Des négociations entre plusieurs compagnies aériennes non africaines et certains Etats parties de la Décision de Yamoussoukro, il ressort que ces compagnies n’arrivent pas à jouir du droit d’embarquer et de débarquer des passagers, du fret et de la poste entre deux ou plusieurs Etats faisant partie de cette convention. Autrement dit, il leur est interdit d’appliquer la cinquième liberté du droit de trafic.
Qu’est-ce que la cinquième liberté du droit de trafic ? C’est le droit accordé à une compagnie aérienne de transporter les passagers, le fret et le courrier entre deux Etats autre que son Etat d’origine (cf. Convention de Chicago relative à l’Aviation civile internationale de 1944). La décision de Yamoussoukro limite ce droit aux compagnies africaines sur l’espace aérien africain (art.1.).
Cette décision se justifierait par la volonté des Etats parties de libéraliser de manière graduelle les services de transport aérien intra-africain réguliers et non réguliers (art.2.). Les Etats parties pourraient octroyer à leurs compagnies désignées le droit d’embarquer et de débarquer les passagers, le fret et la poste dans les états de l’espace couvert par ce traité (art.3).
Cependant, les compagnies nationales sur le continent peinent à se développer malgré cette volonté de les protéger contre ce qui peut être appelé la concurrence avec les compagnies aériennes non-africaines ayant une grande maturité.
Depuis près de 25 ans, à l’exception des Etats comme l’Ethiopie, la Mauritanie, le Kenya, l’Afrique du Sud, rares sont les pays au sud du Sahara qui ont pu mettre en œuvre des politiques garantissant l’existence et la viabilité des compagnies dignes de ce nom.
De 1999 jusqu’à la fin de la première moitié des années 2000, le Mali a souvent consenti l’effort de s’offrir des compagnies pour assurer la desserte intérieure et extérieure du pays. Nous avions assisté à la création de Cami et d’Air Mali SA qui n’ont pas survécu pendant longtemps. En plus, des compagnies de la sous-région qui participaient à la desserte du pays, pour des raisons diverses, n’opèrent plus sur les aéroports maliens.
De nos jours, le pays est desservi par seulement une dizaine de fournisseurs de services aériens réguliers africains. La plupart de ces fournisseurs ont du mal à assurer des services ponctuels pour des raisons telles que le manque de nombre suffisant d’aéronefs dans leurs flottes et la grande demande de la maintenance par ces flottes.
Plus important que tout, le ratio des charges aéroportuaires (taxes et autres frais) des prix de billets rend ces derniers hors de portée de la grande majorité des consommateurs. L’analyse des tarifs entre certaines capitales de la sous-région africaine et Bamako révèle que le consommateur du service aérien malien qui part de Bamako paye plus cher qu’un Espagnol utilisant l’aéroport international de Barcelone-El Prat.
Sur une plage de temps de vol allant de zéro à quatre-vingt-dix minutes, le passager en aller-retour de/à Bamako paye au minimum trois cents mille francs CFA en classe économie pour rallier Conakry. Le même passager s’il doit voyager en classe affaire payera près de six cent mille francs CFA sur le même secteur Bamako-Conakry-Bamako.
Au même moment, le passager qui veut partir de Barcelone à une autre capitale de la sous-région d’Europe occidentale et retourner sur la même plage de temps de vol, va payer nettement moins cher. Il aura à acheter à moins de cent mille francs CFA en classe économie Barcelone-Lisboa-Barcelone et absolument un prix maximum de deux cent mille francs CFA en classe affaire Barcelone-Berlin-Barcelone. De la même manière, sur le secteur Barcelone-Bruxelles-Barcelone, on observe en classe économie moins de cent mille et en classe affaire avec explicitement moins de deux cent mille francs CFA que le client pourrait payer pour s’offrir son voyage.
Défi de la tarification
De même que les tarifs sur la plage de temps de vol entre zéro et quatre-vingt-dix minutes, les tarifs sur une autre plage allant de cent seize à cent-quatre-vingt-quinze minutes illustrent aussi des différences significatives.
Par ailleurs, Bamako-Nouakchott-Bamako présente des tarifs allant d’un peu plus de deux cent mille en classe économique et moins de trois cent mille en classe affaire pendant que le secteur Bamako-Casablanca-Bamako montre des tarifs entre deux cent mille et plus de trois cent mille francs respectivement en classes économie et affaire.
Comparativement à ces tarifs, on observe des tarifs plus bas entre cinquante mille et deux cent mille francs CFA en classes économique et affaire considérées l’une après l’autre sur le secteur Barcelone-Londres Heathrow-Barcelone. Sur le secteur Barcelone-Paris CDG-Barcelone, on constate un tarif pour des vols mono-classe qui dépasse difficilement cent mille francs.
Les prix du billet sur les secteurs allant de Barcelone au Luxembourg et ce Barcelone à Genève révèlent les mêmes tendances plus basses que ceux observés entre Bamako et ces villes paires. En classe économique Barcelone-Luxembourg-Barcelone, le voyageur paye moins de deux cent mille francs CFA en éco. Sur Barcelone-Genève-Barcelone, il paiera à partir de quarante-sept mille francs en classe économie et moins de deux cent mille en classe affaire.
Graphique de l’analyse des tarifs
Au regard de la réalité ci-dessus décrite, plusieurs observations sont possibles. Mais dans le cadre de cet article, je me limite à celle relative à la différence entre le degré de connectivité des deux villes. Comme cela a été mentionné plus haut, Bamako est desservi par seulement une dizaine de fournisseurs de services réguliers.
En plus de cette capacité limitée du service aérien, le mode transport routier est modeste même s’il reste le plus utilisé par rapport l’aérien. Le ferroviaire est totalement absent. Pour ce qui concerne Barcelone, par contre, les capacités proposées par les compagnies aériennes doublent déjà l’ensemble des capacités fournies par les compagnies qui desservent Bamako. A côté, opèrent d’autres compagnies privées qui sont en général des bas coûts.
En outre, sur l’ensemble des capitales scrutées, Barcelone est connecté à la plupart de celles-ci par d’autres modes de transport y compris la route, le fer et même la mer. Par ailleurs, le quasi-droit de cabotage accordé aux compagnies aériennes américaines en Europe offre des possibilités additionnelles au passager barcelonais dans les préparatifs de son voyage aérien.
Cette observation sur la différence entre le niveau de connectivité des deux villes rappelle une théorie économique courante : la relation entre la rareté et le prix. Etant donné que Bamako a accès à peu de capacités aériennes, il est alors très probable que le prix pour avoir accès à ce bien limité soit très élevé. Accorder la cinquième liberté du droit de trafic aux compagnies non-africaines n’est-il pas une solution pour augmenter les capacités existantes et rendre les prix plus compétitifs ?
Mamadou Camara
Gestionnaire de transport aérien