Le Niger, le Burkina Faso et le Mali ont décidé de créer une force conjointe de 5 000 soldats pour lutter contre les groupes terroristes qui sèment le chaos dans la région. Présentée comme une réponse souveraine à l’insécurité croissante, cette initiative marque une rupture avec les anciennes collaborations militaires sous influence occidentale. L’heure semble à l’autonomie stratégique, à la solidarité entre régimes militaires, à une logique de défense sans tutelle étrangère.
L’annonce est tombée le 22 janvier 2025. Le Niger, le Burkina Faso et le Mali ont décidé de créer une force conjointe de 5 000 soldats pour lutter contre les groupes terroristes qui sèment le chaos dans la région. Mais au-delà du discours martial et de la rhétorique souverainiste, cette force conjointe soulève déjà des questions.
Qui dirigera cette armée commune ? Avec quels moyens sera-t-elle financée ? Comment garantir son efficacité alors que tant d’initiatives similaires se sont heurtées aux réalités du terrain ? Si l’idée semble audacieuse, l’histoire récente des forces multinationales en Afrique rappelle que l’enthousiasme initial ne suffit pas à assurer le succès.
L’initiative annoncée rappelle inévitablement d’autres tentatives de mutualisation militaire en Afrique de l’Ouest et du Centre, dont les résultats mitigés n’incitent guère à l’optimisme. Le G5 Sahel, lancé en grande pompe en 2017 pour lutter contre le terrorisme et le crime organisé transfrontalier, a souffert d’un manque chronique de financement et d’une dépendance excessive aux partenaires internationaux. Son efficacité opérationnelle a toujours été limitée, et son éclatement après le retrait du Mali en 2022, suivi par le Burkina Faso et le Niger, a scellé son sort.
Avant lui, le Comité d’état-major opérationnel conjoint (CEMOC), mis en place par l’Algérie, le Mali, la Mauritanie et le Niger en 2010, s’était donné pour mission de coordonner les efforts contre les groupes armés dans la bande sahélo-saharienne. Mais des divergences politiques et une méfiance persistante entre les États membres ont vite transformé cette belle ambition en coquille vide.
Dans le bassin du lac Tchad, la Force multinationale mixte (FMM) a mieux résisté au temps et aux épreuves. Mise en place pour combattre Boko Haram, elle a connu quelques succès tactiques, mais souffre des mêmes maux : lenteurs bureaucratiques, coordination difficile entre les armées nationales, financement aléatoire.
Quant à l’AMISOM, la mission de l’Union africaine en Somalie, elle offre une leçon précieuse : une force multinationale ne peut fonctionner durablement sans un soutien logistique et financier extérieur solide. Sans l’aide massive de l’Union européenne et des Nations unies, l’opération n’aurait jamais pu maintenir la pression sur les Shebab. Alors, la nouvelle force conjointe sahélienne parviendra-t-elle à éviter ces écueils ? Rien n’est moins sûr.
Un projet militaire aux contours flous
Les trois pays assurent que la force disposera de moyens aériens et d’un service de renseignement intégré. Mais au-delà de ces promesses, le flou demeure. Qui en prendra le commandement ? Sera-t-elle une véritable armée conjointe ou simplement une coordination entre forces nationales ? Quelle doctrine d’engagement suivra-t-elle ?
Le financement constitue une autre épine dans le pied de cette initiative. Le Mali, le Niger et le Burkina Faso sont confrontés à des difficultés économiques majeures et subissent les conséquences des sanctions internationales et des ruptures avec leurs anciens alliés occidentaux. Qui mettra la main à la poche ?
La Russie, de plus en plus présente dans la région, pourrait-elle être sollicitée ? La Turquie, qui multiplie ses accords de défense avec les pays sahéliens, pourrait-elle jouer un rôle ? Pour l’instant, aucune source de financement durable n’a été officiellement annoncée.
L’illusion du tout militaire
Pourtant, une réponse strictement militaire à la crise sahélienne est vouée à l’échec. L’histoire récente l’a démontré à maintes reprises. L’intervention française de 2013 au Mali, qui avait pourtant permis de stopper l’avancée jihadiste vers Bamako, s’est enlisée dans un bourbier où les succès militaires ne se sont jamais traduits par une stabilisation durable. Les frappes aériennes et les opérations au sol n’ont pas suffi à éradiquer un ennemi qui se nourrit des frustrations locales, du vide étatique et des rivalités communautaires.
Le danger d’une nouvelle approche purement militaire est de répéter les mêmes erreurs. Sans une stratégie globale incluant des solutions politiques, économiques et sociales, cette force conjointe risque de n’être qu’un instrument de plus dans une guerre qui semble ne jamais finir.
Les jihadistes prospèrent sur la mauvaise gouvernance, la marginalisation des communautés et l’absence de perspectives pour la jeunesse. Ils ne se combattent pas seulement avec des fusils et des blindés, mais aussi avec des écoles, des infrastructures et des opportunités économiques.
Si la force conjointe sahélienne ne s’accompagne pas d’un plan sérieux pour restaurer la présence de l’État, assurer les services de base aux populations et reconstruire un tissu social détruit par des années de guerre, elle ne sera qu’un énième coup d’épée dans l’eau.
Une réponse musclée, mais fragile
Certes, l’initiative des 5 000 soldats marque un tournant dans la coopération militaire entre le Niger, le Burkina Faso et le Mali. Elle s’inscrit dans la volonté de ces régimes militaires de prendre leur destin en main et de ne plus dépendre d’alliés extérieurs. Mais l’enthousiasme politique ne garantit pas le succès opérationnel.
Sans un cadre de commandement précis, sans financement stable, sans mécanismes de contrôle et surtout sans une stratégie globale qui dépasse le strict domaine militaire, cette force risque de connaître le même sort que ses prédécesseurs : des annonces grandiloquentes, des opérations ponctuelles, quelques succès tactiques… et, inévitablement, une impasse stratégique.
L’avenir du Sahel ne se jouera pas uniquement sur les champs de bataille. Il se jouera aussi sur le terrain du développement, de la gouvernance et de la réconciliation nationale. Faute de comprendre cela, les armes continueront à parler, sans jamais imposer le silence aux conflits.
Cheick Bougounta CISSE