Le 54ième sommet ordinaire des chefs d’Etats de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, CEDEAO, a donné mandat aux Présidents Togolais Faure Gnassingbé Eyadema et sénégalais Bassirou Diomaye Faye afin qu’ils persuadent les chefs d’Etats du Mali, le Colonel Assimi Goita, du Burkina Faso, le Capitaine Ibrahim Traoré et du Niger, le Général Abdouramane Tiani de renoncer à leur projet de retirer les pays de l’organisation sous régionale au profit de la Confédération des Etats du Sahel, CES, elle-même issue de l’Alliance des Etats du Sahel, l’AES. Fondée en 1975, la CEDEAO est sans nul doute l’organisation sous régionale la plus intégrée et qui a engrangé des résultats tangibles dans les domaines socioéconomiques, voire politique, même si ce dernier domaine semble être à la base de beaucoup de dissensions. Nous avons tendu notre micro à d’éminentes personnalités politiques et de la société civile pour qu’elles donnent leur lecture sur cette ultime médiation et sur les chances de réussite de Faye et de Faure.
Dr Kouma : cette médiation ne donnera rien car les présidents de l’AES ont un agenda très clair à savoir : laissez-nous gérer nos transitions comme nous le souhaitons et cela implique qu’on les invite comme des présidents normaux aux différents sommets de la CEDEAO à la même table que les autres. Si la CEDEAO accepte cela on ouvre la boite de Pandore et bienvenus aux coups d’état dans tous les pays. Bassirou est crédible comme médiateur mais pas Faure car lui-même est putschiste c’est vrai que deux putschistes se comprennent mieux mais pour moi Faure est un problème pour la CEDEAO car c’est lui qui crée le désordre dans la CEDEAO. Les putschistes pensent qu’il les défend alors qu’il ne défend que sa propre paroisse. Faure est un putschiste il n’est pas différent de nos militaires. En conclusion pas de retour possible avant l’arrivée des régimes civils dans nos pays.
C.S Diarra : Les dirigeants de la nouvelle Confédération ont posé l’équation en de termes antagoniques en ce sens que les deux communautés ne sont pas compatibles.
Ils sont donc obligés d’aller de l’avant vers la rupture dans la mesure où ils ont réussi à mobiliser les populations pour soutenir cette rupture.
N’eût été cette déclaration intempestive, les deux organisations auraient pu être compatibles. Au nom du droit de la proximité, il aurait été possible de laisser la Confédération s’occuper de la mutualisation de 3 pays contre le terrorisme au Sahel, et même de leur diplomatie dans la mesure où il y a très peu d’éléments communs de politique extérieure au sein de la CEDEAO, mis à part les candidatures et la mobilisation des ressources extérieures. Là où ça aurait été difficile, ce serait les projets de Développement économique conçus en dehors de la CEDEAO.
Maintenant, le Niamakoudji est tiré.
Le Président du Sénégal pourrait adoucir les modalités de rupture et maintenir une forme de coopération entre les deux entités.
Faure donnera l’assurance aux putschistes que quel que soit leur choix, lui sera là pour les défendre.
Cela étant écrit, la nouvelle entité tient à très peu de choses:
1- le concept n’a pas été suffisamment pensé pour lui assurer les mesures de sauvegarde. Il n’est pas né d’une authentique vision pour construire quelque chose entre les peuples, mais d’un désir de régimes illégaux de se protéger et de s’imposer;
2- Ce n’est pas une communauté voulue par les peuples. Elle prend sa source chez les dirigeants. Il suffit d’un “changement fondamental de circonstances ” ou d’un changement d’humeur dans l’un trois pays pour que cela s’écroule;
3- Il n’y a pas complémentarité entre les économies des trois pays. Ils produisent les mêmes choses (Mali et Burkina). Ils auront donc besoin de beaucoup importer pour compenser les manques;
4- Ils sont tous de l’Hinterland sans littoral. Ils ont besoin des pays transit qu’ils combattent au plan politique.
En conclusion, ils vont se retirer de la CEDEAO pour ensuite seulement se rendre compte des affres d’une telle décision, cela pour quels dividendes?
Dr. Touré: moi je suis extrêmement pessimiste au sujet de la médiation de la CEDEAO au regard de la qualité des différents protagonistes : les partants et les médiateurs.
– Les partants sont des putschistes qui après leurs forfaits veulent rester au pouvoir, or tous les textes de convergence de la CEDEAO non seulement refusent les putschs mais plus encore le Protocole additionnel spécifie bien par exemple que :” l’armée et les forces de sécurité sont soumises aux autorités civiles régulièrement constituées ” (art.20).
En fait tout dans leur conception de la gouvernance est aux antipodes des textes et de la philosophie de la CEDEAO.
Ils ont quitté l’organisation pour justement se libérer de toutes ses contraintes en matière de Démocratie et de gouvernance.
Pour arriver à leurs fins , sans aucune consultation de leurs peuples respectifs et à leur détriment , ils ont décidé de mutualiser leurs non-conformité et les conséquences de leurs visions du chaos assumé en créant une confédération qui est en réalité une enclave de misère , de pauvreté et de non droit aux trois quarts désertique au cœur de l’Afrique de l’ouest.
Je vois mal les militaires de ces trois pays qui totalisent seize coups d’Etat depuis 1960 revenir en se conformant aux règles de la CEDEAO !
En ce qui concerne les médiateurs :
Il est de notoriété publique que le Togo a toujours joué le sombre rôle de ” parrain ” de tous les putschistes de la sous-région. Son Président lui-même héritier d’une dynastie de putschistes vient de réaliser un coup d’Etat constitutionnel pour se maintenir au pouvoir au nez et à la barbe de la CEDEAO.
Dans cette affaire on peut considérer le Togo qui est lui-même toujours à la lisière des règles comme juge et partie par les intérêts qu’il tirerait des coups d’Etat.
Quant au Président sénégalais BDF, il vient de faire ses premiers pas sur la scène internationale et sous régionale et ne maîtrise pas encore tous les codes de cette diplomatie si particulière de la médiation.
A mon avis il n’appréhende pas non plus toutes les motivations de l’auteur d’un putsch, son environnement et ses perspectives.
Bref, cette médiation est un pis-aller conforme aux principes de la CEDEAO, avant l’heure de vérité c’est à dire l’échéance de l’année préalable.
S Sidibé: Le sujet est intéressant sauf que pour moi on est dans un jeu de duperie. En réalité, entre la CEDEAO et l’UEMOA, laquelle est sous influence de la France? Les raisons de la sortie des États du Liptako Gourma ou CES/AES résident dans le régime des sanctions de la CEDEAO qui à mon avis sont légales. L’objectivité aurait été de quitter les 2 organisations mais le CFA est là qui les retient. L’accélération de la monnaie commune de la CEDEAO va empêcher ces États d’accéder à la mer. Le schéma est un pied dedans (UEMOA) et un pied dehors (CEDEAO). Bref, donnons le temps au temps.
- Diallo : Le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont raison de quitter cette organisation fantoche incapable de défendre les intérêts de ses Etats membres. La CEDEAO n’a pas volé au secours des Etats du sahel en proie au terrorisme, elle n’a pas non plus trouvé des solutions à la mauvaise gouvernance qui est généralement à la base de la rupture constitutionnelle avec l’avènement des militaires au pouvoir. Autre tare de la CEDEAO c’est son incapacité à décider d’elle-même, elle a toujours été sous influence des puissances occidentales qui lui dictent la voie à suivre. Les trois chefs d’Etat Goita, Traoré et Tiani ont bel et bien raison de quitter une organisation qui ne fait l’affaire de leurs peuples. Le jour où la CEDEAO deviendra une organisation des peuples et non un syndicat des chefs d’Etat, le jour où elle ne sera sous aucune influence extérieure, le jour où elle prendra en main le destin des Etats qui la composent tant sur le plan sécuritaire, économique et social, les Etats qui l’ont quittée reviendront, en attendant qu’on les laisse savourer leur nouvelle aventure et le temps qui est le meilleur juge dira s’ils ont raison ou tort. Vive la CES et vive l’AES.