Une rétroactivité qui heurte la morale
Il n’y a désormais plus de débat relatif à la légalité des émoluments des membres du Conseil national de transition (CNT) puisque, par son Arrêt n°2024-04/cc du 27 juin 2024, la Cour constitutionnelle a donné quitus à la Loi organique y afférente, notamment celle n°2023-058/ CNT-RM du 25 avril, fixant les avantages, indemnités et autres traitements des membres du CNT. Cette loi rétroactive, efface une illégalité fondée sur des pratiques pour lesquelles, pourtant, des gens sont détenus. Le droit, c’est vrai, mais que faire de l’éthique, la morale et le bon sens ?
La prolongation de la Transition ne serait pas du tout mal pour les membres du Conseil national de Transition (CNT) qui sont à l’abri des affres de l’austérité vécue par les Maliens au quotidien. En effet, pendant que les syndicats des différents secteurs d’activités mettent en veilleuse la satisfaction de leurs doléances, les membres du CNT ont voté pour eux-mêmes un fatras d’avantages et une kyrielle d’indemnités, en plus de percevoir d’autres traitements comme le faisaient les députés de l’Assemblée nationale.
La Cour constitutionnelle a donné quitus à la Loi organique n°2023-058/ CNT-RM du 25 avril, fixant les avantages, indemnités et autres traitements des membres du Conseil national de transition (CNT), faisant ainsi suite à la requête N°0002/PT en date du 29 mai 2024 de Monsieur le Président de la Transition, Chef de l’Etat, transmettant à la Cour constitutionnelle, pour contrôle de constitutionnalité ladite loi organique. Laquelle, après correction des points jugés non conformes une première fois, a été donc déclarée conforme par la Cour constitutionnelle, le 27 Juin 2024.
Rappelons que par arrêt n°2024-01/CC du 18 avril 2024, la Cour constitutionnelle, statuant conformément aux dispositions de l’article 147 alinéas 1 et 2 de la Constitution, déclarait contraires à la Constitution et à la Charte de la Transition, le titre et les articles 1er, 4, 5, 6, 7 et 8 de la Loi n°2023- 058/CNT-RM du 16 novembre 2023 et, par ailleurs, déclarait conformes à la Constitution et à la Charte de la Transition, les dispositions des articles 2 et 3 sous réserve des reformulations proposées. Il fallait donc, pour le CNT, revoir sa copie.
C’est en exécution dudit arrêt que le Conseil national de Transition a réexaminé les dispositions déclarées non conformes ainsi que celles déclarées conformes sous réserve, de la Loi n°2023-058/CNT-RM du 16 novembre 2023 lors de sa séance plénière du 25 avril 2024.
Parmi les correctifs apportés par les membres du CNT, disons qu’ils ont évité tout simplement de parler de salaire, contrairement à la première version. C’est parce que la Cour constitutionnelle avait rejeté la proposition consistant à se doter de salaires. Cependant, la longue liste d’indemnités pour les conseillers nationaux a été maintenue.
Selon l’article 2 de la présente loi organique : “Le Président du Conseil national de Transition perçoit une indemnité parlementaire mensuelle calculée sur la base de l’indice hors échelle. Il bénéficie en outre de fonds spéciaux”. L’article 3 précise qu’il a droit à “des fonds spéciaux”.
Une rétroactivité qui fait jaser
Quant aux membres du CNT, l’article 4 stipule : “Il est accordé en sus aux membres du Conseil national de Transition des indemnités ci-après : une indemnité de représentation par mois ; une indemnité spéciale pour les membres du bureau ; une indemnité chauffeur pour les membres du bureau ; une indemnité de session par jour de session ; une indemnité de restitution par session ordinaire ; une indemnité de logement par mois ; une indemnité spéciale ; une indemnité de monture ; une indemnité de téléphone ; une indemnité de responsabilité ; une indemnité de sujétion ; une dotation de carburant”.
L’article 5 indique : “Les présidents des commissions bénéficient en sus d’une indemnité de responsabilité” ; et l’article 6 de disposer que : “Les présidents et vice-présidents des commissions du Conseil national de Transition perçoivent en sus une indemnité de sujétion”.
Avec toutes ces indemnités, les membres du CNT donnent le bon exemple de sacrifice à consentir pour accompagner la Transition, comme ce fut demandé au peuple qui supporte stoïquement les affres liées aux difficultés de la vie quotidienne. L’austérité conjoncturelle est passée par-là. A coup sûr, beaucoup parmi les membres du CNT n’ont gagné autant par mois durant leur carrière professionnelle – pour ceux qui en ont eu – et par conséquent, il est naturel que du côté de cette institution de transition l’on ne presse pas le pas pour un retour à l’ordre constitutionnel.
Par ailleurs, ce qui attire le plus attention dans cette loi organique que la Cour constitutionnelle vient de valider, c’est l’effet rétroactif sur toutes les dispositions antérieures selon l’article 8 qui stipule que : “La présente loi, qui prend effet à compter de la date de mise en place du Conseil national de Transition abroge toutes dispositions antérieures contraires et sera enregistrée et publiée au Journal officiel”. La publication a été effectivement faite dans le Journal Officiel Spécial N°12 du 1er juillet 2024.
Cette rétroactivité est une façon de mettre fin à une illégalité pourtant déjà consommée car, sans aucune base légale, des avantages et indemnités étaient perçus par les membres du CNT, copiés sur les pratiques de la défunte Assemblée nationale. Des faits qui ont jeté un ancien président de l’Assemblée nationale et son Directeur financier entre les mailles de la justice. Si, maintenant, ces mêmes faits doivent être validés et accepter que cela bénéficie à des Maliens, il y a matière à réflexion. En d’autres termes, il y a le droit certes, mais il y a aussi la morale et la conscience nationale à évoquer pour aller dans le sens de prises de décisions qui ne frustrent une partie des Maliens, mais contribue à les unir. Là, gît tout le sens profond de cette rétroactivité de la loi portant avantages, indemnités et autres traitements des membres du CNT.
Amadou DIARRA