Suite à l’arrestation et à l’incarcération de certaines personnalités de la cinquième législature pour avoir perçu des avantages indus, nous annoncions dans nos différentes parutions que le Conseil national de transition (CNT) préparait une proposition de loi avec effet rétroactif pour régulariser les avantages indument perçus par ses membres. La suite des évènements vient de nous donner effectivement raison. En effet, par une requête en date du 20 mars 2024, le président de la transition a transmis à la Cour Constitutionnelle la Loi organique N°2023-058 du 16 novembre 2023 fixant les avantages, indemnités et autres traitements des membres du Conseil national de transition pour contrôler sa constitutionnalité. Dans son Arrêt N°2024-01/CC du 18 avril 2024, la Cour Constitutionnelle déclare six des neuf articles non conformes à la Constitution et la Charte de la Transition.
Sur la recevabilité de la requête, la Cour considère qu’aux termes des dispositions de l’article 147 de la Constitution : “La Cour constitutionnelle connaît obligatoirement de la constitutionnalité des lois organiques avant leur promulgation… ; Les lois organiques sont soumises par le Président de la République à la Cour constitutionnelle avant leur promulgation ; le projet ou la proposition ne peut, être soumis à la délibération qu’à l’expiration d’un délai de quinze (15) jours, après son dépôt ; il est adopté à la majorité absolue des membres votants ; Les lois organiques ne peuvent être promulguées qu’après la déclaration, par la Cour constitutionnelle, de leur conformité à la Constitution”.
Selon la Cour, il ressort du compte rendu intégral de la séance plénière du 16 novembre 2023, versé au dossier de la procédure, que le Conseil national de Transition a délibéré le même jour sur la proposition de loi objet du dépôt n°2023/63/CNT en date du 19 juin 2023, portant loi organique fixant les avantages, indemnités et autres traitements des membres du Conseil national de Transition. Dès lors, la proposition de loi a obéi aux délais de dépôt et d’examen à savoir quinze jours entre la date de dépôt le 19 juin 2023 et la date de son examen le 16 novembre 2023.
Aussi, le Conseil national de Transition a adopté la proposition de la loi au cours de la même séance à l’unanimité des membres présents, par 132 voix pour, zéro voix contre et zéro abstention. Donc, la loi soumise au contrôle de constitutionnalité a été votée à la majorité absolue des membres présents du Conseil national de Transition dans les délais et formes prévus par la Constitution. A ce titre, la Cour a déclaré régulière, la procédure de son adoption.
Sur la conformité à la Constitution, la Cour rappelle que la Loi N°2023-058/CNT-RM du 16 novembre 2023 est composée de neuf articles dont le titre est ainsi libellé : “loi organique fixant les avantages, indemnités et autres traitements des membres du Conseil national de Transition”. Alors que l’article 1er dispose : “La présente loi organique fixe les avantages, indemnités et autres traitements des membres du Conseil national de Transition” et considérant que l’article 101 de la Constitution dispose : “Une loi organique fixe les indemnités et les autres avantages alloués aux Députés et aux Sénateurs”.
Il résulte de la lecture de cette disposition que le membre de phrase “et autres traitements” constitue un rajout tant dans le titre de la loi qu’au niveau de l’article 1er et n’est pas conforme à la Constitution.
En ce qui concerne l’article 7 de la proposition qui dispose : “La présente loi régit les avantages, indemnités et autres traitements des membres du Conseil national de Transition depuis sa mise en place”, la Cour estime que ces dispositions sont itératives de celles de l’article 1er qui précisent déjà l’objet de la loi organique.
Cependant, elle indique que la précision “depuis sa mise en place”, qui traduit le caractère rétroactif de la loi, devrait figurer, conformément à la tradition légistique, dans les dispositions finales.
S’agissant de l’article 8 de ladite loi qui dispose : “Les montants et modalités d’attribution des indemnités, avantages et autres traitements des membres du Conseil national de Transition sont déterminés par un acte règlementaire interne du Président du Conseil national de Transition”, la Cour Constitutionnelle refuse cette prérogative au président du CNT, car cette compétence revient au législateur organique conformément à l’article 101 de la Constitution. En conséquence, elle déclare que l’article 8 est contraire à la Constitution.
Se prononçant sur l’article 9 qui dispose : “la présente loi qui abroge toutes dispositions antérieures contraires sera enregistrée et publiée au journal officiel”, la Cour estime que cette disposition, sans être contraire à la Constitution, peut être reformulée ainsi qu’il suit : “La présente loi, qui prend effet à compter de la date de mise en place du Conseil national de Transition, abroge toutes dispositions antérieures contraires et sera enregistrée et publiée au Journal officiel”. Ainsi, elle estime que l’article 9 est conforme à la Constitution.
Par ces motifs, la Cour déclare que la requête du président de la transition recevable et la procédure d’adoption de la Loi N°2023-058/CNT-RM du 16 novembre 2023, régulière. Elle déclare conformes à la Constitution et à la Charte de la Transition, les dispositions de l’article 9 de la Loi N°2023-058/CNT-RM du 16 novembre 2023.
Sur la régularité de la procédure d’adoption de la loi Nº2023-058/CNT-RM du 16 novembre 2023, la Cour déclare que les dispositions de l’article 2 et 3 sont conformes à la Constitution sous réserve de remplacer “fonds de souveraineté” par “fonds spéciaux” à l’article 2 et “salaire” par “indemnité parlementaire” aux articles 2 et 3. En effet, l’article 2 indique : “Le Président du Conseil national de Transition perçoit un salaire parlementaire mensuel calculé sur la base de l’indice hors échelle. II bénéficie en outre d’un fonds de souveraineté”.
Et l’article 3 dispose : “Les membres du Conseil national de Transition perçoivent un salaire calculé sur la base de l’indice le plus élevé de la fonction publique”, la Cour estime que le fonds de souveraineté n’est dû qu’au président de la République et le salaire est une rémunération prévue pour les travailleurs et non pour les parlementaires.
Dans son arrêt, la Cour déclare que les dispositions des articles 4, 5 et 6 sont incomplètes, donc non conformes à la Constitution sous réserve de la fixation du montant correspondant à chaque indemnité et avantage énumérés. Car, l’article 4 dispose : “il est accordé en sus aux membres du Conseil national de Transition des indemnités ci-après : une indemnité de représentation par mois ; une indemnité spéciale pour les membres du bureau; une indemnité chauffeur pour les membres du bureau; une indemnité de session par jour de session; une indemnité de restitution par session ordinaire; une indemnité de logement par mois; une indemnité spéciale ; une indemnité de monture; une indemnité de téléphone; une indemnité de responsabilité ; une indemnité de sujétion; une dotation de carburant”. Tandis que l’article 5 dit : “Les présidents des commissions bénéficient en sus d’une indemnité de responsabilité”. Et l’article 6 prescrit : “Les présidents et vice-présidents des commissions du Conseil national de Transition perçoivent en sus une indemnité de sujétion”, alors que la Constitution prescrit de fixer les indemnités et autres avantages. Pour la Cour, “fixer” s’entend, d’indiquer le montant correspondant à chacune des indemnités énumérées en tenant compte de la division technique du travail parlementaire.
En conclusion, la Cour déclare les dispositions des articles 2 et 3 conformes à la Constitution et à la Charte de la Transition sous réserve des reformulations proposées. Cependant, elle déclare non conformes à la Constitution et à la Charte de la Transition le titre de la loi ainsi que les dispositions des articles 1er, 4, 5, 6, 7 et 8.
Boubacar Païtao