La gauche révolutionnaire en Afrique Subsaharienne: le cas du Mali (suite)

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Le Parti Malien du Travail et la Gauche révolutionnaire au Mali

Le PMT, Parti Malien du Travail, d’obédience marxiste-léniniste, surtout implanté dans les syndicats et le milieu estudiantin, fut longtemps la principale force politique de gauche au Mali après la chute du régime de Modibo Kéita, suite au coup d’état militaire du 19 novembre 1968. Il resta longtemps dans la clandestinité, depuis sous Modibo Kéita, bien que ses principaux militants fussent connus des dirigeants du RDA. Ces derniers évitèrent de les réprimer.

Le PMT est resté tout au long de son parcours un parti clandestin. Bien qu’opposé au RDA qu’il qualifiait de mouvement petit-bourgeois, le PMT fût la première organisation politique à dénoncer le coup d’Etat de 1968 dans un tract diffusé par son journal clandestin «L’abeille», devenu plus tard l’organe du parti «Alliance pour la Démocratie au Mali-Parti Africain pour la Solidarité et la Justice» (ADEMA-PASJ), une des principales composantes des forces ayant participé à la chute de la dictature militaire de Moussa Traoré en mars 1991. Suite à la diffusion de ce tract en 1968, ses principaux dirigeants locaux furent arrêtés, condamnés et déportés dans des bagnes à travers le pays. Les plus connus étaient Abdramane Baba Touré, Docteur en Physique, ancien directeur de l’École Normale Supérieure, Marie Bernard Cissoko, Docteur en Philosophie à l’École Normale Supérieure, Mamadou Doucouré, Professeur de Physique à l’École Nationale des Ingénieurs, Santigui Mangara, Étudiant en Philosophie à l’École Normale Supérieure, Kadari Bamba, Ingénieur, Directeur national des industries, Oumar Yattara Contrôleur des PTT, et Monobem Ogoniangaly, Ingénieur à la SONAREM (Société Nationale de Recherches et d’Exploitation des Ressources Minières du Mali).

D’autres leaders de gauche comme Ibrahima Ly, Docteur en Mathématiques, ancien dirigeant de la Fédération des Étudiants d’Afrique Noire en France (FEANF), auteur du célèbre ouvrage «Toiles d’araignées» et «Les Noctuelles vivent de larmes» furent arrêtés, déportés et sauvagement torturés comme Kari Dembélé, Docteur en Sociologie, Professeur à l’École Normale Supérieure et à l’École Nationale d’Administration. La liste des victimes de la dictature du régime de Moussa Traoré fut longue et sanglante. Les arrestations, détentions arbitraires, mutations et radiations toutes aussi arbitraires, furent souvent le lot de nombreux militants de gauche, y compris l’auteur de ces lignes. La liste des victimes de la dictature de Moussa Traoré est longue et douloureuse. Le CDLDM (Comité de Défense des Libertés Démocratiques au Mali) publia, à la chute du régime, la liste des victimes de la répression du régime. Ce fut une période de vingt-trois (23) années de larmes et de sang.

Le Parti Malien du Travail, bien que sans existence légale, fut un véritable laboratoire de formation et de structuration des militants de la gauche malienne. Nombreux sont ceux qui y firent leur baptême du feu comme militants de gauche. Ils y découvrirent la théorie marxiste et y firent leur apprentissage organisationnel et celui de militant clandestin. Ainsi, la chaine se prolongea et les nouveaux cadres contribuèrent largement à disséminer la pensée et les principes de gauche un peu partout dans le pays, où furent créés de nouveaux établissements scolaires et implantées de nouvelles sociétés et entreprises d’État. C’est dans ces milieux que vont être principalement recrutés les militants et cadres qui vont servir de locomotive lors de la longue résistance contre la sanglante dictature de Moussa Traoré.

En dehors de la capitale, ce fut surtout dans les milieux ouvriers et paysans que le PMT arriva à diffuser les idées de gauche notamment en milieu ouvrier, dans les usines textiles de Ségou (COMATEX) et en milieu paysan, dans l’Office du Niger, grenier agricole du pays. Plus à l’Ouest, ce fut au sein de l’usine de production de ciment de Diamou, sans compter la Régie de chemins de fer qui fut une grande école de résistance anticoloniale et d’émergence de la gauche malienne.

Les syndicats maliens furent aussi un lieu privilégié de formation et de maturation de la gauche malienne. Ce sont les milieux syndicaux, surtout au sein des enseignants et des scolaires, des travailleurs de la santé, de la culture, de la presse et de la justice que vont se former les bataillons de gauche qui finiront par venir à bout de la féroce dictature militaire de Moussa Traoré.

Le PMT connut plusieurs fractures en son sein. Les divergences idéologiques au sein du mouvement communiste international ont exacerbé les contradictions à l’intérieur du parti. Les débats étaient surtout virulents notamment au sein de la diaspora, entre staliniens, trotskystes, pro-soviétiques, pro-chinois, pro-albanais et autres. Le PMT ne s’en relèvera pas. Des exclusions furent aussi prononcées, comme celle du Dr Aly Nouhoun Diallo par la Section France du PMT dirigée par le Professeur de Mathématiques Yoro Diakité, pour «sectarisme et travail fractionnel». Il fut réintégré par la suite par la direction intérieure du Parti. D’autres membres du PMT furent cooptés et intégrés par le régime militaire, sous couvert du mot d’ordre d’entrisme qui prétendait changer le système de l’intérieur. Ainsi, parmi les plus connus, Ngolo Traoré exerça longtemps les fonctions de Ministre des Affaires étrangères sous le dictateur Moussa Traoré. Fagnanama Koné fut nommé au ministère de l’Agriculture. Oumar Issiaka Ba, à l’Éducation Nationale, exerça, sans état d’âme, une répression féroce à l’endroit des enseignants.

Au sein de la diaspora malienne, les militants de gauche furent les principaux animateurs d’initiatives diverses comme celle du CDLDM (Comité de Défense des Libertés Démocratiques au Mali) et du CLET (Comité de Liaison Étudiants Travailleurs) à l’origine des campagnes d’alphabétisation dans les foyers à l’adresse des travailleurs immigrés.

D’autres débats avaient lieu sur d’autres thématiques sur les étapes de la lutte à définir, «Révolution Nationale Démocratique et Populaire» (RNDP) ou «Révolution Démocratique et Populaire» (RDP), où certains préconisaient d’aller directement au socialisme. Des sauts théoriques d’une redoutable complexité ! Des prises de position quelques fois saugrenues amenaient aussi, à condamner certains mouvements de libération nationale en les qualifiant de «petits bourgeois».

Le groupe Sanfin

Issu du PMT, un groupe dissident fut créé et s’affilia au groupe international stalinien basé au Canada, dont le journal s’appelait «Sur la Voie du Bolchévisme». Il finit par donner naissance au groupe «Sanfin» (La Nuée en langue bamanankan) du nom de son journal. Ce groupe était surtout actif dans les milieux estudiantins en France.

Pendant la période de la dictature, son journal était diffusé dans les réseaux des milieux de gauche. Sanfin tenait un discours radical qui plaisait à la jeunesse estudiantine d’alors. Sa critique était virulente aussi bien contre le régime qu’à l’égard des autres opposants de gauche. Sanfin croisait durement le fer avec les autres tendances de la gauche malienne. Il dénonçait sans ambages la ‘‘théorie de l’entrisme’’ prônée par certains courants de la direction intérieure du PMT selon laquelle, il fallait entrer dans le système du pouvoir de la junte militaire pour le changer de l’intérieur. Cette tactique prévalait également dans les syndicats. Elle créa des fissures et des oppositions irréconciliables au sein de la gauche. Ceux qui entrèrent dans le gouvernement de Moussa Traoré, tentèrent d’y entrainer les autres et, en cas de refus, devinrent leurs dénonciateurs. Cette tactique divisa la direction et créa de graves divergences au sein du PMT. Malgré tout, des entristes restèrent dans le gouvernement de Moussa Traoré jusqu’à sa chute sanglante en mars 91. Le parti vola en éclats et pire, certains entristes finirent par se retourner contre leurs anciens camarades qu’ils dénoncèrent à la police du régime. Leur collaboration avec la dictature contribua à discréditer largement le PMT sur la scène de la gauche au Mali. Sanfin contribua avec virulence à la dénonciation de la direction du parti qu’il qualifiait déjà de révisionniste. La rhétorique de Sanfin, ses excès dans ses méthodes, sa virulence dans ses propos, ses analyses à la tronçonneuse, contribuèrent cependant à plus d’émiettement au sein de la gauche. Certains de ses dirigeants finirent par rejoindre le courant pro-albanais dans le mouvement communiste international. Si ses dénonciations de la dictature sonnaient justes pour bon nombre des militants de gauche, le traitement qu’il faisait des contradictions au sein de la gauche malienne finirent par l’isoler. Au sein du mouvement, des dissidences se firent jour. Cette lutte interne au sein de Sanfin fut sans merci. La férocité des luttes internes alla jusqu’à la dénonciation publique de certains responsables du mouvement et à lever leur nom de code dans un contexte de surveillance policière généralisée. Ce qui déclencha une violente controverse. Le PMT en profita pour dénoncer l’ultra gauchisme au sein du mouvement de résistance contre la dictature.

Au sein du mouvement estudiantin, Sanfin prônait également le «syndicalisme révolutionnaire» et taxait de «corporatistes», les revendications estudiantines pour un mieux-être. Ce qui, à l’occasion, conduisait à des empoignades théoriques vigoureuses. Ces débats acharnés laissaient pantois certains étudiants et contribuaient à les éloigner du mouvement. Staliniens, trotskistes, pro-albanais, prochinois et prosoviétiques s’affrontaient avec virulence lors des rencontres et congrès estudiantins. Parfois les questions nationales étaient reléguées au second plan. Ce qui contribua également à la perte d’influence au sein du mouvement estudiantin et de la gauche dans son ensemble. Ainsi, l’influence de Sanfin s’effilocha au fil du temps et devint marginale au sein du mouvement démocratique. À la chute de Moussa Traoré, le groupe Sanfin choisit de rester dans l’opposition. Si certaines de ses critiques du mouvement démocratique restaient bien fondées, son ‘purisme idéologique et politique’ l’éloigna des espaces, où se déroulait le combat politique. Il ne parvint jamais à reconquérir plus tard, cette influence qu’il a eue auparavant au sein de la gauche malienne. Malgré toutes les critiques qu’on pouvait lui adresser, Sanfin reste dans l’histoire politique de la gauche malienne du début des années 70 en tant que courant politique, comme le mouvement qui a eu la plus longue longévité. Il est resté constant dans sa ligne politique même si sa rigidité théorique l’a souvent conduit dans des erreurs tactiques graves. Ses dirigeants principaux furent Mohamed Tabouré, militant AESMF, rentré plus tard au pays, tout comme Salia Konaté, informaticien, Amadou Tiéoulé Diarra, juriste formé à Dakar qui finit par quitter le groupe.

À la chute d’ATT (Amadou Toumani Touré) en mars 2012, Sanfin s’allia avec le parti SADI (Solidarité Africaine pour la Démocratie et Indépendance) de Cheick Omar Sissoko et de Oumar Mariko et avec d’autres mouvements et associations au sein du Mouvement Populaire du 22 mars (MP 22) puis de la COPAM (Coordination des Organisations Patriotiques du Mali). Le soutien résolu et sans discernement que Sanfin et le SADI apportèrent à la junte militaire du Capitaine Sanogo qui renversa ATT, souleva de nombreuses interrogations. La tactique visant à maintenir à la direction de la COPAM, un transfuge de l’UDPM (Union Démocratique du Peuple Malien) parti créé par Moussa Traoré, resta incomprise également par de nombreux camarades de gauche.

Mais c’est sur l’analyse de la situation nationale que les divergences se heurtèrent avec le plus de violence. Sanfin dénonçait dans son discours la petite bourgeoisie. Ses analyses mettaient avec constance l’accent sur la classe ouvrière alors que pour d’autres, il convenait d’être plus nuancé sur les analyses et alliances de classes. Le purisme idéologique et la rigidité théorique de Sanfin finirent par en faire un mouvement marginal au sein de la gauche révolutionnaire malienne.

À SUIVRE DANS NOS PROCHAINES PAUTIONS!

Pr Issa N’DIAYE

 

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