Hommage à Issa Ndiaye : Militant de la gauche révolutionnaire malienne

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Sa courageuse lutte n’a finalement pas vaincu la sale maladie, notre camarade Issa Ndiaye est décédé.

Diagne Fodé Roland

Ferñent, journal communiste, anti-impérialiste, panafricain, internationaliste du Sénégal a fait la connaissance de Issa Ndiaye militant de gauche révolutionnaire par l’entremise de feu Momo Tabouré de Sanfin/La Nuée du Mali, journal communiste, ouvrier des classes populaires.

Il nous avait raconté ces moments de collaboration avec Sanfin frère jumeau malien de Ferñent, ce dont il a référé dans sa son texte intitulé « *La gauche révolutionnaire en Afrique Subsaharienne : le cas du Mali* ».

En 2012, contre le massacre de soldats maliens à Aguelkokh, les épouses des soldats avaient manifesté contre l’impuissance du gouvernement ATT, ce qui a culminé en coup d’état de Aya Sanogo soutenu par le MP22 et la COPAM qui rassemblaient les partis, notamment de gauche, syndicats et société civile maliens. Des armes achetées par le Mali pour lutter contre le terrorisme avaient été bloquées aux ports des pays de la CEDEAO, dont Dakar avait-on appris.

Sollicité par Ferñent, Issa Ndiaye et Oumar Mariko se sont rendus à Dakar rencontrer des syndicats, des partis et le Ministre d’État Amath Dansokho pour demander la levée de l’Embargo françafricain de la CEDEAO contre le Mali alors que Kidal et une bonne partie du territoire était entre les mains des terroristes. Cette visite se solda par l’organisation d’une manifestation pour la paix et la solidarité avec le peuple malien à Dakar.

Issa Ndiaye a été ministre dans le premier gouvernement de la révolution inachevée du 26 mars 91 qui a renversé l’autocratie militariste fasciste assassin du père du Mali indépendant Modibo Keita. Il s’était engagé dans le parti ADEMA, dont l’origine historique se trouvait dans la gauche de l’US-RDA et le Parti Malien du Travail (PMT) dont notre camarade Mohamed Tabouré a été une des principales figures dirigeantes avant de créer Sur la Voie du Bolchevisme puis Sanfin/La Nuée.

Dans le sillage de Sanfin, Issa avec d’autres de la gauche malienne sont entrés en résistance contre le choléra du « there is no alternativ au libéralisme » qui gagnait la gauche en analysant et en dénonçant le cancer généralisé de la corruption et de l’embourgeoisement des dirigeants de la gauche à l’épreuve du pouvoir néocolonial au Mali.

Ainsi il a produit les ouvrages que sont « Silence, on démocratise –  Le festival des brigands : démocratie et fractures sociales au Mali » (tome 1et tome 2) et «  La guerre des fous d’Allah et des fous du Capital contre les peuples du Mali, d’Afrique et du Monde ».

Issa nous avait dit l’an dernier travailler avec d’autres de la gauche résistante du Mali à un texte-plateforme pour faire jonction avec l’actuelle rébellion souverainiste de la jeunesse malienne. La maladie l’en aura empêché mais nous espérons que les camarades qui y travaillaient avec lui vont le parachever.

Quelle est la place et le rôle dans l’histoire des luttes de nos peuples d’Afrique des résistants de la gauche communiste à l’instar de : – Mohamed Tabouré de Sanfin, Victor Sy, Amadou Djikoroni, Issa Ndiaye, etc. et d’autres vivants au Mali ? – Birane Gaye et Assane Samb de Ferñent, Seydou Cissokho, Moussa Diop Jileen, Ndongo Diagne, Moctar Fofana Niang, Gormack Thiam, Sadio Camara, Bara Goudiaby, etc. et d’autres vivants au Sénégal ?

Leur place et rôle doivent être résumés ainsi : C’est la génération issue de la défaite de la première phase de libération nationale panafricaine anti-impérialiste a eu pour tâche de résister idéologiquement et politiquement à la déferlante des reniements, des capitulations et a ainsi préparé l’actuelle seconde phase de l’indépendance souverainiste panafricaine de l’Afrique. Nous disons de l’Afrique parce que dans chacun de nos pays, des militants de cette génération intermédiaire ont existé et continuent le combat.

Toutes nos condoléances à leurs familles éplorées et aux camarades de cette génération encore en vie.

Issa, repose en paix parce que nous n’abandonnons pas, nous continuons la lutte.

1er décembre 24

PRÉSENTATION

Ferñent, journal communiste, anti-impérialiste, panafricain, internationaliste du Sénégal publie ci-dessous un texte d’un intérêt certain de Issa Ndiaye sur l’histoire de la gauche révolutionnaire au Mali tout en apportant les précisions suivantes non prises en compte son analyse :

– le passage de Sur la Voie du Bolchevisme (SVB) à Sanfin/La Nuée au Mali en 1984 est concomitant avec le passage de Vive le Marxisme Léninisme à Ferñent/l’Etincelle du Sénégal en 1983. Ce passage résulte de la ré-orientation de notre courant tant au Mali qu’au Sénégal vers le travail d’application du matérialisme dialectique et historique à la connaissance scientifique de nos réalités nationales pour sa transformation révolutionnaire. Cette démarche fut aussi concoctée avec nos camarades du Canada/Québec qui y ont fondé l’Autjournal.

– Sanfin et Ferñent ont revisité de façon autocritique dès l’arrivée de Gorbatchev au pouvoir en 1985 pour rompre avec l’erreur de base dans le Mouvement Communiste Internationale (MCI) confondant victoire du révisionnisme et restauration du capitalisme. La perestroïka et la Glanost ont été ainsi analysées par nous comme étant la culmination du processus révisionniste qui a abouti à l’explosion de l’URSS et la restauration du capitalisme.

– Nous sommes en désaccord avec ce passage : « A la chute d’ATT en mars 2012, Sanfin s’allia avec le SADI de Cheick Omar Sissoko et de Oumar Mariko et avec d’autres mouvements et associations au sein du Mouvement Populaire du 22 mars (MP 22) puis de la COPAM (Coordination des Organisations Patriotiques du Mali). Le soutien résolu et sans discernement que Sanfin et le SADI apportèrent à la junte militaire du Capitaine Sanogo qui renversa ATT, souleva de nombreuses interrogations ». En effet, tout comme il est juste aujourd’hui de soutenir la transition militaire qui a parachevé le soulèvement populaire dirigé par le M5RFP contre le régime corrompu de IBK, chasser l’occupation militaire françafricaine et libérer Kidal des terroristes, la capitulation de Aya Sanogo devant la CEDEAO françafricaine qui a permis l’arrivée de Dionkouda/Adema, puis ensuite l’escroquerie impérialiste de Serval/Barkane/Takuba n’invalide pas la justesse tactique de l’expérience du MP22/COPAM. L’erreur majeure de la gauche au Mali est d’avoir laissé se faufiler le moussaiste Choguel Kokallah Maïga au pouvoir aux côtés des militaires de terrain qui sont devenus souverainistes après avoir pris conscience de la duplicité françafricaine séparatiste dans sa prétendue « lutte contre le terrorisme ». Choguel, ce Talleyrand du processus révolutionnaire au Mali, mis de côté aujourd’hui par les militaires souverainistes, il est temps que la gauche patriotique émiettée s’unisse pour accompagner le combat souverainiste anti-impérialiste panafricain de l’AES.

– « Sanfin reste dans l’histoire politique de la gauche malienne du début des années 70 en tant que courant politique, comme le mouvement qui a eu la plus longue longévité. Il est resté constant dans sa ligne politique… Sanfin dénonçait dans son discours la petite bourgeoisie. Ses analyses mettaient avec constance l’accent sur la classe ouvrière… ». Nous partageons cette vérité incontestable et invitons la jeunesse révolutionnaire à s’en inspirer pour la lutte d’aujourd’hui.

Voilà aussi pourquoi même si les conditions ont changé, nous publions l’appel de 2007 de Sanfin qui a su montrer à la fois « la rigidité théorique et la souplesse tactique » tout le long de son existence mais malheureusement n’a pas pu former une relève pour la continuité.

Précisons que Ferñent et Sanfin ont divergé sur « la crise ivoirienne » et sur le « socialisme en Chine ».

 

*La gauche révolutionnaire en Afrique Subsaharienne : le cas du Mali*

Issa Ndiaye

L’histoire de la gauche malienne reste souvent méconnue. Peu d’écrits, sauf ce que l’on retrouve dans quelques journaux clandestins de l’époque. Les archives détenues par des responsables ou des militants de gauche sont propriété privée. Elles sont très mal conservées dans des cartons ou reparties en sacs faciles à planquer ou à déplacer, en cas de perquisitions policières. Beaucoup ont été perdues avec la disparition de leurs détenteurs. D’autres sont devenues la propriété de leurs familles qui n’en voient pas la portée historique. Mal conservées, elles restent, pour l’essentiel, peu exploitées, parfois inexploitables. Cependant, elles demeurent chargées de souffrances ou d’espérances, parfois les deux à la fois. Elles restent les quelques rares témoignages précieux de cette partie de l’histoire récente du pays.

Malheureusement, peu de militants témoins et acteurs de ces périodes écrivent ou acceptent de parler. Rares sont ceux qui acceptent également de céder les documents dont ils disposent, à des militants plus jeunes ou à des chercheurs. Ces archives jalousement gardées finissent souvent par disparaitre avec leurs détenteurs. Rares aussi sont les familles qui se rendent compte de la valeur inestimable de ces documents jetés pêle-mêle et parfois dévorés par le temps.

Nombreux aussi sont les camarades qui se sont reconvertis dans le champ de la gestion des appareils politiques du moment. Ils ont fini par s’y ‘oxyder’, digérés par les élites dirigeantes au pouvoir ou dans l’opposition. Rares sont ceux restés fidèles à leurs convictions d’antan. Beaucoup ont fini par se reconvertir au néolibéralisme. S’ils ne renient pas leur passé révolutionnaire, nombreux sont ceux qui se sont convertis au nouveau « réalisme » politique. Rares sont ceux qui acceptent de faire leur autocritique. Certains chantent cette période héroïque de l’histoire de la gauche malienne et assimilent toute critique voire même autocritique à un dénigrement. D’autres préfèrent simplement tourner la page, mal à l’aise avec leur propre retournement de veste, décrédibilisant ainsi aux yeux de leurs concitoyens les discours qui ne reflètent plus les valeurs et les combats de la gauche.

Des militants de gauche maliens, désespérés, ont fini par sombrer dans l’alcool. Incompris par leur entourage immédiat, abandonnés par les organisations qui structuraient leur vie de militant, ils sont devenus des marginaux. D’autres, au fil du temps, se sont transformés en ‘rats de mosquée’. Il est surprenant de voir les marxistes-léninistes d’hier disserter sur les vertus du Coran et discuter vigoureusement de tel ou tel passage des hadiths. Tel semble être le ‘destin tragique des communistes’, selon l’avis de leurs pourfendeurs libéraux.

Par ailleurs, l’échec des régimes de gauche que notre espace géographique a connus, les déviations et désillusions par rapport aux promesses d’antan, l’abandon des engagements militants antérieurs et la reconversion brutale au néolibéralisme, ont converti bon nombre d’anciens militants de gauche au ‘réalisme politique’. On a presque honte d’assumer son passé ou de dire qu’on est de gauche. Dans certains cas, on n’ose même plus évoquer la moindre terminologie y référant. Les mots communisme, marxisme, socialisme, lutte de classes sont bannis du vocabulaire de l’heure, comme si, s’y référer, relevait d’un certain archaïsme politique. On va jusqu’à célébrer la ‘mort des idéologies’ face à la mondialisation néolibérale triomphante.

De nos jours, la gauche et son discours sont devenus à peine audibles. C’est parfois au niveau syndical qu’on découvre encore quelques survivances, notamment au niveau de certains syndicats enseignants ou étudiants. Et même là, le niveau théorique des discours du moment, est loin derrière ceux d’antan. La mondialisation néolibérale a ratatiné bien des choses, à commencer par la mémoire collective et les élans de partage et de solidarité qui imprégnaient déjà nos cultures et civilisations. Il est vrai que les structures de formation citoyenne, syndicale, politique et autres qui existaient auparavant, ont été balayées par les programmes d’ajustements structurels et les politiques de privatisation imposées par les institutions internationales et les bailleurs de fonds. Aujourd’hui encore, on peine à s’en relever. Le foisonnement actuel des organisations politiques (plus de 200 actuellement au Mali) et syndicales (près d’une centaine), la floraison des associations à vocation multiple (plus de 10.000, surtout d’obédience religieuse), ne traduisent point la vitalité du renouveau ‘démocratique’. La qualité des intelligences semble avoir cédé le pas à la quantité des regroupements circonstanciels et à l’appât du gain immédiat. Rares sont les structures de remobilisation citoyenne refondatrice. Elles s’adressent, la plupart du temps, à des domaines culturels qui semblent regretter les valeurs passées de nos sociétés, ignorées ou piétinées par les jeunes victimes du mimétisme occidental et des dérives de la permissivité absolue. L’échec du système éducatif, la désagrégation du ciment social, le piétinement des valeurs sociétales et de civilisation, la perte des repères ont aggravé le délitement de l’épine dorsale de nos sociétés et des références de notre mémoire collective.

 

 *Gauche et lutte anticoloniale : du Parti Africain de l’Indépendance au Parti Malien du Travail*

 

Faisons auparavant un retour en arrière pour mieux décrypter le présent.  L’histoire de la gauche malienne s’inscrit en partie dans celle des luttes de libération nationale dans le périmètre des colonies françaises d’Afrique. Elle connut une période d’incubation sous l’administration coloniale grâce aux liens multiples de solidarité que surent tisser des progressistes français de gauche présents dans l’administration coloniale : enseignants, médecins, fonctionnaires et autres. Ils aidèrent à structurer les premiers mouvements syndicaux locaux et à créer les premiers cercles d’études marxistes. Jean Suret-Canale, militant communiste, historien de l’Afrique, fut l’un des principaux animateurs des « groupes d’études marxistes ». On peut trouver les témoignages sur les groupes d’études communistes en Afrique noire, dans son livre paru en 1994 aux Editions l’Harmattan. Cependant, selon l’économiste et écrivain sénégalais Amady Aly Dieng, (cf « Mémoires d’un étudiant africain, Dakar, Codesria 2011, 2 vol. Volume 1 : de l’école régionale de Diourbel à l’université de Paris 1945-1960) ; volume 2 : de l’université de Paris à mon retour au Sénégal (1960-1967), la découverte puis l’appropriation spécifiquement africaines de Marx et du marxisme ont été le fait d’Africains résidant en France, intellectuels et étudiants, avant d’acquérir une vie plus autonome sur le sol d’Afrique. Dans l’ensemble, ce fut surtout l’œuvre des militants des organisations politiques et syndicales de gauche venus de la métropole notamment celles proches du Parti Communiste Français. Les cercles d’études marxistes ont marqué surtout la jeunesse estudiantine et les quelques cadres locaux qui travaillaient au sein de l’administration coloniale. Pour beaucoup de jeunes étudiants de l’époque, c’était comme un passage obligé. Ce fut surtout au sein des établissements scolaires et des milieux syndicaux que furent formés les premiers militants et cadres de gauche. Ceux qui les encadraient, nationaux comme expatriés, furent l’objet de nombreuses brimades du pouvoir colonial.

Mais ce sont les luttes pour l’indépendance nationale qui servirent de creuset à la formation et à l’émergence des premiers militants de gauche. La fin de la seconde guerre mondiale a donné un coup d’accélérateur à la prise de conscience politique en faveur de l’émancipation des peuples colonisés. Les militants et forces de gauche y apporteront leur marque en dépit des obstacles de l’administration coloniale et du soutien multiple aux partisans du statu quo.

Dans le cas du Mali, anciennement Soudan français, c’est le Parti Africain de l’Indépendance qui va servir de matrice à la fécondation des militants et forces de gauche. Né dans le feu des luttes notamment celles des cheminots de la ligne de chemin de fer du Dakar-Niger en 1947-1948, le PAI a été créé le 15 septembre 1957 à Thiès au Sénégal par un manifeste signé par vingt-trois patriotes africains originaires de la Guinée, du Mali, du Niger et du Sénégal. Ils étaient principalement enseignants, médecins, pharmaciens, dentistes, fonctionnaires, ouvriers, ingénieurs, étudiants et artistes. Organisé en sections territoriales, le PAI connut en son sein une scission après l’éclatement de la Fédération du Mali. Une bonne partie rejoignit l’Union Soudanaise RDA de Modibo Keita avec et constitua ce qu’on appela la Gauche du RDA. Son animateur et principal dirigeant était Amadou Seydou Traoré dit Amadou Djicoroni, un des premiers militants de la section soudanaise du PAI. Enseignant de formation, il fut radié de la fonction publique pour ses prises de position. Directeur fondateur de la Librairie Populaire sous la Première République, son courant politique participa au congrès du 22 septembre 1960 qui proclama l’indépendance du Mali et décida de l’option socialiste de développement. Cette gauche était fortement impliquée dans les syndicats et les organisations de jeunesse (cf Amadou Seydou Traoré : Le salaire des libérateurs, Page 237 et suivantes).

Si le PAI originel militait farouchement pour l’indépendance immédiate des anciennes colonies françaises, le  RDA, Rassemblement Démocratique Africain, était un mouvement politique qui voulait, au préalable, fédérer à l’échelle locale, régionale et africaine, les partis politiques évoluant dans les anciennes colonies françaises. Il a créé ainsi des sections nationales. Affilié au départ au Parti Communiste Français, le RDA existait en Guinée, en Côte d’Ivoire, au Bénin, au Burkina Faso, au Sénégal (Union Démocratique Sénégalaise) au Mali, au Niger (Parti Progressiste Nigérien) et jusqu’en Afrique centrale, au Tchad (Parti Progressiste Tchadien), au Moyen-Congo (Parti Progressiste Congolais puis Union Démocratique  de Défense des Intérêts Africains), au Gabon (Comité Mixte Gabonais puis Bloc Démocratique Gabonais) et au Cameroun (Union des Populations du Cameroun) dans les anciens territoires français de l’Afrique équatoriale. Au Mali, il prit le nom d’Union Soudanaise RDA.

Le RDA était traversé, depuis sa création, par deux lignes de divergence qui finirent par le fracturer définitivement. Ces deux lignes épousaient des contours idéologiques opposés. La première s’articulait autour de l’idée de fédération. Le courant progressiste soutenait l’idée d’aller ensemble à l’indépendance en tant qu’Etats fédérés dans un espace géographique regroupant les anciennes colonies françaises de l’Afrique occidentale et de l’Afrique équatoriale. Modibo Keita et Sékou Touré en étaient les principaux leaders. Ils étaient soutenus au début par les leaders politiques sénégalais. Le courant anti-fédéraliste au sein du RDA était dirigé principalement par l’ivoirien Houphouët-Boigny proche des intérêts français. Il s’évertua à torpiller tous les efforts entrepris par Modibo Keita.

Les premiers, à l’instar de Modibo Kéita, prônait une rupture plus marquée avec le système colonial et les seconds étaient plutôt favorables au statuquo. Dès lors, se mirent en place les logiques conduisant à l’échec des projets fédéralistes aussi bien à l’intérieur de la Fédération du Mali qu’à l’échelle régionale et africaine, projets torpillés par la France qui travailla au reversement des régimes progressistes en Afrique en complicité avec les réseaux de la Françafrique. La longue liste des coups d’Etat en Afrique (plus d’une cinquantaine) épouse globalement celle des interventions militaires françaises en Afrique. Ce chapitre est aujourd’hui loin d’être clos. Le chaos actuel au Sahel et au Mali en est une parfaite illustration.

L’éclatement de la Fédération du Mali a provoqué une scission au sein du PAI originel. De graves divergences prévalaient en son sein quant aux orientations prises sur la question des indépendances africaines. Le PAI était partisan de l’indépendance immédiate alors que l’US-RDA militait pour une indépendance d’Etats fédérés. Ce qui demandait plus de temps. Le « Non » de la Guinée de Sékou Touré allait dans le sens du positionnement du PAI, ce qui expliqua, au départ, le soutien massif des cadres du PAI au jeune Etat guinéen.

Cependant la proximité idéologique entre le courant progressiste au sein du RDA et le PAI allait permettre à bon nombre de dirigeants et militants de gauche persécutés plus tard au Sénégal, en Guinée et ailleurs, de trouver refuge au Mali de Modibo Kéita. Ainsi Majhemout Diop, principal leader du PAI, persécuté au Sénégal, put trouver refuge un moment à Bamako. D’autres militants sénégalais de gauche comme Baïdy Ly, ancien directeur du Lycée de Jeunes Filles sous Modibo Kéita, Mamadou Talla, premier directeur de Radio Soudan devenue Radio Mali occupèrent de hautes fonctions au sein de l’administration malienne jusqu’au coup d’état militaire de 1968. De même des opposants politiques nigériens de gauche comme Bakary Djibo et Abdou Moumouni, physicien de renommée internationale, premier directeur du Laboratoire de l’Energie solaire au Mali et auteur du célèbre ouvrage « L’éducation en Afrique ».

C’est ainsi que la scission au sein du PAI amena certains de ses membres à adhérer à l’US-RDA dont ils influencèrent l’orientation idéologique pendant et après le congrès du 22 septembre 1960, congrès qui proclama l’indépendance du Mali. Cette gauche du RDA renforcée par les militants issus du PAI fût à l’origine des principaux choix idéologiques, politiques et économiques de l’US-RDA. Elle était très active dans les organisations syndicales et les mouvements de jeunesse. C’est elle qui a été la force motrice ayant conduit au choix de l’option socialiste de développement du jeune Etat malien, aux mesures de nationalisation de grands secteurs essentiels de l’économie nationale et la mise en place de sociétés et entreprises d’Etat. C’est également cette gauche qui favorisa l’abandon du franc CFA et la création du Franc malien. Ce fut encore elle qui inspira la décision de la fermeture et de l’évacuation des bases militaires françaises du territoire national, le 20 janvier 1961. C’est encore elle qui inspira la politique de réforme du système éducatif malien en 1962. Ces mesures contribuèrent à ancrer le jeune Mali dans le camp progressiste sur le plan africain et international.

L’autre tendance au sein du PAI qui refusa d’intégrer l’US-RDA, prit le nom de « Parti Malien du Travail ». Suite au « NON » de Sékou Touré au Référendum du 28 septembre 1958 qui conduisit à l’indépendance de la Guinée, bon nombre de ses cadres iront prêter main forte à la Guinée confrontée à l’hostilité de la France. Ils se mirent spontanément au service du nouvel Etat, l’administration coloniale ayant décidé, en représailles, de retirer ses propres cadres. Le nouvel Etat guinéen était menacé d’effondrement avec le brutal retrait de l’administration coloniale, les représailles économiques et financières prises à l’encontre du nouveau régime guinéen. Le régime de Sékou Touré fut l’objet d’un véritable blocus économique et financier. Son évolution future finit par distendre ses liens avec le PAI.

 

*Le Parti Malien du Travail et la Gauche révolutionnaire au Mali*

 

Le PMT, Parti Malien du Travail, d’obédience marxiste-léniniste, surtout implanté dans les syndicats et le milieu estudiantin, fut longtemps la principale force politique de gauche au Mali après la chute du régime de Modibo Kéita, suite au coup d’état militaire du 19 novembre 1968. Il resta longtemps dans la clandestinité, depuis sous Modibo Kéita, bien que ses principaux militants fussent connus des dirigeants du RDA. Ces derniers évitèrent de les réprimer.

Le PMT est resté tout au long de son parcours un parti clandestin. Bien qu’opposé au RDA qu’il qualifiait de mouvement petit-bourgeois, le PMT fût la première organisation politique à dénoncer le coup d’Etat de 1968 dans un tract diffusé par son journal clandestin « L’abeille », devenu plus tard l’organe du parti « Alliance pour la Démocratie au Mali-Parti Africain pour la Solidarité et la Justice » (ADEMA-PASJ), une des principales composantes des forces ayant participé à la chute de la dictature militaire de Moussa Traoré en mars 1991. Suite à la diffusion de ce tract en 1968, ses principaux dirigeants locaux furent arrêtés, condamnés et déportés dans des bagnes à travers le pays. Les plus connus étaient Abdramane Baba Touré, Docteur en Physique, ancien directeur de l’Ecole Normale Supérieure, Marie Bernard Cissoko, Docteur en Philosophie à l’Ecole Normale Supérieure, Mamadou Doucouré, Professeur de Physique à l’Ecole Nationale des Ingénieurs, Santigui Mangara, Etudiant en Philosophie à l’Ecole Normale Supérieure, Kadari Bamba, Ingénieur, Directeur national des industries, Oumar Yattara Contrôleur des PTT, et Monobem Ogoniangaly, Ingénieur à la SONAREM (Société Nationale de Recherches et d’Exploitation des Ressources Minières du Mali.

D’autres leaders de gauche comme Ibrahima Ly, Docteur en Mathématiques, ancien dirigeant de la Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France (FEANF), auteur du célèbre ouvrage « Toiles d’araignées » et « Les Noctuelles vivent de larmes » furent arrêtés, déportés et sauvagement torturés comme Kari Dembélé, Docteur en Sociologie, Professeur à l’Ecole Normale Supérieure et à l’Ecole Nationale d’Administration. La liste des victimes de la dictature du régime de Moussa Traoré fut longue et sanglante. Les arrestations, détentions arbitraires, mutations et radiations toutes aussi arbitraires, furent souvent le lot de nombreux militants de gauche, y compris l’auteur de ces lignes. La liste des victimes de la dictature de Moussa Traoré est longue et douloureuse. Le CDLDM (Comité de Défense des Libertés Démocratiques au Mali) publia, à la chute du régime, la liste des victimes de la répression du régime. Ce fut une période de 23 années de larmes et de sang.

Le Parti Malien du Travail, bien que sans existence légale, fut un véritable laboratoire de formation et de structuration des militants de la gauche malienne. Nombreux sont ceux qui y firent leur baptême du feu comme militants de gauche. Ils y découvrirent la théorie marxiste et y firent leur apprentissage organisationnel et celui de militant clandestin.0 Ainsi la chaine se prolongea et les nouveaux cadres contribuèrent largement à disséminer la pensée et les principes de gauche un peu partout dans le pays où furent créés de nouveaux établissements scolaires et implantées de nouvelles sociétés et entreprises d’Etat. C’est dans ces milieux que vont être principalement recrutés les militants et cadres qui vont servir de locomotive lors de la longue résistance contre la sanglante dictature de Moussa Traoré.

En dehors de la capitale, ce fut surtout dans les milieux ouvriers et paysans que le PMT arriva à diffuser les idées de gauche notamment en milieu ouvrier, dans les usines textiles de Ségou (Comatex) et en milieu paysan, dans l’Office du Niger, grenier agricole du pays. Plus à l’Ouest, ce fut au sein de l’usine de production de ciment de Diamou, sans compter la Régie de chemins de fer qui fut une grande école de résistance anticoloniale et d’émergence de la gauche malienne.

Les syndicats maliens furent aussi un lieu privilégié de formation et de maturation de la gauche malienne. Ce sont les milieux syndicaux, surtout au sein des enseignants et des scolaires, des travailleurs de la santé, de la culture, de la presse et de la justice que vont se former les bataillons de gauche qui finiront par venir à bout de la féroce dictature militaire de Moussa Traoré.

Le PMT connut plusieurs fractures en son sein. Les divergences idéologiques au sein du mouvement communiste international ont exacerbé les contradictions à l’intérieur du parti. Les débats étaient surtout virulents notamment au sein de la diaspora, entre staliniens, trotskystes, pro-soviétiques, pro-chinois, pro-albanais et autres. Le PMT ne s’en relèvera pas. Des exclusions furent aussi prononcées, comme celle du Dr Aly Nouhoun Diallo par la Section France du PMT dirigée par le Professeur de Mathématiques Yoro Diakité, pour « sectarisme et travail fractionnel ». Il fut réintégré par la suite par la direction intérieure du Parti. D’autres membres du PMT furent cooptés et intégrés par le régime militaire, sous couvert du mot d’ordre d’entrisme  qui prétendait changer le système de l’intérieur. Ainsi, parmi les plus connus, Ngolo Traoré exerça longtemps les fonctions de Ministre des Affaires étrangères sous le dictateur Moussa Traoré. Fagnanama Koné fut nommé au ministère de l’Agriculture. Oumar Issiaka Ba, à l’Education Nationale, exerça, sans état d’âme, une répression féroce à l’endroit des enseignants.

Au sein de la diaspora malienne, les militants de gauche furent les principaux animateurs d’initiatives diverses comme celle du CDLDM (Comité de Défense des Libertés Démocratiques au Mali) et du CLET (Comité de Liaison Etudiants Travailleurs) à l’origine des campagnes d’alphabétisation dans les foyers à l’adresse des travailleurs immigrés.

D’autres débats avaient lieu sur d’autres thématiques sur les étapes de la lutte à définir, « Révolution Nationale Démocratique et Populaire » (RNDP) ou « Révolution Démocratique et Populaire » (RDP) où certains préconisaient d’aller directement au socialisme. Des sauts théoriques d’une redoutable complexité ! Des prises de position quelques fois saugrenues amenaient aussi, à condamner certains mouvements de libération nationale en les qualifiant de « petits bourgeois ».

 

*Le groupe Sanfin*

 

Issu du PMT, un groupe dissident fut créé et s’affilia au groupe international stalinien basé au Canada, dont le journal s’appelait « Sur la Voie du Bolchévisme ». Il finit par donner naissance au groupe « Sanfin » (La Nuée en langue bamanankan) du nom de son journal. Ce groupe était surtout actif dans les milieux estudiantins en France. Pendant la période de la dictature, son journal était diffusé dans les réseaux des milieux de gauche. Sanfin tenait un discours radical qui plaisait à la jeunesse estudiantine d’alors. Sa critique était virulente aussi bien contre le régime qu’à l’égard des autres opposants de gauche. Sanfin croisait durement le fer avec les autres tendances de la gauche malienne. Il dénonçait sans ambages la ‘théorie de l’entrisme’ prônée par certains courants de la direction intérieure du PMT selon laquelle, il fallait entrer dans le système du pouvoir de la junte militaire pour le changer de l’intérieur. Cette tactique prévalait également dans les syndicats. Elle créa des fissures et des oppositions irréconciliables au sein de la gauche. Ceux qui entrèrent dans le gouvernement de Moussa Traoré, tentèrent d’y entraîner les autres et, en cas de refus, devinrent leurs dénonciateurs. Cette tactique divisa la direction et créa de graves divergences au sein du PMT. Malgré tout, des entristes restèrent dans le gouvernement de Moussa Traoré jusqu’à sa chute sanglante en mars 91. Le parti vola en éclats et pire, certains entristes finirent par se retourner contre leurs anciens camarades qu’ils dénoncèrent à la police du régime. Leur collaboration avec la dictature contribua à discréditer largement le PMT sur la scène de la gauche au Mali. Sanfin contribua avec virulence à la dénonciation de la direction du parti qu’il qualifiait déjà de révisionniste. La rhétorique de Sanfin, ses excès dans ses méthodes, sa virulence dans ses propos, ses analyses à la tronçonneuse, contribuèrent cependant à plus d’émiettement au sein de la gauche. Certains de ses dirigeants finirent par rejoindre le courant pro-albanais dans le mouvement communiste international. Si ses dénonciations de la dictature sonnaient justes pour bon nombre des militants de gauche, le traitement qu’il faisait des contradictions au sein de la gauche malienne finirent par l’isoler. Au sein du mouvement, des dissidences se firent jour. Cette lutte interne au sein de Sanfin fut sans merci. La férocité des luttes internes alla jusqu’à la dénonciation publique de certains responsables du mouvement et à lever leur nom de code dans un contexte de surveillance policière généralisée. Ce qui déclencha une violente controverse. Le PMT en profita pour dénoncer l’ultra gauchisme au sein du mouvement de résistance contre la dictature.

Au sein du mouvement estudiantin, Sanfin prônait également le « syndicalisme révolutionnaire » et taxait de « corporatistes », les revendications estudiantines pour un mieux-être. Ce qui, à l’occasion, conduisait à des empoignades théoriques vigoureuses. Ces débats acharnés laissaient pantois certains étudiants et contribuaient à les éloigner du mouvement. Staliniens, trotskistes, pro-albanais, prochinois et prosoviétiques s’affrontaient avec virulence lors des rencontres et congrès estudiantins. Parfois les questions nationales étaient reléguées au second plan. Ce qui contribua également à la perte d’influence au sein du mouvement estudiantin et de la gauche dans son ensemble. Ainsi l’influence de Sanfin s’effilocha au fil du temps et devint marginale au sein du mouvement démocratique. A la chute de Moussa Traoré, le groupe Sanfin choisit de rester dans l’opposition. Si certaines de ses critiques du mouvement démocratique restaient bien fondées, son ‘purisme idéologique et politique’ l’éloigna des espaces où se déroulait le combat politique. Il ne parvint jamais à reconquérir plus tard, cette influence qu’il a eue auparavant au sein de la gauche malienne. Malgré toutes les critiques qu’on pouvait lui adresser, Sanfin reste dans l’histoire politique de la gauche malienne du début des années 70 en tant que courant politique, comme le mouvement qui a eu la plus longue longévité. Il est resté constant dans sa ligne politique même si sa rigidité théorique l’a souvent conduit dans des erreurs tactiques graves. Ses dirigeants principaux furent Mohamed Tabouré, militant AESMF, rentré plus tard au pays, tout comme Salia Konaté, informaticien, Amadou Tiéoulé Diarra, juriste formé à Dakar qui finit par quitter le groupe.

A la chute d’ATT en mars 2012, Sanfin s’allia avec le SADI de Cheick Omar Sissoko et de Oumar Mariko et avec d’autres mouvements et associations au sein du Mouvement Populaire du 22 mars (MP 22) puis de la COPAM (Coordination des Organisations Patriotiques du Mali). Le soutien résolu et sans discernement que Sanfin et le SADI apportèrent à la junte militaire du Capitaine Sanogo qui renversa ATT, souleva de nombreuses interrogations. La tactique visant à maintenir à la direction de la COPAM, un transfuge de l’UDPM (Union Démocratique du Peuple Malien) parti créé par Moussa Traoré, resta incomprise également par de nombreux camarades de gauche.

Mais c’est sur l’analyse de la situation nationale que les divergences se heurtèrent avec le plus de violence. Sanfin dénonçait dans son discours la petite bourgeoisie. Ses analyses mettaient avec constance l’accent sur la classe ouvrière alors que pour d’autres, il convenait d’être plus nuancé sur les analyses et alliances de classes. Le purisme idéologique et la rigidité théorique de Sanfin finirent par en faire un mouvement marginal au sein de la gauche révolutionnaire malienne.

 

*Le groupe Tiémoko Garan Kouyaté*

 

Au sein du PMT, d’autres ruptures eurent lieu. Certains de ses militants finirent par s’organiser au sein du groupe «Tiémoko Garan Kouyaté », du nom d’un militant communiste malien fusillé en 1942 par les nazis lors de l’occupation du territoire français pendant la seconde guerre mondiale. Certains membres de ce groupe, militants SVB à l’origine, jouèrent un rôle important dans la chute de la dictature de Moussa Traoré. Il œuvrait surtout dans la clandestinité. Ses militants étaient impliqués dans les luttes syndicales des enseignants, élèves et étudiants, de la magistrature, de la santé et autres syndicats. A maintes occasions, ils furent le fer de la mobilisation générale lors de l’insurrection populaire qui finit par abattre la dictature militaire.

Le Groupe Tiémoko Garan Kouyaté (TGK) était principalement composé de militants en rupture avec le PMT dont il dénonçait les revirements idéologiques et la collaboration avec le régime de Moussa Traoré dans le cadre de la théorie de l’entrisme évoquée plus haut. Les figures de proue en étaient le Pr Yoro Diakité, le Cinéaste Cheick Omar Sissoko, l’anthropologue Bréhima Béridogo, l’historien le Doyen Drissa Diakité, le Magistrat Hamidou Diabaté et autres, rejoints par d’autres de l’intérieur comme l’étudiant en Médecine Oumar Mariko, un des principaux dirigeants du mouvement étudiant AEEM (Association des Elèves et Etudiants du Mali) des années 90 et Tiébilé Dramé, Professeur de lettres qui s’exila en France pour fuir la dictature de Moussa Traoré.

TGK dénonçait aussi la théorie de la nécessité de la création d’une bourgeoisie nationale comme étape indispensable dans le processus de la révolution nationale démocratique et populaire. Ainsi certains dirigeants et cadres du PMT prônait la facilitation de l’enrichissement d’une élite en vue de l’« émergence d’une bourgeoisie nationale ». Certains joignirent la parole à l’acte et devinrent hommes d’affaires. Ils profitèrent de leur positionnement au sein de l’appareil du régime de Moussa Traoré pour mettre en place un vaste réseau qui leur servit de ‘véritable pompe à fric’ souvent au sein même des entreprises d’Etat. Il finit par mettre en place un véritable clan que certains baptisèrent « clan CMDT » du nom de la Compagnie Malienne pour le Développement des Textiles qui avait un poids de premier plan dans l’économie du pays. Le clan CMDT, à la chute de Moussa Traoré, prit de l’importance au sein de l’appareil d’Etat. Il en profita pour positionner ses cadres au sein de l’appareil politique et économique du nouveau régime ADEMA et pour s’accaparer des secteurs les plus juteux de l’économie nationale lors de la mise en œuvre des politiques de privatisation imposées par la Banque Mondiale et le FMI. Ils devinrent les principaux et nouveaux actionnaires des secteurs privatisés (hôtels, PMU, Télécoms, Mines et autres.)  Les déviations et les abandons de la ligne de gauche par le pouvoir ADEMA viennent de là. L’achat de bulletins de vote et la corruption généralisée aussi.

Les principaux dirigeants de TGK finirent par créer après la chute de la dictature en mars 1991, le Congrès National d’Initiative Démocratique (CNID), association qui donna naissance à un parti du même nom. Il connut plus tard en 1995 une scission où les éléments de gauche se séparèrent des libéraux au sein du parti pour créer le PARENA (Parti de la Renaissance Africaine), dirigé par le Pr Yoro Diakité, puis Tiébilé Dramé. Ce parti connut plusieurs scissions qui aboutirent à la création en 1996 du parti BARA (Bloc des Alternatives pour le Renouveau Africain) dirigé par Yoro Diakité et du parti SADI (Solidarité Africaine pour la Démocratie et l’Indépendance) sous la direction de Cheick Omar Sissoko, puis de Oumar Mariko.

 

*Le Parti Malien pour la Révolution et la Démocratie*

 

Un autre parti positionné à gauche, le Parti Malien pour la Révolution et la Démocratie (PMRD), composé principalement d’anciens étudiants maliens de l’ex Union Soviétique et des anciens pays de l’Est, fusionnera avec le PMT pour donner naissance à l’ADEMA-PASJ.

Le PMRD avait une ligne politique globalement prosoviétique même si certains de ses membres étaient quelque peu critiques vis-à-vis de l’Union soviétique. Il recrutait principalement ses militants dans les milieux estudiantins et syndicaux et parmi les cadres formés dans les anciens pays de l’Est et de Russie. Ses dirigeants étaient très populaires surtout dans les milieux scolaires, comme le Professeur de Philosophie Mamadou Lamine Traoré.

Le PMRD joua un rôle important dans la lutte de résistance contre la dictature de Moussa Traoré.  Abdoulaye Barry, linguiste de formation, était un des principaux dirigeants de l’intérieur. Comme figures de proue, on peut citer, entre autres, Cheick Pléah, Sociolinguiste et fils du Dr Pléah de l’USRDA, Samba Sidibé, Ingénieur des Travaux Publics, Kléna Sanogo, longtemps Directeur de l’Institut des Sciences Humaines, Bakary Bouaré, Economiste de Formation tout comme Kassa Traoré, ancien Directeur de l’IPR (Institut Polytechnique Rural de Katiboubou) et Mohamedoun Dicko, ancien Secrétaire Général de l’ADEMA. Certains de ses militants et cadres furent arrêtés, torturés et déportés de 1974 à 1978 dans les bagnes du nord en plein désert pour avoir diffusé un tract hostile au référendum constitutionnel qui fit du parti unique UDPM un parti constitutionnel. De nombreux cadres et responsables du PMRD subirent aussi les affres de la dictature.

Le PMRD connut une première crise lors de la naissance de l’ADEMA. Certains de ses cadres et dirigeants étaient partisans de la construction d’un front de partis plutôt que d’une dissolution de tous les partis et mouvements clandestins de gauche au sein de l’ADEMA. Selon eux, cela aurait conduit à ouvrir le parti à des courants opportunistes sans véritable identité de gauche et à leur permettre de s’emparer à terme de la direction politique du mouvement démocratique de l’époque. Ce courant minoritaire représenté par Abdoulaye Barry, fut écarté de la direction mais la suite des évènements lui donna raison. En 1994, au terme d’une crise au sein de l’ADEMA, parti au pouvoir, les anciens du PMRD rompirent avec la majorité présidentielle et créèrent un nouveau parti, le Mouvement pour l’Indépendance, la Renaissance et l’Intégration Africaine (MIRIA) sous la direction du Pr Mamadou Lamine Traoré. Ce parti connut lui aussi des crises qui virent le départ de certains cadres fondateurs et militants. Certaines des principales figures de cette dissidence retournèrent à l’ADEMA. D’autres se désengagèrent de l’action politique. Au fil du temps le MIRIA perdit son leadership au sein du mouvement estudiantin et politique et devint un appendice du parti présidentiel. Certains militants du PMRD furent à l’origine du tract de 1975 dénonçant le projet de referendum constitutionnel de 1975 du régime. Ils écopèrent de quatre années de détention et déportation dont on peut avoir le témoignage à travers l’ouvrage «Toiles d’Araignées » de Ibrahima Ly, porté plus tard à l’écran. Parmi eux, en plus de Ibrahma Ly et Mohamedoun Dicko déjà cités, on peut noter   Oumar Ly, fondateur de la SOMIEX (Société Malienne d’Importation et d’Exportation), Jean Etienne Diendéré, économiste de formation, Bakary Konimba Traoré dit Bakary Pionnier,  Adama Samassékou, linguiste, Samba Sidibé, Ingénieur des Travaux Publics, Cheick Sadibou Cissé, Architecte, Seydou Thiéro, Directeur du Club Sportif, Bourama Traoré, Urbaniste, Cyr Mathieu Samaké Directeur Général Liptako-Gourma, Mamadou Lamine Kouyaté Directeur du Stade Omnisports, Mani Diénépo, Inspecteur Général de la Jeunesse et des Sports.

Le CDLDM dressa au final une liste de plus de 300 victimes de la répression du régime de Moussa Traoré.

 

Des expériences éphémères de gauche

 

Sur le front intérieur, de 1968 à 1991, d’autres organisations de gauche eurent, pour la plupart, une existence éphémère comme le groupe créé autour du « Manifeste pour la patrie » lancé en 1994 et qui dénonçait déjà la trahison des idéaux du 26 mars 1991 par le pouvoir ADEMA. Parmi ses principaux leaders, les Professeurs Issa N’Diaye et Cheick Pléah. Il en fut de même pour le Parti des Travailleurs du Mali (PTM) qui se réclamait de l’héritage du PMT mais dénonçait ses dérives. Le PTM fut créé en 1975 par des militants issus du Parti Communiste Malien, lui-même issu d’une fusion entre d’anciens dissidents du PMT (les Professeurs Many Camara, Issa N’Diaye et Fadel Diop, Ingénieur chimiste, ancien de la COMATEX (Compagnie Malienne des Textiles) de Ségou. Il s’exila un moment au Congo au temps de la période de la révolution De Ngouabi. A ce noyau s’ajoutèrent différents petits partis comme le « Parti de l’Unité Populaire  dirigé par un ancien militant PMT, Diatrou Diakité, implanté surtout en milieu ouvrier à la cimenterie de Diamou, près de Kayes, région ouest du Mali et à l’usine de marbre de Bamako. Son organe, le journal « Avant-garde » ne connut qu’une seule édition. Le PTM eut une existence assez courte. Certains de ses cadres et dirigeants finirent par se retrouver au sein de l’ADEMA, du parti SADI et sur d’autres fronts de luttes, notamment syndicaux, culturels et autres. Il convient de noter que l’actuel Parti Communiste Malien est différent de son prédécesseur des années 70. Il est composé essentiellement d’anciens étudiants maliens des années 80 à 90. Son influence est assez marginale.

 

*Le Bulletin du Peuple*

 

Un autre regroupement se fit autour d’un organe de presse « Le Bulletin du Peuple » (BP) édité à Dakar. Ses publications troublèrent la quiétude de la dictature militaire et la traque du journal donna lieu à des arrestations arbitraires. Le Bulletin joua un rôle significatif dans la conscientisation et dans la mobilisation des forces de gauche surtout contre la dictature militaire. Il disposait d’un vaste réseau d’informateurs clandestins jusqu’au sein de l’appareil d’Etat. Il était distribué jusque dans les boites aux lettres des membres de la junte au pouvoir. Chacune de ses parutions provoquait la fureur du régime et son désarroi. Son éditeur, Mohamed Lamine Gakou, réfugié politique malien installé à Dakar pendant la dictature de Moussa Traoré, fût longtemps un collaborateur de l’économiste et militant de gauche franco-égyptien Samir Amin. A la chute de la dictature, il regagna le Mali et devient Conseiller chargé de mission à la Présidence de la République.

Si les organisations politiques clandestines, les syndicats et les associations ont fortement contribué à la chute de la dictature militaire et à l’avènement de la démocratie, leur mutation et transformation progressive en une multitude de partis politiques ont abouti à un virage ultralibéral paradoxal. Aujourd’hui, le désastre est évident. Les responsabilités méritent d’être à présent situées.

 

*La Gauche face au coup d’Etat de 2012*

 

Les divergences nées au cours des luttes eurent des conséquences importantes sur la maturation et le parcours du processus démocratique au Mali.

La chute d’ATT et le coup d’Etat de la junte dirigée par le Capitaine Sanogo en mars 2012 fut une occasion manquée de recomposition de la gauche malienne. Le coup d’Etat fut salué par une forte mobilisation populaire en faveur du changement. Les militants et les forces de gauche en étaient encore, les principaux animateurs. Leur regroupement s’opéra sous la bannière du Mouvement Populaire du 22 mars (MP22). Si les figures de proue de ce mouvement étaient de gauche, il restait cependant un mouvement hétéroclite où cohabitaient tous les mécontents du système, jusqu’aux religieux. Le duo Sanfin et SADI, non sans mal, finit cependant par prendre le contrôle de la direction politique du mouvement. Des divergences apparurent au sein du MP22.  Ce duo soutenait sans ambages la junte militaire alors qu’aucun accord politique n’avait été scellé entre le MP22 et la junte. SADI assurait de fait la liaison entre le mouvement et la junte. La rencontre projetée entre une délégation du MP22 et le chef de la junte en vue de clarifier les fondements d’un partenariat, sur la base d’un programme politique partagé, n’eut jamais lieu. Les errements du nouveau pouvoir créèrent de fortes inquiétudes balayées à chaque fois par Sanfin et le SADI. Progressivement de nombreux militants et cadres de gauche et des associations et partis membres du MP22 finirent par s’en éloigner. A son bilan, la mobilisation effectuée pendant cette période par les différentes composantes du mouvement a néanmoins, permis de mettre en échec les manœuvres de la France qui avait instrumentalisé les dirigeants de la CEDEAO. Les manifestations de rue ont créé de fortes inquiétudes. Ce sont elles qui expliquent la raison véritable de l’intervention militaire française au Mali, ceci pour enrayer la révolution populaire qui pointait à l’horizon. Le mouvement populaire, à terme, risquait de prendre le pouvoir à Bamako. C’est ce qui précipita en vérité, l’intervention militaire française Serval en vue de bloquer ce processus populaire qui risquait d’inspirer les forces démocratiques et populaires dans l’espace ouest africain francophone. L’habillage de la lutte anti-terroriste vint camoufler les véritables intentions de l’impérialisme français.

 

*Esquisse d’un Front de Gauche au Mali*

 

Malgré cet échec, des tentatives de regroupements en vue de constituer un Front de gauche eurent lieu à Ségou. Trois années consécutives (de 2013 à 2015) y furent consacrées. Son secrétariat fut confié au parti SADI. Les échanges furent chaotiques et instrumentalisés tantôt par le SADI, tantôt par Sanfin et SADI. L’une des grandes pierres d’achoppement fût le bilan critique du MP22. SADI et Sanfin firent feu de tout bois pour justifier leur alliance stratégique avec la junte militaire dirigée par le Capitaine Sanogo. Leurs arguments furent battus en brèche par une écrasante majorité. Cependant, ils continuèrent par différents subterfuges à bloquer les documents de synthèse. Ce fut une véritable épreuve pour obtenir ces documents et constater qu’ils avaient été falsifiés. La confiance n’était plus de mise.  On se rendit compte, par ailleurs, que SADI avait retenu beaucoup d’informations sur le réseau ALNEF (African Left Networking Forum), Forum du Réseau de la Gauche Africaine dont il assurait le secrétariat.

Aujourd’hui la gauche malienne est en lambeaux, principalement en raison des errements théoriques et tactiques de ses dirigeants et des questions d’ego. La seule structure qui a encore de la consistance est celle regroupée au sein du « Front Populaire » créé en juin 2016 autour du parti CNAS (Convention Nationale pour une Afrique Solidaire) dirigé par Zoumana Sacko, ancien premier Ministre du gouvernement de Transition de 1991). Le Front populaire né de la volonté d’une recomposition saine des forces de gauche, n’aboutit malheureusement pas aux résultats escomptés. Sa faiblesse, au-delà d’une certaine rigidité théorique, reste sa faible implantation populaire. Il est avant tout un mouvement de cadres et d’intellectuels. Il n’échappe pas non plus à la querelle de leadership du fait, là encore, d’egos surdimensionnés.

 

*Conclusion : Les défis de la Gauche malienne*

 

Un des défis majeurs de la gauche malienne est sa capacité à dépasser l’intelligentsia urbaine. SADI avait réussi, dans sa période faste, à se donner une base rurale en milieu paysan de l’Office du Niger et de la CMDT. Mais il n’a pas su gérer ce capital précieux. Il fut aussi un des rares partis politiques à s’intéresser aux mouvements sociaux. Radio Kayira a su capter l’attention des couches populaires. Nombreux étaient celles et ceux de conditions modestes qui venaient y raconter leurs préoccupations. C’était la « radio du peuple » et ses programmes étaient relayés à travers le pays et bien suivis. Cet outil précieux de convergence des luttes populaires est aujourd’hui menacé dans sa gestion, cette dernière contestée devant la justice par son conseil d’administration. Les errements de SADI n’y sont pas étrangers.

La gauche malienne, dans ses différents segments, tout au long de son histoire, a souvent été tentée par l’aventurisme gauchiste. Ses prises de positions spectaculaires, le non-respect de la ligne de masse, la tentation du culte de la personnalité, le manque de démocratie dans le fonctionnement interne de ses organes, les alliances circonstancielles douteuses, les conflits d’ego ont largement contribué à réduire le capital de confiance et de crédibilité accumulé durant plusieurs décennies. Au fond, toutes ces questions dénotent un déficit de formation idéologique de ses cadres et dirigeants. La question de la formation est devenue capitale aujourd’hui pour la gauche malienne. En réalité, ce constat est valable au plan politique, syndical, associatif et de la société civile dans sa globalité. Elle conditionne la renaissance d’un véritable pôle de gauche au Mali. Malheureusement elle semble être laissée à l’abandon. C’est essentiellement du déficit de formation idéologique et politique que proviennent les erreurs stratégiques et tactiques actuelles et bien d’autres choses encore.

Par ailleurs, la gauche malienne ne saurait prospérer sans son intégration au sein des populations. Aujourd’hui, les mouvements syndicaux sont englués dans le corporatisme aveugle et leurs responsables sont sans culture politique et idéologique réelle. Au niveau de la paysannerie, le constat est le même. C’est dans les périphéries urbaines et dans les zones minières que les mouvements sociaux sont les plus significatifs. Il convient de les analyser et de les comprendre. Il faut arriver à leur faire dépasser le stade de la spontanéité et cela demande du temps et de la stratégie. Or la gauche malienne semble plus préoccupée par la prise immédiate du pouvoir. A cet effet, elle se lance souvent dans des alliances circonstancielles et contre-nature. Ainsi, elle fait la plupart du temps le jeu des libéraux qu’elle contribue à porter au pouvoir. Une fois au pouvoir, les alliés d’hier deviennent ses bourreaux.  C’est encore aujourd’hui le cas au sein du M5 qui a contribué au coup d’Etat ayant renversé le pouvoir de Ibrahim Boubacar Kéita.

La gauche gagnerait à élaborer son propre agenda et à se mettre au travail avec persévérance et minutie. Mais cela suppose de sa part une vision stratégique claire et des tactiques appropriées. Cela est loin d’être le cas. L’activisme seul n’y suffira pas. La tactique d’alliance avec les milieux religieux est aussi, à terme, contre-productive. En mars 1991, les leaders religieux n’avaient pratiquement aucune influence sur les luttes en cours. C’est la faillite du leadership des partis politiques et le populisme érigé en stratégie de conquête du pouvoir par Amadou Toumani Traoré en 2002 qui propulsa les religieux au devant de la scène avec les conséquences dramatiques que l’on connait de nos jours.

Pour la renaissance de la gauche, la tâche s’avère immense. Elle doit tracer ses propres sillions dans la durée et sans intermédiaire au sein des couches populaires.

La question de ses rapports avec l’armée doit aussi être approfondie en raison de la tentation putschiste récurrente au sein de la gauche. Le cas malien en est une illustration. Et, à chaque fois, le retour de manivelle est terrible. La répression sanglante des forces de gauche et la liquidation physique de tous les éléments de gauche au sein de l’armée, à commencer par le Capitaine Diby Silas Diarra et ses compagnons d’armes, ont créé une méfiance de fait qui demeure malgré tout.

La question de la société civile est aussi à repenser dans nos sociétés. Dans le contexte actuel de perte de crédit des partis politiques, il convient d’y réfléchir. Dans quelle mesure pourrait-elle être un facteur de mobilisation populaire des forces de changement ? La question reste posée.

Le contexte international porte aussi sa part de responsabilité. L’échec des expériences de gauche dans différents pays, a contribué au recul des forces de gauche dans de nombreux pays. De même, la validation du modèle libéral de conquête du pouvoir par les urnes a beaucoup contribué à diluer le potentiel révolutionnaire des masses. La question mérite d’être analysée au regard de l’échec des expériences depuis le cas du Chili de Allende, l’échec de Lula au Brésil, celui de Syriza en Grèce, de Podemos en Espagne, les graves menaces sur le Venezuela. En dépit de nombreuses difficultés, seule la voie cubaine semble prospérer. Il convient d’en tirer les leçons. Pourquoi les partis de gauche porteurs de vrais changements n’arrivent pas à prospérer par la voie des urnes ? Cette question reste essentielle, malgré les changements positifs en cours actuellement un peu partout dans le monde, notamment en Amérique latine.

L’autre question capitale réside dans l’analyse de l’échec des expériences de gauche qui n’ont pu être conduites à terme. Il est important d’en faire une analyse exhaustive et approfondie.

Comment conduire le changement révolutionnaire dans un contexte de mondialisation du capitalisme libéral ?

Une rupture est-elle possible ?

Dans tous les cas, la sortie du système mondial actuel semble indispensable. Cette voie est à prospecter pour se donner les chances d’une transformation effective du monde afin de soustraire nos sociétés de la domination du capital. Autant de questionnements théoriques à inscrire à l’ordre du jour.

En interrogeant les réalités actuelles du monde, il apparaît de plus en plus que l’étincelle des changements à venir surgira certainement dans les pays du Sud. Mais il n’y a guère de doute qu’elle ne saurait prospérer sans la solidarité de luttes des forces de gauche au niveau sous régional, régional et dans les pays du centre du capitalisme mondial.

Des fractures tectoniques traversent aujourd’hui le monde, notamment en Asie, en Amérique latine et en Afrique.  Elles ébranlent jusqu’aux fondements mêmes de la domination du monde par l’Occident. Le réveil des consciences populaires inscrit à l’ordre du jour le basculement du monde vers de nouveaux horizons rejetant le modèle capitaliste néolibéral. Un nouvel ordre mondial est en gestation.  Fédérer les forces de gauche dans nos pays voisins et à l’échelle africaine est un défi urgent à relever. Faire la jonction au niveau mondial est une nécessité absolue.

Mais tout cela impose une créativité théorique. Mais ce n’est pas dans les manuels du marxisme-léninisme que l’on trouvera les réponses aux défis de l’heure, même si revisiter aujourd’hui les fondamentaux, s’avère indispensable.

Une sagesse populaire en milieu bamanan au Mali, dit que « c‘est la pensée qui transforme le mil en bière !»

 

Appel à l’EMERGENCE d’un pôle de gauche

pour l’alternative internationaliste et populaire

Les élections présidentielles, législatives et communales à venir,  à partir du 29 avril 2007, se dirigent vers une bipolarisation progressive qui opposera deux pôles largement connus des maliens, au delà des noms qu’ils se donnent.

  • C’est d’un côté, le pôle de la droite malienne ADP (Alliance pour la Démocratie et le progrès). Il s’agit des 15 partis béni-oui-oui derrière ATT, tenants de la poursuite de “la gestion consensuelle des affaires publiques” et qui sont aux prises avec une rebellion montante de la base ulcérée dans leurs propres rangs.
  • Et de l’autre, le pôle de centre-gauche FDR (Front pour la république et la Démocratie) regroupant le RPM, la CDS, le Parena, l’ADJ et la Convergence 2007. Ce pôle est appelé à s’élargir avec tous les partis “déçus du consensus”. IBK, Alpha Oumar Konaré, et Soumeilou Boubèye Maiga tendant à refaire l’unité des fractions divisées de l’ADEMA et bâtir autour de cela le noyau du Front pour la Démocratie et la République. C’est la nouvelle défense formelle de “la république et de la démocratie” qui veut mettre fin au pouvoir de “l’indépendant” et “rétablir le rôle primordial des partis politiques”.

 

Consensus et/ou alternance mondialiste néolibérale? Non merci !

Ces deux pôles pro-impérialistes et pseudo-démocratiques se ramènent à la funeste ATTcratie actuelle et son prédécesseur maudit l’Adémacratie. L’histoire et le présent attestent ce que les forces de l’ADP et du FDR ont abattu et abattent encore en tandem sur le peuple malien.

La nouvelle loi électorale scélérate qui instaure aux présidentielles les 10 millions cfa de caution ploutocratique et les signatures de parrainage censitaires de députés et élus communaux ont été votées par les principaux partis de l’ADP et du FDR comme toutes les privatisations et confiscations. Les masses laborieuses des villes, des campagnes et de nos diverses nationalités, trois fois dévaluées, dévalisées, ajustées, puis décentralisées et aujourd’hui mondialisées, subissent le déluge de la répression permanente, de la hausse des prix, des privatisations et liquidations du patrimoine national, des licenciements, de la dépossession, des expropriations, du pillage, de la ruine, de l’appauvrissement  et de la dégradation continue des conditions de vie, de travail et d’études.

Il est aujourd’hui peu discutable que le peuple malien a déjà éprouvé dans sa chair et son sang à la fois le “consensus” et “l’alternance” entre ces deux camps et commence à être largement édifié à cet effet.

Nous en voulons pour preuve les récentes prises de position de Siaka Diakité secrétaire général de la centrale l’UNTM qui lors des présentations de vœux 2007 à dénoncé “les politiques néolibérales absurdes qui sont de nature à imposer à notre pays des reculs parfois irréparables” et a proclamé que l’UNTM n’appelle à voter pour aucun candidat présidentiel : “Nous souhaitons, a-t-il-dit,  bonne chance aux candidats et le vainqueur nous trouvera devant lui “.  C’est que les forces de l’ADP et du FDR sont incontestablement tous comptables “des politiques néolibérales…irréparables” des dernières décennies.

La défiance ouverte de l’UNTM, à quatre mois des élections n’est pas un hasard mais une nécessité. L’UNTM aguerrie par sa propre expérience des duperies du pouvoir a aujourd’hui les yeux ouverts. Siaka a vigoureusement dénoncé le discours du nouvel an d’ATT où ce dernier se sert  des victoires et doléances conquises de haute lutte par les grèves de l’UNTM (notamment l’augmentation du SMIG et du point indiciaire) pour d’abord les “voler” à son propre compte, puis ensuite faire campagne et proclamer “l’esprit de sacrifice” de son pouvoir et son “souci constant” de l’amélioration des conditions de vie des travailleurs.

C’est dire que le peuple malien n’est nullement maudit, ni voué à être ballotté  éternellement entre les groupements de néolibéraux qui, à la tête de l’État semi-colonial et semi-féodal, (replâtré aux couleurs du multipartisme) ont pris la suite  du Gl Moussa Traoré.

C’est en tenant le compte le plus exact de cette situation que Sanfin/La Nuée, organe de la lutte ouvrière populaire, en lutte pour le parti socialiste internationaliste des travailleurs de toutes nos nationalités proclame que le peuple malien a déjà et assez donné aux impérialistes et leurs agents libéraux et social-libéraux des deux camps.

Une autre politique et un autre pôle sont aujourd’hui non seulement possibles mais nécessaires.

En effet, un autre pôle se doit d’émerger pour  inscrire dans le paysage politique et électoral malien la lutte incessante et pleine d’abnégation des militants ouvriers, des paysans et des innombrables démocrates nationaux et populaires, la lutte des nationalités qui montent à l’assaut de la mondialisation impérialiste.

Un pôle de gauche, national anti-impérialiste et populaire doit clairement se délimiter de la droite malienne et des tergiversations du centre-gauche.

Sanfin/La Nuée lance cet appel aux partis, forces organisées et inorganisées qui avec un bonheur inégal, affrontent toutes sortes de difficultés mais entament clairement cette marche vers la rupture et se doivent ensemble de la mener à terme.

 

En avant pour jeter les bases de l’alternative !

C’est d’abord l’Alliance Démocratique du 23 mai pour le changement qui, partant de revendications catégorielles des touareg intégrés dans l’armée et du combat contre la main mise de la féodalité touareg sur la région natale, s’est élevée à riposter les armes à la main à l’ouverture du consulat d’ingérence et de parti pris libyen à Kidal et à combattre de façon globale la faillite du pacte national de  1992 et de la décentralisation.

L’Alliance du mouvement national touareg soutenu par 4 députés, 11 maires et 147 conseillers a taillé en pièces la propagande impérialiste chauvine qui fait d’eux des “bandits” et autres “terroristes”, s’est acquis le mérite inégalé de mettre un terme à l’aventure annexionniste du consulat libyen de Kidal. Elle est aujourd’hui seule à poursuive la lutte pour défendre la patrie malienne contre les trahisons de l’ATTcratie qui favorisent aussi bien les ingérences libyennes foulant aux pieds la souveraineté et la laïcité, les incursions des islamo-terroristes du GSPC que l’occupation du nord du Mali par les bases militaires impérialistes américaines de l’Opération Pan-Sahel.

C’est ensuite le parti SADI qui, bien que partie prenante du gouvernement, ne s’est pas tu et a lutté pour dénoncer notamment les privatisations du chemin de fer, de la CMDT, d’HUICOMA, s’est révélé un défenseur incomparable des mineurs de MORILA, de la paysannerie de l’Office du Niger et s’est particulièrement attiré pour cela les foudres de la répression sur le réseau de Radio-Kayira tant à Soroba, Kita, Koutiala et récemment encore à Niono.

Ce sont les partis FASO et BAARA et le Parti Communiste clandestin du Mali qui ont élevé la voix pour proclamer “l’opposition” et appeler à “balayer” ATT, quand il était  de bon ton de faire allégeance. Issa N’Diaye et FASO appelle ouvertement la gauche à faire impitoyablement le bilan de ses errements, se constituer en pôle et contribuer à battre ATT.

Ce sont tous les militants de la gauche traditionnelle malienne, du RDA, du Miria qui refusent d’être des renégats “alimentaires” ou autres.

Ce sont les syndicats, journaux, associations, organisations et militants indépendants, altermondialistes démocratiques, ouvriers, paysans, travailleurs de l’informel qui n’ont jamais baissé les bras,  les jeunes et les femmes livré(e)s aux affres du chômage et de l’émigration meurtrière, tous les militants et militantes qui demeurent fidèles à nos glorieux martyrs du 26 mars 1991, rejettent la trahison des partis de l’ADP et se défient clairement des tergiversations conciliatrices du FDR.

Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins où l’aile national-anti-impérialiste et populaire de l’ancien mouvement démocratique qui a tombé Moussa Traoré doit résolument et définitivement se séparer de son aile libérale, social-libérale et somme toute pro-impérialiste et dégager de claires perspectives de lutte pour la patrie, les masses populaires, leurs revendications vitales, leur unité et leur pouvoir à elles.

Si la gauche dans ses composantes avérées se montre capable de délivrer un bilan clair de rupture avec “la gestion consensuelle des affaires publiques”, un bilan qui ne soit pas un simple “retour aux partis” pour faire la même politique désastreuse; si elle se montre capable de fournir une plate-forme alternative traduisant les aspirations profondes des masses laborieuses, elle a le potentiel de lutter par une large mobilisation populaire pour réunir la caution et les parrainages et se doter d’un candidat commun aux présidentielles qui porte la véritable voix du peuple.

A défaut de cette candidature présidentielle, elle se doit au premier tour de mener de toutes les façons campagne, indépendamment de l’ADP et du FDR et contre elles, indiquer et enseigner par ses moyens propres l’alternative populaire et anti-impérialiste.

Tenant un compte particulier de la nature totalement maffieuse et fascisante du pouvoir, la gauche  doit lutter contre les truquages et violences électorales et régionalistes chauvines insupportables de l’ATTcratie.

Les élections partielles frauduleuses et terroristes de Sikasso et Mopti, sont à présent suivies d’une dégoûtante campagne électorale faite de confiscation illégale des médias d’État. L’ATTcratie planifie en fait avec l’ingérence ouverte des USA et de l’Union Européenne le vol à mains armées et la corruption à grande échelle du TAKOKELEN en même temps qu’une application aussi frauduleuse et terroriste de l’Accord d’Alger du 4 juillet qu’elle a été contrainte de signer !

Dans le cas d’un second tour ATT-IBK à la présidentielle, la gauche se doit de soutenir les centristes en vue de “battre” inconditionnellement  “ATT et la droite” et frayer la voie à l’alternative de gauche.

Aux législatives, elle se doit de dresser une coalition pour envoyer des députés résolus à investir l’assemblée nationale pour lutter contre la droite et les conciliateurs de tous bords et se faire l’écho de sa plate-forme.

La gauche a le devoir d’émerger, se regrouper et indiquer aux masses qu’il n’y a aucune fatalité selon laquelle ATT “fera ses dix ans” et que par conséquent il est inutile de se battre contre lui, qu’il faut toute affaire cessante ou bien ramper pour rallier l’ADP ou faire semblant de lutter pour juste négocier avec ATT “l’après 2007” en rejoignant le FDR. Capitulation rampante ou révolte à genoux pour préserver ou négocier des strapontins… les deux sont pires et à rejeter comme imposture !

Voilà le devoir patriotique et démocrate populaire qui conduit notre journal à vous proposer une réunion pour examiner la question d’une unité d’action électorale en rupture avec les pôles ADP et FDR. Nous vous demandons une rencontre pour échanger sur ces propositions.

Le 6 février 2007 –

Le Comité Editorial

de Sanfin/La Nuée

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