’Etat Ohio, mais qui s’inquiète beaucoup pour ses frères, les sans-papiers obligés d’abandonner leur domicile pour échapper à la police d’immigration.
Donald Trump, depuis son retour à la Maison Blanche le 20 janvier dernier, a mis en application sa promesse de campagne de déporter les sans-papiers de son pays.
« Beaucoup d’amis que je connais dans les autres Etats ont arrêté leur travail. Parce que c’est là où on vient les chercher », confie à BBC Afrique Ousmane (nom d’emprunt), un Sénégalais en situation irrégulière qui habite dans un Etat au nord des Etats-Unis.
Il indique que les sans-papiers dans cette partie du pays sont pour le moment en observation, parce que le gouverneur de l’Etat est contre la politique de déportation de Trump. Mais Ousmane est conscient que la menace d’expulsion est réelle. « Dans tous les cas, ils vont venir chez nous ».
Il est surtout inquiet lorsqu’il apprend les arrestations et les expulsions qu’il y a lieu dans les grands Etats comme Chicago, Atlanta, California, New York et autres. « Ils sautent sur les gens en chemin et les renvoient dans leur pays sans rien. Ils n’ont pas le temps de prendre ni argent ni effet personnel », renchérit Beaugard.
Le président américain Donald Trump promet la plus « grande opération de déportation de masse dans l’histoire des Etats-Unis ». Cela concerne des centaines de milliers de personnes en situation irrégulière dans le pays.
Le 23 janvier dernier, le porte-parole de la Maison Blanche, Karoline Leavitt a indiqué que les services d’immigration ont arrêté 538 immigrés illégaux et en ont expulsé des centaines par des avions de l’armée au cours d’une opération de masse.
Il s’agit, selon elle, « d’immigrés criminels illégaux » parmi lesquels « un terroriste présumé, quatre membres du gang Tren de Aragua et plusieurs clandestins condamnés pour des délits sexuels commis sur des mineurs ».
Une situation anxiogène pour les immigrés illégaux
De profonds changements en droit de l’immigration sont intervenus avec le second mandat de Donald Trump. L’administration Trump a renforcé les restrictions contre l’immigration illégale, selon Me Annick Attorney Koloko, Avocate à la cour, membre du Barreau de New York, membre du barreau des avocats issus des minorités (Western NY Minority Bar Association).
Membre du barreau des avocates de WNY et Fondatrice de l’association des avocats d’origine africaine d’Amérique du Nord, qui s’est confiée à BBC Afrique.
La situation, selon elle, suscite des préoccupations parmi les réfugiés et les migrants sans papiers qui se retrouvent face au risque accru d’expulsions massives.
« Il y a un fort climat anxiogène dans la communauté de migrants. Certains immigrants ont retiré leurs enfants de l’école, par peur d’être victimes de raids. D’autres n’osent plus sortir de chez eux, y compris pour faire les courses au supermarché », indique-t-elle.
Ousmane qui est en situation irrégulière dans le pays depuis plus de deux (02) et demi, se sent très menacé, même s’il affirme qu’il va au travail et continue de faire ses shoppings grâce au calme qui règne dans le petit Etat où il habite.
« On ne va quand même pas rester à la maison à ne rien faire. La vie est très chère ici. Il y a la famille au Sénégal qu’il faut supporter aussi. Mais il faut être prudent et ne pas chercher un problème qui peut te faire localiser ».
Dans son Etat au nord des Etats-Unis, Ousmane peut se permettre encore d’aller au boulot. « Mais en vérité, il y a cette peur qui vous ronge parce qu’ils peuvent venir vous trouver là où vous êtes et automatiquement vous êtes expulsé sans bagage, sans document, sans argent. C’est ça qui me fait peur », reconnaît-il.
Et de déclarer comme dans une sorte de fatalité : « Si ça devrait m’arriver aujourd’hui, je ne peux rien y faire. Mais si je devais échapper aussi à ce piège, cela arrivera ».
Des déplacements des sans-papiers d’un Etat à un autre
Devant cette situation délicate, il est fréquent, selon lui, de voir des gens, notamment des Africains en situation irrégulière, migrer d’un Etat à un autre beaucoup plus calme, où les raids se font un peu rares.
Ces déplacements s’observent surtout à Chicago, Californie, Atlanta, New York, Ohio, Denver. « Dans ces villes, les Etats ont beaucoup souffert des migrants. C’est là où ils ont commencé, et petit à petit, ils vont aller dans les autres villes », a fait observer Ousmane qui ajoute qu’il a des amis qui quittent ces Etats pour aller vivre dans d’autres Etats beaucoup plus calmes.
Selon lui, cetains amis ont décidé carrément de quitter les Etats-Unis pour aller au Canada, en plus de ceux qui font des déplacements entre Etats. Mais là aussi (Canada), ils vont rester dans la situation d’irrégularité.
« J’ai des amis ici qui ne veulent plus repartir au Sénégal ou en Afrique. Parce qu’ils ont dépensé des millions pour arriver ici et pour le moment, ils n’ont pas encore trouvé cet argent. Je connais un qui a dépensé 6 millions pour venir, mais il peine à joindre les deux bouts ici ».
Aujourd’hui, toutes ces personnes ont peur d’aller au travail. Surtout celles qui ont une fois eu des problèmes avec la justice dans le pays. Et c’est difficile pour des gens qui vivent au jour le jour de ne pas pouvoir aller travailler, de peur d’être expulsés.
« Un bon ami à moi m’a dit qu’il n’était pas de shift la semaine dernière. Mais la police d’immigration était passée dans son lieu de travail. Elle a embarqué des gens, des Mexicains surtout. Le lendemain aussi il n’était pas allé au travail. C’est compliqué pour nous ici », dit Ousmane.
Il note aussi qu’il y a un risque pour prendre l’avion d’un Etat à un autre. Des amis à lui, selon ce qu’il nous a confié, sont là depuis des jours sans voir leurs proches. Parce qu’ils devraient se rendre dans un autre Etat pour cela. « Les contrôles sont beaucoup plus stricts dans les aéroports ».
Beaucoup de ces immigrés illégaux évitent les lieux de rencontre, les centres commerciaux, les mosquées et autres qui sont des endroits de prédilection pour la police d’immigration aux Etats-Unis.
Ousmane réitère que dans son Etat, les choses sont calmes, grâce au gouverneur de son Etat qui est contre la politique d’immigration de Donald Trump. « La police d’immigration est là, elle ne dit rien pour le moment. Mais on sait qu’un jour elle va descendre sur nous et commencer à interpeller les gens ».
Ces personnes concernées par la déportation
« Tout petit problème peut t’amener à la déportation », indique Ousmane qui explique qu’il faut rester prudent et ne pas se faire remarquer par les autorités ou la justice. Ce sont surtout les criminels et ceux qui ont déjà eu des démêlées avec la justice qui sont concernés pour le moment.
« Les principales catégories sont les personnes condamnées pour crimes ou délits, ainsi que les personnes ayant un ordre de déportation final », fait savoir Me Annick Koloko.
Les personnes qui sont entrées aux Etats-Unis par la route de Nicaragua sont très recherchées. La police les traque. Parce qu’ils « n’ont pas de document ni de work permit », selon Ousmane.
Me Annick Koloko représente de nombreux immigrés illégaux devant les tribunaux aux Etats-Unis. Ces derniers, malgré la décision de déportation des autorités américaines, peuvent saisir ces tribunaux et faire valoir les droits dont ils jouissent. Dans ce cas, il faut d’abord être exempt de condamnation dans le passé.
Il existe donc des voies de recours pour ceux qui ont un moyen de défense contre la déportation. Les conjoints de citoyens américains par exemple, sont considérés comme parents proches avec des visas prioritaires devant l’US Citizens and Immigration Services (USCIS).
Aussi selon l’avocate, Fondatrice de l’association des avocats d’origine africaine d’Amérique du Nord, « les demandeurs d’asile peuvent être également protégés, tant que leur procédure est en cours devant la cour d’immigration ou USCIS ».
De plus, les personnes victimes de crimes, notamment de la traite des êtres humains et détentrices de T visa qui permet aussi à leur famille proche de résider et de travailler temporairement sur le territoire américain, ne peuvent pas être déportées.
Il en est de même pour celles qui ont subi des violences mentales ou physiques et qui sont utiles aux forces de l’ordre ou aux représentants du gouvernement dans le cadre d’une enquête ou de poursuites pénales et qui possèdent U visa, ou encore des personnes victimes de violence à l’égard des femmes avec la carte verte Vawa.
« De surcroît, les personnes présentes aux États-Unis depuis 10 ans, peuvent demander l’annulation de la procédure de déportation, si cela représenterait des difficultés exceptionnelles pour son conjoint ou enfants américains ou résidents permanents », ajoute Me Koloko.
Enfin, les personnes parrainées par un employeur, peuvent également attaquer la déportation devant les tribunaux aux Etats-Unis.
« Nous assistons nos clients face à la déportation. Nous les représentons devant les tribunaux d’immigration, ainsi que devant USCIS. Nous assistons également des clients qui souhaitent ajuster leur statut de non immigrant à immigrant », renseigne l’avocate.
Elle lance un appel aux immigrés afin de s’informer et de connaître leurs droits pour ne pas subir l’injustice par rapport au durcissement de la loi sur l’immigration sous le second mandat de Donald Trump.
« Il faut également rester positif, car les Etats-Unis demeurent un pays de droit. Il existe présentement, une série de poursuites judiciaires déposées devant les cours, suite à la série des décrets présidentiels », souligne-t-elle.
Quant à Ousmane qui reconnaît ne pas être à l’abri d’une déportation, même si c’est le calme dans l’Etat dans lequel il se trouve au nord des Etats-Unis, ce ne sera pas une fatalité. Photographe, monteur et infographe, il compte reprendre ses activités dans l’audiovisuel au Sénégal si cela devait lui arriver.
« On est aux Etats-Unis, mais tout notre esprit est au Sénégal. Le futur c’est l’Afrique. On est ici pour chercher quelque chose pour aller investir dans notre pays. Avec le peu que j’ai, je pourrais, si cela m’arrive, aller investir au Sénégal et reprendre mes activités », projette ce jeune.
Il souligne que l’Afrique est mieux pour entreprendre, car aux Etats-Unis les immigrés gagnent de l’argent mais sont obligés de le dépenser dans les taxes, assurances et autres, en plus de l’argent qu’il faut envoyer à sa famille en Afrique. « Rien n’est gratuit aux Etats-Unis ».
Ousmane compte investir également dans le secteur de l’agriculture dans son pays. « On ne va pas rester aux Etats-Unis éternellement. Je pense un jour retourner au Sénégal et être entouré de mes amis, de ma famille et de mes proches. On a fait des études, on a notre maîtrise, on pense aller travailler aussi pour notre pays. On est venu pour chercher un avenir meilleur. Mais si les choses ne sont pas au rendez-vous et qu’on a difficultés, mieux vaut retourner dans son pays et essayer autre chose ».
Déjà, selon ce qu’il nous a confié, il a un terrain dans les Niayes (Sénégal) où il prévoit faire du maraîchage. « J’ai acheté aussi du matériel audiovisuel pour investir dans ce domaine au Sénégal ».
Le retour de Trump complique l’espoir des immigrés
Selon l’agence de contrôle d’immigration et des douanes, en juillet 2024, 425 000 personnes ont écopé d’une condamnation pénale, avec 13 000 pour homicide.
Lors de son premier mandat, Donald Trump réalisait 80 000 expulsions chaque année, selon les chiffres officiels de l’agence fédérale de contrôle de l’immigration et des douanes. Un chiffre qui a connu une baisse sous l’administration Biden, avec 35 000 expulsions chaque année.
Selon l’agence de contrôle d’immigration et des douanes, en juillet 2024, 425 000 personnes ont écopé d’une condamnation pénale, avec 13 000 pour homicide.
Des données fournies par U.S Immigration and Customs Enforcement (ICE) en octobre 2024, on obverse que plusieurs ressortissants africains se trouvent parmi les personnes arrêtées et détenues aux Etats-Unis et qui en attente d’être expulsées vers leur pays d’origine.
Ces données présentent pour la première fois des informations et des tendances sur les arrestations, les détentions, les renvois et les alternatives à la détention au 30 septembre 2024.
« Au début, on avait une lueur d’espoir. Parce qu’on se disait qu’on va avoir bientôt nos papiers. Mais avec le retour de Trump, ça devient de plus en plus difficile d’avoir accès à un avocat. Nos documents et demandes sont mis en attente. Tout est bloqué. On a peur. C’est ça qui fait mal », regrette Ousmane.
Source: https://www.bbc.com/