En refermant le livre mémoires d’un illustre ancien chef d’Etat de la sous-région, le président Amadou Toumani Touré, avait eu ces mots de regrets : “Son parcours est si riche d’enseignements qu’il aurait pu faire l’économie des attaques personnelles qui desservent largement son propos”. On peut deviner aisément le dégoût que lui aurait inspiré les fragments qui lui sont consacrés dans le livre de M. Choguel Maïga intitulé “Le Mali, ma vie…”. C’est à croire que les années n’ont rien enlevé à la posture victimaire de l’auteur et que ce dernier entretient avec un luxe de fantaisie digne du héros de Cervantès (Don Quichotte).
Les affirmations sont si énormes (d’auto célébration) qu’on ne peut que conseiller au lecteur de s’attacher avec des sangles pour ne pas être emporté par le discours de la démesure. “J’ai déployé toutes mes forces pour le faire élire…” On cherche encore le poids de cette “force” dans l’arithmétique électorale qui a porté ATT au pouvoir. Mais, passons. La politique a ses mystères qu’on ne peut pas toujours voir à l’œil nu !
“Elu président, il m’a nommé ministre en prenant soin, auparavant, de réduire les prérogatives attachées au chef du département qu’il m’a confié. A ce poste, j’ai mené et gagné l’épique bataille du coton au sein de l’OMC. A la suite de cette victoire, le Mali a reçu un appui financier de 250 milliards de F CFA dans les négociations commerciales internationales entre 2003 et 2006″.
On a envie de croire à ce récit joliment romancé et en déduire, sourire en coin, qu’Amadou Toumani Touré est un bon coach qui rogne un maroquin ministériel pour pousser le titulaire à produire le miracle d’arracher 250 milliards F CFA à l’OMC.
“Ce qu’il y a de terrible quand on cherche la vérité, c’est qu’on la trouve”, a écrit Rémy de Gourmont. Et la vérité est que le président ATT n’a rien ôté aux prérogatives de son ministre du Commerce et de l’Industrie dont la nomination tenait plus du symbole que d’une représentativité politique.
De la même manière, la fidélité aux faits incline à dire qu’aucun chef d’Etat africain, encore moins un ministre, n’a autant fait qu’Amadou Toumani Touré pour défendre les cotonculteurs africains et accabler les pays développés pour leurs subventions, facteur de distorsions de concurrence sur le marché mondial.
Le même devoir de vérité se grandit à souligner son voyage aux Etats-Unis d’Amérique pour plaider cette belle cause devant la Commission Afrique du Congrès américain. Si le Mali a pu engranger le fruit de cette lutte (le temps viendra de documenter les chiffres et assertions du livre), mais ayons la générosité de saluer, au-delà du président de la République, le travail des experts, les négociations commerciales sont d’une singulière complexité et les diplomates impliqués. Cela n’enlève rien au mérité d’un ministre.
Choguel Maïga poursuit son réquisitoire : “Pourtant, réélu, Amadou Toumani Touré m’a relégué dans un garage, le CRT, que j’ai réussi à transformer en une institution qui est enviée par ses homologues de la sous-région, l’AMRTP. J’ai prolongé la réhabilitation du CRT en créant, après l’AMRTP, l’Agefau”. D’où l’on apprend que le CRT est un Goulag mais que le docteur ingénieur a su transformer en un Jardin d’Eden, envié des pays d’Afrique de l’Ouest.
L’auteur de “Le Mali, ma vie…” prend beaucoup de liberté avec la juste interprétation de l’évolution du CRT. Depuis quand un directeur général décide-t-il la mutation d’un Comité de régulation des télécommunications en Agence de régulation et cela sous le magistère d’un chef de l’Etat qui a décidé de lui mener la “vie dure”.
La création de l’AMRTP tient trivialement à la mise en œuvre des diligences de la libéralisation du secteur des télécommunications, datant déjà de l’exercice du président Alpha Oumar Konaré. L’environnement concurrentiel à naître avait besoin d’un arbitre doté de plus de pouvoirs et de capacités.
Il n’est pas superflu de rappeler que la propension de l’auteur à s’attribuer un rôle pionnier ou modèle dans la régulation ne résiste pas à l’analyse. L’ARTP au Sénégal a été créée en 2006, l’Arcep du Burkina Faso en 2008, soit respectivement 5 et 3 ans avant la naissance de l’AMRTP en 2011, notre orgueil dût-il en souffrir.
Dans son “combat” avec ATT, comme Don Quichotte avec ses “Géants” (des Moulins à vent), M. Choguel Maïga déroule le dernier épisode de son auto-martyr : “Pour lui avoir fait comprendre que je ne pouvais pas inciter le MPR à soutenir ses protégés candidats à leur succession à des postes de maire, il a cherché à me détruire et à détruire le MPR”.
On découvre avec hallucination la force magique du MPR affublé par son président-fondateur de la puissance de “faiseur de maires” pour le camp présidentiel. Ce MPR imaginaire n’a rien à voir avec celui bien connu de parti accompagnateur, de modeste rang, dans les coalitions derrière les grandes figures politiques.
Après avoir parcouru ces lignes sur la “relation” Choguel ATT, on peut s’épargner tout ce que le livre dit de l’ancien président de la République et des tiers.
Seydou Sissouma
Ancien directeur de cabinet