Fiscalité : au Mali, 5% de la population paie 95% des impôts, selon la direction générale des Impôts

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Au Mali, les impôts représentent 54,57% des recettes budgétaires pour l’année 2024 soit un montant de 1260 milliards de FCFA. Pourtant, le pays reste confronté à un problème d’élargissement de l’assiette fiscale dans la mesure où 5% de la population paie 95% des impôts, selon la direction générale des impôts.

Le Mali est un pays confronté à la mobilisation des ressources intérieures qui peuvent améliorer le financement des dépenses publiques en cette période de rareté des ressources budgétaires. Surtout qu’il n’y a pas assez de grandes entreprises industrielles.

Pour faire face à ses dépenses publiques, le pays, qui a un budget chroniquement déficitaire, est obligé de se tourner vers le marché de l’emprunt avec des taux très élevés afin de financer son déficit budgétaire, qui se chiffre à 600 milliards en cette année 2024, à travers des émissions de bons de trésor public. Celles-ci, avec 7,8% de taux de remboursement, contribuent à accroître la dette publique du pays.

Afin de renverser la tendance, le Mali doit s’appuyer sur la mobilisation des ressources internes et les impôts constituent à ce titre un levier important sur lequel l’Etat peut s’appuyer. Bien qu’ils représentent 54,57% des recettes budgétaires pour l’année 2024, soit un montant de 1260 milliards de FCFA, très peu de Maliens s’acquittent encore de leurs impôts.

En effet, 5% de la population paie 95% des impôts, selon la direction générale des impôts. En clair, sur les 1260 milliards de recettes fiscales, 1197 milliards sont payés par 46 000 personnes seulement ! Un chiffre qui fait froid dans le dos.

Une situation qui dénote l’étroitesse de la base de l’assiette fiscale et constitue un point d’achoppement entre le gouvernement et les partenaires techniques au développement dont la Banque mondiale qui plaide pour son élargissement.

Le taux de pression fiscale qui est un des critères de convergence macroéconomique de l’UEMOA mesure les recettes fiscales par rapport au produit intérieur brut (PIB). Celui-ci était de 14,7% en 2023 et 14,8% en 2024 contre une norme de 20%, selon le ministère de l’Economie et des finances.

L’économie malienne reste marquée par la prédominance des secteurs primaire et tertiaire qui représentent 80% du PIB du pays. Deux secteurs dominés par l’informel. Seulement 20% de l’économie reposent sur les structures formelles.

« Cela pose un problème au niveau de la fiscalité. Comment évaluer un régime fiscal lorsque nous n’avons pas de statistiques fiables et lorsque le secteur est largement informel », s’interroge l’économiste Modibo Mao Makalou, ancien Sherpa de la Commission de l’Union africaine et du NEPAD.

Élargir la base de l’assiette fiscale

D’où la prise en compte des mesures législatives et règlementaires permettant d’élargir l’assiette fiscale. Il s’agit de faire en sorte que d’autres éléments économiques entrent dans l’imposition. « Ceux qui ne font pas partie, ceux qui ne sont pas dans le champ, faire en sorte d’agrandir le champ pour qu’on puisse avoir le maximum d’éléments économiques, le maximum de personnes pour pouvoir augmenter le montant de l’impôt à payer », explique Mohamed Diakité, consultant et chargé de cours de fiscalité dans les Universités.

Dans le cas précis du Mali, certains éléments ne font pas partie de l’assiette fiscale par exemple le secteur agricole qui reste parmi les secteurs les plus défiscalisés dans le pays. « C’est un impôt marginal. Il y a des efforts à faire à ce niveau », souffle un cadre de la Direction générale des Impôts. « Et c’est pour des raisons économiques qu’on a défiscalisé le secteur agricole. Ce n’est pas totalement défiscalisé, mais il y a très peu d’impôts qu’on paie dans ce secteur », précise le consultant Diakité.

Seulement ceux qui font de la transformation paient l’impôt dans le secteur agricole. À titre d’exemple, pendant que les sociétés industrielles paient 30% sur leurs bénéfices comme impôt, celles qui évoluent dans le secteur agricole ne paient que 10% de leurs bénéfices en termes d’impôt. « Alors que dans ce secteur, on peut faire trois à quatre fois le prix de ton investissement en termes de marge. C’est un secteur qui est très rentable », analyse Mohamed Diakité.

Toutefois, le secteur agricole reste très informel. Il va falloir formaliser le secteur agricole même si la formalisation peut poser problème. Parce qu’outre les avantages fiscaux, l’Etat accorde des subventions sur des engrais et se porte garant des produits agricoles. En formalisant le secteur, on peut maîtriser l’assiette fiscale en venant avec de nouveaux impôts qui ne feront pas très mal aux agriculteurs mais qui feront du bien à l’Etat.

Dans certains pays, le secteur agricole est fiscalisé. Mais il y a énormément de subventions qui accompagnent le secteur agricole dans ces pays. Pour le cas précis du Mali, le secteur agricole a été défiscalisé en vue de l’atteinte de la sécurité alimentaire. Car plus de 70% des produits alimentaires du pays sont importés.

Pour promouvoir l’autosuffisance alimentaire, plusieurs avantages, notamment fiscaux, ont été accordés par l’Etat. L’idée est d’inciter le maximum de personnes à aller vers le secteur agricole. « Et c’est pourquoi on a accordé des avantages pour ce secteur en disant que lorsque vous êtes dans le secteur agricole, vous payez moins d’impôts. L’objectif est d’inciter les gens à venir investir dans le secteur agricole afin de se rapprocher de l’autosuffisance alimentaire qui aura un impact considérable sur l’économie du pays », explique Mohamed Diakité.

Corruption et mauvaise gestion, les éléments déclencheurs de l’incivisme fiscal

Cette année, il va être très difficile d’atteindre l’objectif des 1260 milliards de FCFA assignés aux services des Impôts. Ce d’autant que l’impôt sur les sociétés est calculé sur les bénéfices. La faute à la crise énergétique que connaît le pays depuis des mois. L’électricité étant devenue un élément central et indispensable pour le fonctionnement normal de toute entreprise.

« Le manque d’électricité dans les entreprises va nécessairement impacter sur le résultat. Parce que ces entreprises vont investir dans les panneaux solaires, d’autres vont investir dans les générateurs et il faut du carburant. Ce qui aura un impact sur le bénéfice », souligne le chargé de cours de fiscalité dans les Universités.

Si on veut coûte que coûte atteindre les objectifs assignés aux Impôts et sans au préalable élargir la base de l’assiette fiscale, il faudra faire très mal à la minorité de contribuables déjà meurtrie par les conséquences des délestages et les coupures intempestives d’électricité. La société Energie du Mali étant incapable de satisfaire le besoin en électricité des entreprises.

C’est pourquoi, il faut faire très attention avec la fiscalité. « Trop d’impôt tue l’impôt », prévient Mohamed Diakité. Selon lui, à force d’augmenter l’impôt, à force de mettre la pression sur les contribuables, ils seront tentés à ne plus payer et à aller vers la fraude fiscale. Ce qui est une manière de se débarrasser du paiement des impôts.

Le chargé de cours de fiscalité souligne aussi le cas de corruption et de mauvaise gestion, qui, selon lui, est l’élément déclencheur de l’incivisme fiscal. « C’est un élément très décourageant. Et tant que les recettes fiscales ne seront pas bien gérées, les Maliens auront du mal à payer.

Très peu de Maliens paient régulièrement leurs impôts. Tu viens pour un service qui est gratuit, on te fait payer alors que toi tu paies tes impôts et tu es conscient que c’est avec tes impôts que ces travailleurs sont payés et qu’ils sont là pour toi. C’est très frustrant », se désole Mohamed Diakité.

 

Abdrahamane SISSOKO

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