Les trois pays membres de l’organisation entendent refléter le nouveau visage de l’affirmation de la souveraineté des pays africains. Mais aussi du changement dans les rapports de force avec l’ancienne puissance coloniale
Le Burkina Faso, le Mali et le Niger (tous en transition politique), lassés de subir les multiples ingérences et injonctions, au parfum condescendant de l’ancienne puissance coloniale, ont décidé d’exiger le respect de leur souveraineté, en claquant la porte. de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), inféodée, selon eux, à des puissances étrangères en l’occurrence la France.
C’est dans cette dynamique que les trois pays ont mis sur les fonts baptismaux l’Alliance des États du Sahel (AES) dont le document fondateur intitulé «Charte du Liptako-Gourma», paraphé par les chefs d’État du Burkina Faso, le capitaine Ibrahim Traoré, du Mali, le colonel Assimi Goïta et du Niger, le général de brigade Abdourahamane Tiani, a été signé le 16 septembre 2023 à Bamako.
Ainsi, le nouveau bloc régional est bâti, de premier abord, comme un pacte de défense mutuelle contre l’hydre terroriste et la criminalité transnationale organisée, qui sévissent dans le Sahel depuis plus d’une décennie. Sa création fait suite au coup d’État du 26 juillet 2023 au Niger, contre lequel, la Cedeao, après avoir infligé des sanctions illégales, inhumaines et injustes, a menacé d’intervenir militairement pour remettre en place le régime déchu.
En soutien aux nouvelles autorités nigérianes, Bamako a mis l’organisation régionale en garde contre toute tentative d’intervention militaire. «Toute tentative d’agression contre le Niger sera considérée comme une déclaration de guerre contre le Mali», a annoncé le gouvernement. Quelque mois après, les trois pays revoient leur ambition à la hausse. D’une Alliance sécuritaire, le regroupement est finalement établi en Confédération des États du Sahel, à l’issue du premier sommet de l’organisation, tenu le 6 juillet 2024 à Niamey, la capitale nigérienne. Les décisions stratégiques prises lors de ce sommet inaugural mettent en lumière les opportunités qu’offrent désormais la jeune Confédération. Cela, malgré certains défis qui parsèment le chemin.
OPPORTUNITÉS – D’une superficie de 2.783 millions de km2, avec plus de 71 millions d’habitants, représentant 17,4% de la population de la Cedeao (450 millions d’habitants), et un Produit intérieur brut (PIB) cumulé de 10%, selon les statistiques fournies en avril dernier par la représentante résidente de la Cedeao en Côte d’Ivoire. Mme Fanta Cissé intervenait lors d’un panel de haut niveau à Abidjan sur les enjeux géopolitiques, économiques et sécuritaires du retrait des pays de l’AES de l’organisation régionale. À ce titre, la Confédération constitue un espace économique important à bien des égards.
C’est fort de ces réalités que les chefs d’État de l’AES réaffirment leur «volonté commune de surmonter les défis régionaux dans un esprit de solidarité et de développement durable.» À cet égard, la rencontre de Niamey a jeté les bases d’une coopération renforcée et d’une intégration régionale indépendante dans le Sahel. Afin de doter l’Alliance d’instruments propres pour le financement de la politique économique et sociale des trois pays et d’un mécanisme visant à faciliter la libre circulation des personnes, des biens et des services au sein de l’espace AES.
Pour ce faire, l’organisation a de multiples projets parmi lesquels une banque d’investissement et un fonds de stabilisation, visant à soutenir le développement économique et à renforcer la résilience régionale. À cela, s’ajoute le fait que le retrait avec effet immédiat des trois États de la Cedeao est une décision assumée qui permettra aux chefs d’État «de privilégier davantage une intégration régionale autonome et libre d’influence étrangère.»
RESSOURCES NATURELLES- Sur le plan économique, l’AES peut compter sur l’immensité de sa richesse en ressources naturelles, notamment la grande productivité agricole et minière, le coton et l’or du Mali et du Burkina. S’y ajoutent les réserves importantes du Niger en uranium et en pétrole, ainsi que celles de lithium au Mali, etc.
Sur le plan de la Défense, la mutualisation des énergies et des intelligences, à travers la mise en place de la Force unifiée des armées des trois pays, lors de la réunion des chefs d’état-major, tenue en mars dernier, à Niamey , constitue une réponse efficace à la dimension de la menace terroriste et de ses sponsors internationaux.
En ce sens que cette Force conjointe a pour mission « de mettre en œuvre un plan à caractère trilatéral permanent de lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale en bande organisée. » Cela, «avec le soutien et l’accompagnement sincères de certaines puissances militaires mondiales notamment la Russie, la Turquie, la Chine… à travers des partenariats stratégiques gagnant-gagnant.»
Un autre atout et non des moindres de la jeune Confédération réside dans «l’engagement et la détermination des trois pays dans la coordination de leur action diplomatique afin de parler d’une seule voix sur la scène internationale.»
Au plan du développement, l’AES dispose d’un grand potentiel avec la mutualisation des moyens de ses États membres dans la mise en place des projets structurants et intégrateurs dans les secteurs stratégiques. Il s’agit, entre autres, de l’agriculture, la sécurité alimentaire, l’eau et l’environnement, l’énergie et les mines, les échanges commerciaux et la transformation industrielle, les infrastructures et les transports, la communication et les télécommunications, l’économie numérique.
DÉFIS MAJEURS – La concrétisation de la volonté clairement affichée pour l’indépendance totale et la souveraineté du bloc sahélien, qui a quitté la Cedeao, passera par le renoncement de facto aux accords de libre-échange qui permettaient la libre circulation des marchandises mais, aussi , des capitaux et des populations entre les 15 pays membres de cette organisation. Cette libre circulation ne sera, désormais, possible qu’entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger, ainsi qu’avec les cinq autres membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), qui regroupent huit pays ayant en commun le Franc cfa et dont les pays de l’AES restent des membres importants.
Parmi les défis, figure la problématique de la monnaie. Dans la mesure où les pays confédérés utilisent toujours le Franc cfa. Ils sont donc encore dépendants de l’Uemoa et de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (Bceao), et ne pourront s’en libérer qu’en créant leur propre monnaie.
Aboubacar TRAORE