CEDEAO-AES : La Confédération de la discorde !

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C’est le divorce. Les pays membres de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), à savoir le Burkina Faso, le Niger et le Mali semblent être décidés à tourner le dos à l’organisation sous-régionale qu’est la Cédéao. Créée le 16 septembre 2023 à travers la signature de la Charte du Liptako-Gourma, l’AES a annoncé son départ de la Cédéao en janvier dernier. On se demandait alors s’il s’agissait d’une opération de communication ou une réelle conviction. Le premier sommet de l’AES tenu à Niamey (Niger) le 6 juillet 2024, qui a abouti à la création d’une Confédération, semble confirmer la volonté des trois chefs d’Etat de tourner la page Cédéao. Notre analyse porte d’abord sur la forme, ensuite sur le fond et enfin sur les perspectives.

Sur la forme

Il n’aura échappé à personne que le sommet de l’AES était organisé à la veille d’une session ordinaire de la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la Cédéao. Hasard de calendrier ? Sûrement pas. En matière de diplomatie, les symboles sont très importants. Les dirigeants de l’AES maîtrisent parfaitement le calendrier de la Cédéao, de surcroît il s’agissait d’une session ordinaire donc inscrite à l’agenda bien en avance.

Le choix de la date du 6 juillet était donc délibéré. Certains diront un pied de nez à la Cédéao ou encore une manière de leur couper l’herbe sous les pieds. En effet, nul besoin d’être un observateur averti pour savoir que les dossiers du Mali, du Burkina et du Niger seraient sur la table lors de la session ordinaire de la Cédéao. En organisant un sommet juste la veille, l’AES a voulu prendre le devant. C’est un adage bien connu : la meilleure défense, c’est l’attaque ! Et sur le plan diplomatique, mieux vaut être dans l’action que dans la réaction.

Toujours sur la forme, le sommet de l’AES était organisé en grande pompe avec des foules en liesse à Niamey à l’arrivée du capitaine Ibrahim Traoré du Faso et du colonel Assimi Goïta du Mali. Une manière de montrer qu’à défaut d’une légitimité reconnue par la communauté internationale, ces officiers bénéficient du “soutien” des populations. Ceci contraste avec les conférences des chefs d’Etat et de gouvernements de la Cédéao qui se font de façon sobre. Cette sobriété n’est évidemment pas synonyme de manque de popularité ou de légitimité. C’est juste deux salles, deux ambiances.

Sur le fond

Sur le fond, le sommet de l’AES a été sanctionné par plusieurs annonces fortes au premier rang desquelles se trouvent bien sûr la création d’une Confédération. Il faut dire que c’est un pas supplémentaire dans la volonté des trois chefs d’Etat du Sahel central de cheminer ensemble. Dans une Confédération, les pays membres s’engagent à coopérer et à mutualiser leurs efforts dans un certain nombre de domaines préalablement définis sans qu’aucun des pays ne cède sa souveraineté comme c’est le cas dans une fédération.

Pour ce qui est de la Confédération de l’AES, il s’agit des domaines de la défense et de sécurité, de la diplomatie et du développement. Si la Charte du Liptako-Gourma mettait l’accent essentiellement sur les questions de défense et de sécurité, le Traité de la Confédération élargit les domaines de compétences de l’AES à la diplomatie et au développement. Certaines mesures concrètes sont d’ailleurs annoncées notamment : la création d’une banque d’investissement ; la création d’un fond de stabilisation… Sans surprise, c’est le colonel Assimi Goïta du Mali qui prend la présidence tournante de la Confédération pendant un an. Il faut dire que c’est le Mali qui est la locomotive de l’AES. Cela allait donc de soi.

Du côté de la Cédéao, on espère toujours faire revenir les pays du Sahel central dans l’organisation communautaire. Qu’il est loin le temps des communiqués au ton menaçant ! On est désormais dans ce qu’on pourrait appeler “Je t’aime, moi non plus” ! En effet, depuis février 2024, la Cédéao a levé les sanctions sur le Niger, n’exige plus le retour de Bazoum au pouvoir mais malgré tout, les pays de l’AES ne semblent souhaiter aucune coopération.

L’élection du président Bassirou Diomaye Faye au Sénégal est vue comme une lueur d’espoir. En effet, ce dernier a toujours affiché une position conciliante vis-à-vis du Mali, du Burkina et du Niger, il a d’ailleurs effectué une visite expresse dans les deux premiers pays. C’est donc en toute logique qu’il a été désigné par ses pairs pour entrer en négociation avec les pays de l’AES en vue d’un éventuel retour. Est-ce possible?

Les perspectives

La mission du président Diomaye Faye est titanesque. En effet, faire revenir les pays du Sahel central dans le giron de l’organisation communautaire est pour le moins improbable tant les autorités de ces pays et une bonne partie de l’opinion publique ont encore des griefs contre la Cédéao du fait des sanctions imposées au Mali et au Niger notamment. Quels arguments va-t-il mobiliser ? Quelle garantie va-t-il offrir ? Si la mission n’est pas impossible, elle est pour le moins complexe.

Les efforts des dirigeants de la Cédéao sont également à inscrire dans la célébration des cinquante années d’existence en 2025. Jusqu’ici considérée comme l’une des meilleures organisations régionales en matière d’intégration en Afrique, le retrait effectif du Mali, du Burkina et du Niger pourrait être une tâche noire dans ce bilan d’un demi- siècle. Il y a donc urgence à agir.

En revenant sur l’AES, il faut dire qu’un pas supplémentaire a été franchi en allant d’une alliance à une Confédération. La suite logique serait une fédération regroupant les trois Etats. Mais une telle hypothèse est soumise à deux conditions de notre point de vue. Premièrement, il faudrait une convergence d’opinion entre les trois peuples pour que chacun accepte de céder une partie de sa souveraineté. Deuxièmement, et c’est peut-être l’élément clé, cela dépendrait du maintien ou non des trois présidents de Transition. En effet, rien n’indique que cette dynamique va continuer lorsqu’il y aura un changement de régime dans l’un des trois pays. Comme disent les Anglais : Wait and see !

Brehima Sidibé

Doctorant chercheur à CY Cergy Paris Université

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