La saison des pluies de cette année est particulièrement dévastatrice aussi bien dans notre pays que dans la sous-région. À ce jour, la cote d’alerte critique de 1967 est dépassée à différentes proportions des cours d’eau du pays. On déplore 64 cas de décès et 148 blessés dans les inondations à travers le Mali. Il y a 187.767 sinistrés dont certains sont logés dans des écoles
C’est désormais une évidence : les cours d’eau débordent et la situation hydrologique du pays inquiète. De Banankoro sur le fleuve Niger à Gourbassi sur le Falémé en passant par Kéniéroba et Sélingué sur le Sankarani, Koulikoro, Ségou, Ké-Macina, Diré et Ansongo sur le Niger ; les seuils d’alerte de 1967 sont atteints et même dépassés. Et l’alerte critique aux crues est déjà lancée depuis des semaines. La montée des eaux est spectaculaire de Bamako à Sofara en passant par Beleny Kegny à San, Banankoro, Ké-Macina et Mopti.
Les prélèvements conservés dans la bande sahélienne et localement au nord des pays du golfe de Guinée (Niger, Burkina Faso, Sénégal, Mauritanie, Mali, Nigeria et Guinée Conakry) ont été supérieurs de 120% à 200% aux moyennes de ces cinq dernières années .
La situation hydrologique le long des fleuves Niger et Bani est marquée par la poursuite de la montée des niveaux d’eau. Une situation qui provoque déjà des débordements des eaux du cours normal par endroits. Les seuils d’alerte sont dépassés notamment à Bamako. Plusieurs zones de la capitale sont mises en vigilance rouge, selon le communiqué du Centre de coordination et de gestion des crises.
Il s’agit de Kalaban Coro (sur toute la partie de la station de pompage de la Somagep.SA, Djikoroni para), de Badalabougou (sur toute la zone située entre le palais de la Culture et l’ancienne ambassade du Sénégal), de la Cité du Niger surtout la zone de l’hôtel Mandé, de Sotuba zone industrielle, de la corniche de la Cinquanteine (alentours de la brigade fluviale). Autres localités concernées : Koulikoro (partie avale de la brigade fluviale, le village de Diarrabougou), Ségou (village de Sekoro et quartier Somono), San (Bélény Kegni. Goukoro), Djénné (Sy, Touara, Soala), Mopti ville (zone périphérique de la confluence Ban/Niger), Diré, Tombouctou (Koryoumé), Banankoro, Ké-macina et Diafarabé. À cet égard, le ministre de la Sécurité et de la Protection civile, secrétaire permanent du Comité interministériel de gestion des crises et des catastrophes, invite les populations à l’évacuation des zones riveraines, car la montée continue et les apports d’eau sont très important.
Pour mieux appréhender la situation actuelle, l’analyse des spécialistes de l’hydraulique s’impose. Dr Abdrahamane Sylla, spécialiste en hydrologie et observateur averti des cours d’eau, assure que les risques de débordement et d’inondations sont réels. «La montée des eaux continue avec une cadence très importante, ce qui présage des risques d’inondations dans les semaines à venir», alerte le spécialiste. Selon lui, la situation hydrologique particulière de cette année avait été prédite par les services météorologiques annonçant que cette année, l’hivernage sera marqué par une pluviométrie exceptionnelle. Ainsi, à ce jour, explique-t-il, la cote d’alerte est dépassée de 20 cm à Bamako. «Ce dépassement va continuer. Il faut noter que Banankoro (Kangaba) constitue la première station d’observation du fleuve Niger à son entrée sur le territoire malien à partir de la Guinée. À ce jour, le niveau de montée d’eau à Banankoro est estimé à 744 cm contre 508 cm en 2023, 691 cm en 2018 et 712 cm en 1967. Le seuil d’alerte étant fixé à 750cm», détaille notre interlocuteur.
BARRAGE DE SELINGUÉ- Il ressort du bulletin d’information des services hydrauliques qu’à Kénieroba, à la confluence Sankarani/Niger, le niveau d’eau actuel est estimé à 608 cm contre 428 cm en 2023, 647 cm en 2018 et 650 cm en 1967, alors que le seuil d’alerte est de 650 cm.
Quant au barrage de Sélingué toujours sur le Sankarani, le niveau d’eau est estimé aujourd’hui à 346,48 m contre 346,50 m requis. À Bamako, sur le Niger, le niveau d’eau est augmentant à 390 cm contre 393 cm en 2018 et 390 cm en 1967, le seuil étant de 380 cm soit un dépassement de 10 cm. À Kayes sur le fleuve Sénégal, le niveau de l’eau est de 752 cm contre 379 cm en 2023, 587 cm en 2022 et 976 en 1967, alors que le seuil est fixé à 859 cm. À Gourbassi sur la Falémé, le niveau d’eau est aujourd’hui de 650 cm contre 377 cm en 2023, 444 cm en 2022 et 538 cm en 1967.
Dr Abdrahamane Sylla indique que cette situation présage divers types d’inondations ; notamment les inondations par la formation de crues torrentielles suite aux fortes pluies, les inondations par le ruissellement urbain et agricole, mais aussi les inondations par les montées d’eau ou celles liées à la crue du fleuve. Notre interlocuteur déplore également les apports d’eau qui viennent toujours de la Guinée et de la Côte d’Ivoire, de façon générale des pays voisins.
Pour cause, les fleuves sont interconnectés entre les pays. Parlant des lâchers d’eau qui ont commencé, il y a un mois au niveau des différents barrages, notre interlocuteur explique que le processus se fait à travers un mécanisme bien maîtrisé par les services hydrologiques. « Ici, le mécanisme est adopté à des calculs scientifiques appropriés. Lorsqu’on lâche au niveau de Sélingué, ces services ont des équipements adéquats à Bamako, Koulikoro et ailleurs qui permettent en permanence de suivre le niveau de l’eau. Ils savent exactement sur le long du fleuve quel est l’impact du volume lâché et entraînera son évolution en fonction de son impact et de leurs attentes», révèle-t-il.
«Les lâchers, c’est pour sauver le barrage. Il y a une cote maximale que l’eau ne doit pas dépasser qui est de 349 m, et actuellement nous sommes à la cote 346 m dans le barrage de Sélingué. La montée d’eau est de 25 cm par jour, en une semaine le barrage est plein donc d’où la nécessité de procéder à ces lâchers», explique l’expert. Le spécialiste ajoute que les lâchers d’eau sont surtout très bénéfiques pour les usagers du fleuve, notamment les pêcheurs. Cela permet aux poissons de quitter l’amont du fleuve pour venir à l’aval du barrage.
De la réunion du Comité interministériel de gestion de crises et catastrophes, tenue le 19 septembre dernier au Centre de coordination et de gestion des crises (Cecogec), il ressort un cumul de 377 cas d’inondations depuis le début de l’hivernage, 6 cas de vents violents, 8 cas de foudre, 30.209 cas d’effondrements et 32.822 cas de maisons à risque d’effondrement ou endommagées. Cette situation a engendré 187.767 personnes sinistrées, soit 53.417 hommes, 58.676 femmes et 75.674 enfants. On déplore 64 cas de pertes en vies humaines et 148 blessés.
Babba COULIBALY