Pourquoi la Banque mondiale n’a pas encore décaissé les 60 millions de dollars

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Le gouvernement de transition peine à faire décaisser les 60 millions de dollars obtenus en avril 2024 avec la Banque mondiale au Mali, en raison, selon le ministre de l’Economie et des finances, Alousseini  Sanou, des conditionnalités imposées par l’Institution de Bretton Woods. Un mauvais signal pour l’économie nationale et  qui nécessite des réformes économiques courageuses.

Un problème de mobilisation des ressources financières, c’est ce à quoi le gouvernement de transition est confronté actuellement. « Nous sommes dans un pays qui est confronté à beaucoup de crises, de difficultés financières », a reconnu jeudi dernier, pour la première fois, le ministre de l’Economie et des finances, Alousseini Sanou, devant les membres du Conseil national de transition (CNT). Ce qui n’est qu’un doux euphémisme.

Les inquiétudes du patron de l’hôtel des finances viennent cependant confirmer la notation de l’agence américaine Moody’s qui vient de reconduire la note souveraine du Mali à « Caa2 », soit un cran à peine au-dessus de la zone rouge du défaut de paiement.

« Les bailleurs de fonds n’accompagnent pas le Mali », s’est plaint le ministre Sanou, qui parle d’un resserrement très important de financement de l’économie. Ce qui peut paraître paradoxal puisqu’au même moment, le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Abdoulaye Diop, s’exprimait à Bruxelles devant les membres de l’Union européenne dans un discours d’une rare violence.

« Le Mali n’est marié à personne », a-t-il clamé. Certes. Cependant, on ne peut tenir de pareils discours et prétendre avoir l’accompagnement de l’Europe des 27 qui est un des premiers partenaires techniques et financiers du Mali avec une manne financière d’environ 1 milliard d’euros soit 656 milliards Fcfa par an. C’est basique ! On se demande même s’il y a une communication entre les deux ministres, qui normalement doivent évoluer en symphonie. Loin de les rassurer, les propos du ministre Diop contrarient les bailleurs de fonds.

Pour rappel, dans le cadre de l’amélioration de la fourniture d’électricité au Mali, la Banque mondiale avait annoncé en avril 2024 un décaissement en urgence de 60 millions de dollars soit 37 milliards de Fcfa. Cette somme est destinée à l’achat d’énergie à partir des pays de l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS) ou du carburant selon un compte rendu publié sur les réseaux sociaux du ministère des Finances.

« À présent, il y a des difficultés pour mobiliser ces ressources. Les 60 millions de dollars qui avaient été annoncés ne sont pas encore décaissés », se désole le patron de l’hôtel des finances, invoquant des conditions imposées par la Banque mondiale, comme la baisse de la masse salariale, qui, selon les normes de convergence macroéconomiques, requièrent que la masse salariale ne dépasse pas 35% des recettes fiscales. Alors qu’au Mali, la masse salariale atteignait presque 49,6% en 2023 et les prévisions autour de 51,1% en 2024, selon les données du ministère de l’Économie et des finances du Mali.

Un accord signé sans avoir pris connaissance des conditionnalités ?

Le ministre Sanou n’a cependant pas dit les conditions dans lesquelles le gouvernement a obtenu l’accord de financement auprès de la BM. Ce qui aurait davantage éclairé la lanterne de l’opinion nationale, qui est en droit de savoir les conditions dans lesquelles le gouvernement a obtenu l’accord de financement.

Car, comme chacun le sait, il est impensable que l’Institution de Bretton Woods puisse signer un accord d’aide financière sans avoir des garanties au préalable pour le respect des conditionnalités. Et on se demande comment l’Etat souverain du Mali, qui n’est marié à personne, et dont le sort ne sera plus discuté ni à Washington, ni à Londres, ni à Bruxelles, encore moins à Paris, pour parler comme le chef de la diplomatie malienne, a pu signer un accord sans avoir pris connaissance des conditionnalités. Le patron de l’hôtel des finances ne le dit pas.

Selon le Dr Boubacar Konaté, enseignant-chercheur à l’Institut national de formation des travailleurs sociaux (INTFS), les prêts de la Banque mondiale sont différents des prêts sur les marchés financiers sur plusieurs aspects.  « Les prêts de la BM sont généralement des prêts à taux préférentiels », explique l’enseignant chercheur. Par exemple, si le taux sur le marché est de 10%, alors, la BM pourra accorder le même montant avec un taux de 3% et généralement une partie du prêt soit 35% concerne les dons.

L’objectif de la BM est d’assurer le développement économique en faveur des pays pauvres. « Ce qui fait qu’elle finance généralement les projets qui concourent au développement économique, c’est-à-dire contribuant au bien-être de la population », a expliqué Dr Konaté. Il va de soi que l’Institution de de Bretton Woods conditionne l’utilisation de l’argent à des principes.

Ainsi, le décaissement à la BM se fait toujours suivant des procédures et sur la base de la présentation d’un projet. Et cela est bien connu au Mali, l’institution de Bretton Woods étant le premier partenaire multilatéral du pays, qui a financé plus de 1500 milliards de Fcfa de projets.

Ce que le ministre Sanou appelle injonction est un moyen pour la BM de s’assurer de la pérennité du projet et surtout une garantie pour le remboursement de son argent. L’institution de Bretton Woods veut avoir de la traçabilité et un droit de regard sur la destination de ses fonds.

Or, il se trouve que les finances publiques du Mali ont besoin d’assainissement, le pays ne respectant que deux des cinq critères de convergence macroéconomiques de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Le pays arrive à contenir l’inflation à 2,5%, malgré la hausse de l’inflation dans le monde contre un plafond de 3% préconisé par l’Union monétaire.

Concernant la dette, notre pays, avec 51,6% du produit intérieur brut (PIB), reste en dessous du seuil de 70% demandé par l’UEMOA. Toutefois, la dette publique du Mali est passée de 40% en 2020, date de la chute d’IBK, à 50,4% de nos jours. Ce qui est inquiétant.

Le poids de la masse salariale sur les recettes fiscale, jugé très élevé

Cependant, selon le ministre de l’Economie et des finances, la véritable pomme de discorde au sujet du décaissement des 60 millions de dollars américains par la Banque mondiale concernerait la situation de la masse salariale sur les recettes fiscales.

Elle traduit à elle seule la mauvaise gestion des finances publiques de notre pays et de la mobilisation des ressources intérieures, selon plusieurs économistes contactés par Le Wagadu. « La mauvaise gestion des finances publiques ne se limite pas qu’à la corruption et aux détournements des fonds », soulignent-ils.

Pendant que l’UEMOA préconise 35%, le poids de la masse salariale sur les recettes fiscales, le Mali est à 51,1%. Dans la loi de finances 2024, les salaires représentent à peu près 1/3 du budget faisant du Mali un pays de salaires et de fonctionnement au détriment du financement des investissements qui font prospérer le pays.

« Ce qui est trop » jugent des économistes. En effet, avec un tel niveau de la masse salariale sur les recettes fiscales, le Mali pourra difficilement faire des investissements. C’est d’ailleurs le principal point d’achoppement avec la Banque mondiale, qui assimile cette situation à une mauvaise gestion des finances publiques.

À travers ses conditionnalités, l’Institution de Bretton Woods invite le gouvernement à élargir l’assiette fiscale. Ce qui va permettre d’équilibrer la répartition des ressources entre les différents secteurs et favoriser l’investissement et l’emploi.

« 5% des contribuables maliens paient 95% des impôts et trop d’impôts tue l’impôt » souligne l’économiste Modibo Mao Makalou, ancien Sherpa de la Commission de l’Union africaine et du NEPAD. Et cette catégorie de contribuables, composée d’industriels et d’opérateurs économiques, est aujourd’hui en grande difficulté principalement à cause des problèmes d’électricité. Ce qui crispe un peu plus la situation.

Un mauvais signal pour l’économie nationale

Autre point de friction (malentendu) avec la Banque mondiale, c’est l’utilisation des fonds. L’Institution de Bretton Woods veut financer le paiement de l’électricité dans les pays de l’OMVS (Mali, Sénégal, Mauritanie, Guinée) qui impactent directement la vie des populations, meurtries par les conséquences des délestages et des coupures intempestives de l’électricité.

Le gouvernement n’entend pas de cette oreille. L’exécutif, lui, souhaite payer du carburant au Niger afin de faire fonctionner les générateurs d’EDM. Les deux pays ayant signé une convention dans ce sens.

Le non décaissement du fonds de la Banque mondiale est un mauvais signal pour l’économie nationale. C’est un mauvais présage puisque c’est la Banque mondiale qui est considérée avec le Fonds monétaire international (FMI) comme les chefs de file des institutions financières internationales et privées.

Si la Banque mondiale ne donne pas son quitus, c’est difficilement que les autres vont accorder des prêts. Il traduit des difficultés de financement de l’économie, tranche le consultant Ibrahima Nienta, qui n’hésite pas à parler de récession. Il appelle pour cela à faire des économies d’échelle. Ce qui ne peut se faire sans des réformes économiques courageuses.

Abdrahamane SISSOKO

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