Les trois (03) pays ont lancé des réformes pour remettre la main sur les ressources de leur sous-sol. Ils n’ont pas hésité à engager des «bras de fer» avec de puissantes compagnies étrangères, dont certaines refusent de se plier aux nouvelles règles. Le Sénégal pourrait les suivre.
Le fait est sans précédent: plusieurs États d’Afrique de l’Ouest ont entrepris dans le même laps de temps de restaurer leur souveraineté sur leurs ressources minières, changeant les règles du jeu dans un secteur stratégique dominé par des multinationales toutes-puissantes.
De manière spectaculaire, le groupe français Orano (ex-Areva) a fait les frais de cette nouvelle politique au Niger, où il opère depuis 1971. Il y a d’abord eu, en juin 2024, l’annulation par les autorités de son permis d’exploitation pour la future mine d’Imouraren, un des plus grands gisements d’uranium du monde. Puis il a fait savoir, en décembre, qu’il avait perdu, au profit du Niger, le «contrôle opérationnel» de la Société des mines de l’Aïr (Somaïr), qui exploite le site d’uranium d’Arlit et dont il possède 63% des parts, le reste étant détenu par l’État nigérien.
Orano, qui avait pris l’habitude de faire la pluie et le beau temps dans le pays, a cherché à empêcher ce scénario de se réaliser, en vain: le gouvernement du général de Brigade Abdourahamane Tiani s’est montré intraitable. Mais le minier français n’a pas été le seul à subir un tel sort: le canadien GoviEx (Govi High-Power Exploration) s’est également fait retirer un permis d’exploitation d’un important gisement d’uranium près d’Arlit.
Depuis, le gouvernement nigérien a annoncé la création de deux (02) Sociétés d’État pour gérer l’extraction de l’uranium et de l’or. Objectif affiché: assurer «une gestion optimale des ressources» du pays «en toute souveraineté et au bénéfice de la population nigérienne».
Le Burkina Faso et le Mali sont engagés dans une dynamique similaire: depuis plusieurs mois, ils bousculent eux aussi les intérêts des entreprises minières, généralement étrangères, qui exploitent les nombreuses richesses de leur sous-sol, et bénéficient de conditions avantageuses depuis la libéralisation du secteur imposée aux pays africains à partir des années 1980 par les institutions financières internationales.
Des régimes militaires
Pour reprendre le contrôle, les trois (03) États, tous gouvernés par des militaires et qui ont constitué l’Alliance des États du Sahel (AES), ont commencé par réformer leur cadre légal. Au Burkina Faso, dirigé par le capitaine Ibrahim Traoré, tout a été fait, selon Africa Intelligence, pour que les industries extractives ne puissent jouer de leur influence lors de l’élaboration du nouveau Code minier, adopté par les député·es en juillet 2024: le processus s’est déroulé «dans le plus grand secret».
Les textes désormais en vigueur visent à augmenter les droits, taxes et redevances payés par les sociétés, à supprimer les exonérations dont elles bénéficiaient, à accorder la priorité aux nationaux pour les recrutements, à augmenter la part de l’État dans les projets miniers et à donner plus de place aux opérateurs du pays.
Au Mali, deuxième producteur africain d’or en 2023, la participation de l’État et des groupes privés nationaux dans les actifs miniers est ainsi passée de 20% à 35%. Le nouveau Code minier prévoit par ailleurs la création de fonds souverains destinés à financer le développement local- les autorités ont répété que l’or devait «briller davantage pour tous les Maliens».
Pour les compagnies minières, le coup est évidemment rude. Il l’est d’autant plus pour celles qui opèrent au Mali que les autorités sont aussi décidées à recouvrer au moins une partie de leurs arriérés de paiement d’impôts et de dividendes. Car, non seulement les multinationales ont pendant longtemps évolué sans trop de contraintes, mais elles ont aussi profité de la faiblesse des États pour éviter de remplir tous leurs devoirs et user de pratiques frauduleuses.
Un rapport officiel a donné un aperçu de la situation en 2019 au Mali: il montrait que les Sociétés minières ne payaient qu’une partie de leurs impôts, ne distribuaient pas les dividendes dus à l’État, ne remboursaient pas des emprunts contractés auprès de l’État, etc. Un audit du secteur, commandé aux cabinets Mazars et Iventus Mining par le «gouvernement de la transition» du colonel Assimi Goïta, a fait état, en 2023, des mêmes problèmes, qui auraient fait perdre plusieurs centaines de millions d’euros de revenus au pays.
La résistance de certaines multinationales
Certains groupes miniers ont accepté le changement de paradigme, mais après des négociations. C’est ainsi que le canadien B2Gold a payé 30 millions de dollars au trésor public malien, et obtenu de rester sous l’ancien régime minier pour un énorme gisement d’or qu’il exploite, tout en acceptant de fonctionner selon les nouvelles règles, adoptées en août 2023, pour de futurs projets d’extraction.
Le producteur d’or sud-africain Anglo Gold Ashanti et son confrère canadien Iamgold ont quant à eux rétrocédé à l’État malien leurs parts de la mine d’or de Yatela, qui va être gérée, comme le gisement aurifère de Morila lui aussi récemment nationalisé, par une entreprise publique, la Société de recherche et d’exploitation minière (SOREM).
Mais d’autres multinationales font de la résistance. Les dirigeants de Resolute Mining, qui est australienne et extrait aussi de l’or au Mali, ont refusé de verser ce que leur réclamait le Ministère de l’Économie et des Finances. La riposte a dû les surprendre: en novembre 2024, le Président-directeur général (PDG) de la compagnie et deux (02) cadres ont été incarcérés pendant une douzaine de jours. Resolute Mining a finalement réglé sa dette, soit 150 millions d’euros. Le géant canadien Barrick Gold, qui exploite avec l’État malien l’un des plus gros gisements aurifères du monde à Loulo-Gounkoto, continue pour sa part de s’accrocher.
Puisqu’il n’a pas voulu, lui non plus, s’acquitter du montant d’impôts et de dividendes impayés fixé par le Trésor public, soit au moins 700 millions d’euros, la justice malienne a inculpé et fait incarcérer, en novembre 2024, quatre de ses cadres maliens pour «blanchiment de capitaux». N’ayant rien obtenu, elle a aussi émis un mandat d’arrêt contre le Président-directeur général de Barrick Gold, M. Mark Bristow, et en janvier les autorités ont saisi un stock de trois tonnes d’or à Loulo- Gounkoto, d’une valeur de 240 millions d’euros. Aux dernières nouvelles, les deux parties en conflit étaient de nouveau en pourparlers.
En tout, le Mali a réussi, en 2024, selon son ministre de l’Économie et des Finances, à récupérer 500 milliards de francs CFA (plus de 700 millions d’euros) auprès des Sociétés minières. Et il devrait, grâce au nouveau dispositif légal, obtenir du secteur 750 milliards de francs CFA (1,1 milliard d’euros) au cours du premier trimestre de cette année.
Un effet domino ?
Du point de vue du Financial Times, le quotidien financier britannique, la méthode utilisée par les pays de l’AES prend des allures de «répression terrifiante» contre les groupes extractifs. La Société civile africaine a une appréciation différente de la situation: la branche Afrique du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (CADTM), par exemple, se dit favorable aux «actions contraignantes» visant «les multinationales qui pillent les richesses et détruisent l’environnement en toute impunité».
D’autres pays de la région vont-ils suivre cette logique ? Au moins un autre État du Sahel semble tenté: le Sénégal. Le tandem souverainiste formé par le président Bassirou Diomaye Faye et le Premier ministre, Ousmane Sonko a commandé peu après son arrivée au pouvoir, en avril 2024, un audit financier visant treize (13) Sociétés minières dans lesquelles l’État possède des parts. Parmi elles, la filiale du groupe français Eramet, qui extrait depuis dix (10) ans du zircon le long du littoral sénégalais et fait l’objet de nombreuses critiques de la part des populations locales.
L’idée est aussi d’aboutir à un partage des revenus plus équitable et à une gestion des ressources «au profit du peuple», a expliqué en décembre 2024 la Société des mines du Sénégal (SOMISEN), l’institution publique qui réalise ce diagnostic. Elle a déjà indiqué que la première phase de son travail avait montré que «IB» concernées, ou «perçoit des montants insignifiants par rapport au niveau de richesses générées par les exploitations minières».
Fin janvier, le gouvernement a lui-même déclaré que l’exploitation des ressources minières dans plusieurs localités du pays ne profitait pas aux populations locales et que «la prise en compte par l’État de la situation des populations vivant dans les zones minières» devenait «une priorité nationale».
Toute la question est maintenant de savoir si les décisions des uns et des autres tiendront sur le long terme et résisteront aux fortes pressions des multinationales et de leurs pays d’origine, et si elles déboucheront sur une réelle amélioration des conditions de vie des habitantes.
Pour l’instant, il est trop tôt pour se prononcer, estime un membre de la société civile malienne. «Il y a incontestablement une volonté de reprise en main du secteur minier par l’État», apprécie-t-il, mais le fait que l’audit réalisé par Mazars et Iventus Mining soit resté confidentiel jusqu’à ce jour l’inquiète: «Nous, acteurs de la Société civile, avons demandé qu’il soit publié comme gage de transparence, mais n’avons pas été entendus».
Le CADTM Afrique prévient: les ressources supplémentaires attendues du secteur minier doivent être «utilisées sous contrôle citoyen». Le journal en ligne malien Bamada, qui parle de «tournant décisif» à propos des réformes engagées, souligne que «les promesses d’un secteur minier inclusif et responsable ne prendront vie que si l’État malien dispose des moyens techniques, humains et financiers pour contrôler et réguler l’exploitation minière».
Fanny Pigeaud