Etude Nationale Prospective Mali 2025 : – Ce que notre pays est devenu 25 ans après : – Ce qui pourrait advenir…

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Selon l’auteur de cette contribution, Fabou Kanté, “Citoyen Lambda” qui ne regrette pas sa participation au mouvement qui a abouti à la transition en cours,  le Mali reflète le scénario pessimiste de l’ENP 2025, au vu des crises sociopolitiques et économiques qui avait marqué les deux décennies écoulées.   Il est bien loin d’être sorti de l’ornière à moins que les décideurs ne rectifient la trajectoire, en mettant l’accent sur une gouvernance vertueuse à tous les points de vue.

Le Mali s’est doté, en 2000, d’un document d’analyse prospective dénommé : Rapport de l’Etude Nationale Prospective (ENP Mali 2025). Cette étude, qui a scruté l’avenir de notre pays sur un quart de siècle, était une expérience inédite de par son approche, son champ d’investigation et sa matière. Sous la coordination de mon cher doyen, Mohamed Diallo, l’étude a établi une vision à l’horizon 2025 et dégagé les deux scénarios (optimiste et pessimiste) en fonction des choix sociopolitiques et culturels possibles ou à opérer.

J’avais, un jour, rendez-vous avec M. Diallo et il était là à l’heure pile. J’ai tenu, avant tout propos, à l’apprécier pour sa ponctualité. Il a jovialement rétorqué, pour faire de l’esprit, que cela dénote de la différence entre un Soudanais et un Malien. Depuis, je l’ai surnommé le Soudanais et lui m’appelait désormais le Malien…

Il est à noter que le Mali s’est, manifestement, retrouvé dans le scénario pessimiste de l’ENP 2025, au vu des crises sociopolitiques et économiques ayant marqué les deux décennies écoulées. L’Etude Nationale Prospective Mali 2025 se trouve donc à la charnière de son horizon. Il y a lieu de procéder à une rétrospective liminaire de notre système sur le triple plan (sociopolitique, économique, et sécuritaire), afin d’en apprécier la trajectoire et proposer des ajustements nécessaires. A cet effet, il est important de rappeler notre position sur deux questions qui sont :

  • Regrettons-nous IBK ?

Nous avons, modestement, participé au vaste mouvement de révolte du peuple malien dirigé par le M5-RFP. Nos motivations pour ces contestations étaient légitimes, opportunes et indispensables pour éviter le pire à notre pays. Notre sentiment de satisfaction morale d’avoir contribué à sauver le Mali d’un naufrage restera inaltérable. Ainsi nous réaffirmons, avec force et sans complexe, notre attachement à l’esprit du changement prôné par le M5-RFP. Bien que nous admettions que ledit esprit a été dénaturé, comme l’en atteste le dévoiement de bon nombre d’acteurs de ce mouvement, point de regret pour le régime défunt d’IBK.

  • Soutenons-nous la Transition ?

Primo, nous avons débuté nos luttes citoyennes et panafricaines pour la 4ème République au Mali et pour l’Unité africaine, de loin avant cette Transition, avant ses principaux acteurs, et avant la naissance de l’AES. Nous avons donc une conception sublime du «Mali Kura» et de l’intégration africaine.

Secundo, cette Transition est le fruit de nos combats.

Tertio, l’Etat appartient à tous les citoyens. En combinant alors notre responsabilité devant l’histoire dans le renversement du régime défunt, aux valeurs républicaines et démocratiques qui sont les nôtres ; l’unique posture que nous imposent nos convictions vis-à-vis du régime en place, est le Soutien Vigilant et Critique. Autant nous encourageons et appuyons les actes d’utilité collective posés par le pouvoir, autant nous ne passerons jamais sous silence ses actions contraires aux principes de bonne gouvernance, au respect des droits de l’homme et des libertés. Ce qui signifie aussi que le jour où nous conclurons que les autorités conduisent le pays vers l’abîme, nous-nous lèverons, sans ambages, seuls ou avec d’autres, pour déclencher un Ouragan Populaire et Patriotique (OPP) qui n’épargnera ni les fauteurs encore moins leurs complices. Tenant compte de ce qui précède, nous situons notre réflexion sur les points suivants :

 I- Au plan sociopolitique

Le peuple malien, animé de la volonté ardente de rompre avec le système de gouvernance dit démocratique, et de s’affranchir du joug de toute domination, n’a jamais été aussi résilient et soumis à un pouvoir tel qu’avec les autorités actuelles. Il a fondé son espoir entier de voir naître et prospérer le «Mali Kura» sous cette Transition. Il a non seulement remis toutes les cartes entre les mains des militaires, mais s’est aussi transformé en bouclier pour les protéger des assauts intérieurs et extérieurs. Les Maliens attendaient de la Transition cinq (05) résultats essentiels au plan sociopolitique :

1-   Tourner complètement dos aux mauvaises pratiques de gestion publique ;

2-   Rassembler et réconcilier les Maliens ;

3-   Jeter les bases de la refondation générale du pays ;

4- Désamorcer nos poches de conflictualités ;

5-   Conduire le pays à la normalité constitutionnelle à travers la tenue d’élections transparentes et crédibles.

S’il faut apprécier la Transition en fonction de ses résultats obtenus, voici le condensé de son bilan par ordre de correspondance aux cinq (05) missions précitées.

1-   La mauvaise gouvernance avec, en toile de fond, les détournements massifs de fonds publics, la corruption à outrance, le clientélisme, le clanisme et l’économie criminelle ont connu de plus beaux jours ;

2-   Les Maliens n’ont jamais été autant divisés que sous cette Transition ;

3-   Les avancées en terme de relecture et d’innovation de nos textes de lois sont incontestables et salutaires, même si nous savons que notre problème a toujours été l’application des textes. La reconsidération de nos valeurs sociétales pour faire de notre culture un moyen de rebond collectif, est une bonne chose à tout point de vue ;

4-   Les fronts de conflictualités maliano-maliens ont été multipliés et diversifiés ;

5-   La volonté de se maintenir au pouvoir et de le confisquer est devenue un secret de polichinelle.

Voilà le tableau général de notre situation sociopolitique.

  • Les inquiétudes :

En analysant les propos et actes de nos autorités, et en intégrant les faits établis plus haut, il apparaît que nous avons perdu quatre (04) ans de la vie de la nation pour pratiquement rien. Il faut un nouveau départ pour le Mali. Quel éternel recommencement ?

Le retour à l’ordre constitutionnel n’était ni une priorité, pour l’écrasante majorité des Maliens, encore moins une urgence. Depuis 2020, le peuple malien est plus que jamais conscient de la nécessité absolue d’une remise en cause totale, des façons de faire et d’être de ses dirigeants. Cependant, la timidité des résultats obtenus au bout de quatre (04) ans, dont la valeur est insignifiante à la mesure des sacrifices consentis par les populations, nous oblige à concevoir autrement notre avenir. «La patience n’est toujours pas une solution, il faut souvent changer de direction» comme le dirait l’autre. C’est pourquoi beaucoup de nos compatriotes appellent aujourd’hui à des élections.

Contrairement à l’écran de fumée que certains nous présentent, les revendications de plus en plus pressantes pour le retour à l’ordre constitutionnel ne sauraient forcément être interprétées comme une manifestation de connivence avec des ennemis hypothétiques du Mali, avec des agents extérieurs, encore moins comme une trahison de notre pays. Non ! Non ! et Non ! Les limites de la Transition ont été simplement exposées au grand jour, en terme de réponses adaptées qu’elle n’a pu apporter aux problèmes des Maliens.

La prévision des élections dans le budget 2025 prouve que les autorités ont conscience de la délicatesse de la situation sociopolitique. A ce stade, nous ne disposons d’aucune lisibilité qui puisse pousser à affirmer, même avec un minimum d’assurance, que les Maliens iront aux urnes cette année. Le seul fait sur lequel il y a peu de doute est que les militaires seront de la course présidentielle, que les élections aient lieu en 2025 ou plus tard. La violation de la Charte de la Transition ne sera pas une difficulté majeure. Il est alors évident qu’ils sont pleinement dans la mobilisation des moyens matériel, financier, humain etc., pour faire face aux prochaines échéances. Si cette hypothèse se confirmait, elle risquerait d’être la goutte d’eau qui fera déborder le vase et voici les raisons :

–  Les militaires et leurs alliés s’appuieront essentiellement sur les moyens de l’Etat, et sur la manne financière qu’ils sont en train de générer, par des voies qui sont connues aujourd’hui du public. Leur camp bénéficiera des ingrédients nécessaires pour remporter les élections. Leurs adversaires n’accepteront pas les résultats.

–  Du constat où le pouvoir en place a érigé les intimidations, les chantages, la répression et l’usage de la force comme mode principal de gouvernance, il n’accordera alors aucune alternative à ses opposants que d’user des mêmes procédés, soit pour réclamer ce qu’ils penseront être leur droit, soit pour contester simplement le maintien des militaires au pouvoir. Le pays risquerait alors de plonger dans une violence inouïe, qui ne laisserait de place aux sentiments, à l’humanisme.

II- Au plan économique

Le peuple malien a accepté et accompagné les choix stratégiques opérés par la Transition, tant au plan sous – régional qu’international. Bien que ces options aient fortement et négativement impacté la vie des populations, les Maliens ont fait preuve de résistance et de résilience au nom de la souveraineté. Cependant deux (02) problèmes se posent :

  1. Nous ne disposons d’aucune doctrine qui combine les approches spécifiques de la souveraineté, et qui corresponde à une théorie nationale de la souveraineté ;
  2. Les combats pour la souveraineté font plus de victimes au sein des couches défavorisées, que parmi ceux qui appellent quotidiennement les populations à se battre pour ladite souveraineté.

Les derniers rapports du Vérificateur général et de l’OCLEI sont assez parlants pour apprécier la qualité de la gouvernance économique dans notre pays.

La quasi-totalité des annonces et promesses faites par les autorités, relatives à la réalisation de projets et d’infrastructures de développement, sont restées vaines. La crise énergétique, dont les conséquences sont à la fois dévastatrices pour l’économie nationale que pour les structures sociales maliennes, notamment les familles, a plongé les populations dans une précarité sans précédent. Le moindre que l’on puisse affirmer, sans aucun risque de se tromper, est que les Maliens souffrent énormément.

  • Les inquiétudes

Notre crise économique n’augure aucune solution dans un horizon proche. La stratégie des autorités, qui a consisté à endormir le peuple par les faux espoirs, à travers des discours qui ne résistent ni à l’analyse ni à la critique, a lourdement porté atteinte au crédit de l’Etat auprès des citoyens. La dernière adresse à la nation du Président de la Transition, et les propos qu’il a tenus à l’occasion de sa présentation des vœux aux notabilités, ont prouvé sans ambiguïté, que non seulement les graves difficultés économiques que nous affrontons depuis belle lurette sont loin d’être absorbées, mais aussi que la souveraineté énergétique n’est à présent qu’un mirage. Cette atmosphère nationale de dédains, contraste avec la vie d’opulence, d’orgies, et d’ostentation menée par la plupart des gouvernants et de leurs protégés. La probabilité de convulsions dans notre pays en 2025, pour cause de frustrations économiques est assez élevée.

III- Au plan sécuritaire

 Nul ne saurait nier ni disconvenir que les efforts déployés et qui ont ressuscité l’armée malienne de ses cendres, font la fierté du peuple malien dans toutes ses composantes. Sont à l’honneur de la Transition, le courage et la volonté politique dont elle a fait preuve, pour sortir des sentiers battus aux fins de réarmement matériel, technique, technologique et moral de nos Forces de Défense et de Sécurité. La mémoire de ceux qui sont tombés sur les différents fronts, sera toujours respectée et magnifiée par les Maliens, qui ont d’ailleurs régulièrement soutenu leur armée, même dans les contextes où cette dernière a commis des actes graves sur les populations.

Ces acquisitions et renforcements des capacités des FAMA ont été motivés, en tout cas selon le discours officiel, par la lutte contre le terrorisme et l’insécurité. Malgré les succès indéniables enregistrés contre ces fléaux, l’appréciation des faits et des réalités du terrain nous révèlent les constats suivants :

1-   Ces armements ont été acquis, contre principalement les mouvements armés signataires du défunt accord d’Alger, avec lesquels l’Etat était dans une impasse dans la mise en œuvre dudit accord ;

2-   Les moyens disponibles ne semblent pas être adaptés aux stratégies terroristes ;

3-   L’insécurité s’est généralisée.

Une chose est indéniable : la politique sécuritaire de la Transition a été jusqu’ici un échec.

  • Les inquiétudes :

A moins que nos autorités ne changent de mode opératoire, les conflictualités connaîtront une exacerbation au Mali en 2025. La problématique du terrorisme demeurera. L’équation de la paix avec les mouvements armés de l’ex CSP-PDA, regroupés au sein du FLA restera entière.

Dans un contexte de rupture de confiance, de méfiance et de défiance entre les principaux acteurs du conflit du Nord du Mali, associé à un bouleversement total des incidences classiques de médiations communautaires et sociales dans notre pays ; les anciens méthodes et canaux de négociations avec les acteurs en belligérance, seront cette fois d’une efficacité marginale. La profondeur des déchirures sociales, et la gravité des séquelles psychologiques nées des conflits en cours depuis 2023, ne seront pansées ni de sitôt ni facilement.

En ajoutant à ces réalités la situation alarmante et inquiétante du centre, quasiment sous contrôle des terroristes, le cycle de violences dans notre pays durera encore malheureusement.

 IV- Propositions

La typologie des acteurs majeurs aux prochaines élections sera composée de trois (03) groupes :

Groupe I : Les militaires au pouvoir et leurs soutiens sociopolitiques (convaincus et fabriqués), et leurs alliés constitués d’une partie du RPM, des caciques du régime défunt et de leurs amis de l’ADEMA ;

Groupe II : L’opposition politique née des élections de 2018 regroupée au sein du FSD, colonne vertébrale du M5-RFP tendance du Dr Choguel Kokalla MAIGA, et la composante du M5-RFP qui s’alliera à l’ancien Premier Ministre ;

Groupe III : Ceux qui incarneront la partie du peuple déçue par les militaires, les victimes d’abus de confiance politique par la transition, et de ceux qui réaliseront que la concorde entre les Maliens, la paix et le développement seront difficilement au rendez-vous avec l’existant. Ce groupe ne s’identifiera à aucun des deux premiers.

Nous formulons les propositions suivantes :

–  La Transition devra faire le choix difficile de redéfinir intégralement et radicalement ses orientations en cette année 2025. Au plan sociopolitique et économique, ce repositionnement doit être basé principalement sur le changement de paradigme communicationnel. Les autorités doivent être sincères et honnêtes dans le verbe avec les Maliens. Elles ne le sont point et les preuves indéniables coulent à flot sous nos pieds.

–   Le Gouvernement doit se consacrer aux préoccupations socioéconomiques et existentielles des Maliens. Le prétexte du sacrifice au nom d’une souveraineté retrouvée, passe de moins en moins au sein de l’opinion nationale. Tenir d’ailleurs cette année au Palais des Sports (même pas au Stade du 26 Mars qui fait 50 000 places) une rencontre dédiée à ladite souveraineté retrouvée, qui avait pourtant mobilisé 02 millions de maliens il y a moins de 03 ans ; suffit amplement pour se faire une religion de l’engouement du peuple pour ce slogan.

–   L’hypothèse d’un retour du Mali dans la CEDEAO n’est toujours pas écartée, malgré l’allure de forclusion que semble prendre la reconsidération du retrait annoncé. Quand les militaires et leurs alliés politiques s’accorderont sur les conditions de conservation du pouvoir, avec les rôles précis que chacun doit jouer, ils pourraient ressortir la carte de la réintégration à la CEDEAO avec un chronogramme clair des élections. En contrepartie, ils exigeront de l’organisation communautaire le soutien à leur candidature et le financement du processus électoral. Dans tous les cas de figure, la présentation d’une candidature militaire à la prochaine présidentielle ne sera pas un gage de stabilité pour le Mali.

–   Les militaires doivent tirer les conséquences de leur bilan, prendre leur responsabilité patriotique, et consacrer le reste de la Transition à l’organisation d’élections crédibles et transparentes, pour signer le retour du pays à l’ordre constitutionnel. En lieu et place d’une candidature à la présidentielle, ils doivent plutôt apporter leur soutien à des acteurs sociaux et politiques, qui disposent d’une autre méthode de gouverner, différente de celle par laquelle certains Maliens ont mis le Mali plus bas que terre au nom d’une certaine démocratie. Cela éviterait que le pays fasse du surplace, ou ne retombe entre les mains des acteurs principaux qui l‘ont mis dans le pétrin.

Voici le récapitulatif des propositions à l’endroit des militaires, desquelles dépendront leur salut, celui du pays et de la nation :

1-Parler vrai aux Maliens ;

2-Faire du Gouvernement un outil de résolution des problèmes ;

3-   Aller aux élections ;

4- Ne pas se présenter aux élections ;

5- Accompagner et soutenir les forces politiques et sociales crédibles, à prendre le pouvoir, sur la base d‘une vision politique claire, d’un projet de société viable, et d’un programme de gouvernance qui prend en charge notre géostratégie endogène et la géopolitique internationale.

Fabou KANTE, Citoyen lambda

 

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