«Si le Canal Cost-Ongoïba m’était compté» ! Ainsi aurait pu être intitulé le témoignage-récit qui a fait un certain buzz sur les réseaux sociaux il y a quelques semaines. Signé par Malick Sène, connu récemment comme responsable du Comité exécutif du Programme national de lutte contre le Sida (PLNS), c’est un témoignage sur un engagement héroïque devant inspirer tout patriote digne de ce nom. Et cela d’autant plus qu’il prouve que le patriotisme n’est pas dans les discours creux, mais dans la concrétisation des décisions politiques quel que soit le prix à payer et le sacrifice à consentir. Voilà ce que Malick Sène a écrit.
J’étais le Conseiller technique du président Moussa Traoré en charge de l’Office du Niger. Je devais faire ses discours dans ce secteur agricole. Le canal en question avait été dessiné par l’ingénieur français Cost depuis les années 1932, sur le même schéma qu’un canal similaire au Viêtnam. Les charges de gas-oil pour le pompage de l’eau dans les canaux inférieurs de l’office devenant très lourdes, Ongoïba a décidé avec son ministère de tutelle d’activer ce vieux projet de Cost, et de creuser ce canal.
Le département du crédit de la Banque mondiale, dirigé à l’époque par un Français, a refusé de financer ce grand projet qui allait permettre à l’Office du Niger de faire couler par gravité l’eau du fleuve Niger dans les rizières au lieu de le faire par le système de pompage. Le Colonel Ongoïba, fâché, a dit au président Moussa Traoré qu’avec ou sans l’argent de la Banque mondiale, le Mali réaliserait ce canal. Il a réuni son équipe et tous les vieux machinistes agricoles de l’ON à la retraite pour commencer les travaux de terrassement et de creusement du canal.
C’était difficile et très laborieux. Après les 7 premiers km, les Français devant cette détermination sans faille de ce «fou» de Colonel Ongoïba, ont décidé d’autoriser le financement du projet par la Banque mondiale. Mais, en réalité, la France avait plutôt peur que la Chine, en décidant d’aider le Mali à réaliser ce grand projet, ne prenne à leur place tous les honneurs, peut être même le nom du canal pourtant dessiné par un Français.
Politiquement, c’est plutôt la peur que ce canal dessiné par un français ne porte le nom d’un Chinois, qui a poussé le gouvernement français à s’investir pour que la BM accorde son financement au Mali. Après donc les 7 premiers km réalisés par l’équipe du Colonel Ongoïba, le président Moussa Traoré décida d’aller sur le terrain visiter ce chantier pharaonique, dont tout le monde parlait, avec une forte délégation gouvernementale. En charge de ce secteur, j’ai fait un projet de discours avec une proposition de nom pour le canal que j’ai appelé Canal Cost. Ma conscience et mon nationalisme refusaient ce nom, quand bien même le canal aurait été dessiné par un français depuis très longtemps, déjà en 1932.
Et finalement j’ai révisé mon brouillon pour mettre un tiret et ajouter le nom d’Ongoïba. Avant de montrer le projet de discours au président, je l’ai montré à Monsieur Drissa Kéita, à l’époque CT (conseiller technique) du président chargé des affaires financières. Oui sans la détermination, et l’opiniâtreté d’un homme, le Colonel Issa Ongoïba, ce projet de canal, vieux d’environ 40 ans, serait toujours resté dans les tiroirs de l’histoire. Avant la cérémonie d’inauguration, j’ai présenté le texte final au président qui l’a accepté et lu intégralement lors de l’inauguration. Ainsi naissait le Canal Cost-Ongoïba qui appartient désormais à l’histoire.
Peu de gens savent ces dessous de table, même le Colonel Ongoïba l’ignorait. C’est plusieurs années après, lors d’une conférence de feu Pr. Bakary Kamian à Markala et où était également présent le Colonel Ongoïba que je pris la parole pour expliquer ces dessous de table. Il m’a simplement et humblement dit merci Malick. Plusieurs années avant cet épisode de l’Office du Niger, lorsque j’étais CT du Général Amadou Baba Diarra, ministre du Plan et président de la Commission de fixation des prix et des revenus logés au Plan, j’ai eu à contrôler la gestion de l’Office du Niger.
Arrivée à Ségou, ma délégation a demandé à rencontrer le DG de l’Office du Niger, le Colonel Ongoïba qui, au moment des récoltes, déménageait sur le terrain pour mieux contrôler le travail. Au lieu de venir à Ségou répondre à notre invitation, il nous demanda plutôt d’aller le rejoindre sur le terrain et d’y passer une journée. C’est là où il nous montra les techniques de vol des machinistes lors de la récolte et du battage du riz, à travers de simples réglages des machines batteuse du riz. Avec de mauvais réglages des machines, une très grande quantité des grains de riz restait dans la paille, et après le départ de l’équipe de récolte, les machinistes venaient récupérer ce riz pour le vendre sur le marché parallèle.
Ces différents contacts avec le Colonel m’ont permis de le connaître et de l’apprécier : un grand Monsieur, un grand nationaliste qui mettait le pays avant tout. C’était là ma part de vérité sur le Colonel, un pan de l’histoire de notre Armée Nationale, un pan de l’histoire du Mali que j’ai le devoir et l’obligation de partager avec les autres. L’histoire du pays étant une continuité, ces actes du Colonel font partie de l’éternel combat de libération nationale entamé par la jeune génération d’aujourd’hui. Mes respects et ma très grande considération pour le Colonel Issa Ongoïba !
Vive le Mali !
Malick Sène