Après la publication d’un beau livre sur son œuvre, une exposition sera consacrée au sculpteur Amahiguéré (Dieu fasse qu’il reste debout) Dolo arraché à notre affection le 21 août 2022. Ce sera à partir du 11 avril 2024 à Paris, à la galerie Christophe Person.
Racines biscornues, branches tordues, troncs éventrés, loupes et broussins du bois… Tous cachent au plus profond de leurs fibres des êtres vivants, animaux inconnus, humains en devenir, monstres étranges… Selon de nombreux critiques, il faut «un œil exercé pour les discerner et un talent hors du commun pour les libérer». Ce talent, reconnaissent-ils, «Amahiguéré Dolo le possédait. A moins que ce ne fût un don. Armé d’une simple herminette, n’intervenant jamais plus que nécessaire, il ouvrait dans la chair des arbres morts ces passages qui permettent aux esprits de s’épanouir et ont le pouvoir de transformer une souche incrustée de poussière en œuvre vivante». Pour son galeriste, le Français Luc Berthier (qui représente aujourd’hui ses héritiers), Amahiguéré était «un grand initié qui connaissait I’histoire de son peuple et celle des peuples voisins».
Né le 16 juin 1955 à Gogoli (commune de Sangha), le talentueux sculpteur s’est éteint à Bamako le 21 août 2022. Une disparition que ses amis et collaborateurs veulent seulement réduire à sa dimension physique en multipliant les initiatives pour immortaliser le talent inné à travers ses œuvres. Ainsi, un peu plus d’un an après son décès, la détermination de Luc Berthier et du commissaire d’exposition, Yves Créhalet, a permis d’aboutir à la publication d’un beau livre, «Dolo, le Dogon du siècle». Cette œuvre, selon les critiques, est «un hommage sensible à un créateur qui sut faire revivre le bois, mais aussi tirer de l’argile comme des vieux sacs de ciment des palpitations de vie». Un livre d’hommage dans lequel s’expriment non seulement ses amis, Luc Berthier et Yves Créhalet, mais aussi et surtout des écrivains et critiques d’art comme Chab Touré et l’Ivoirien Yacouba Konaté. Sans compter le collectionneur et homme d’affaires français, Jean-Paul Blachère.
Rassemblées sur quelque deux cents pages, les photographies des œuvres de Dolo montrent toute l’étendue de son savoir-faire en matière de sculpture, de peinture ou de céramique. «Sincère, cohérente, puisée au fond de soi, la démarche de l’artiste est à des années-lumière du calcul commercial qui peut, parfois, guider les créateurs contemporains. Loin de tout folklore, à rebours de tout exotisme séducteur, elle s’enracine dans la pensée dogon et relève de la démarche spirituelle», témoigne-t-on.
Et selon Yacouba Konaté, Amahiguéré (Dieu fasse qu’il reste debout) n’aurait jamais dû sculpter puisqu’il n’appartenait pas à la caste des forgerons. «Or, voilà qu’Amahiguéré, fils de paysan devant Ama l’éternel Dieu, a tendance à jouer les forgerons», écrit-il. Non content de fabriquer ses propres jouets, il en fabrique pour ses amis et, mieux, il en vend. Et de plus en plus. Or la sculpture est une exclusivité de forgeron. «Malheureux ! Que fais-tu ? Plus jamais ça ! Compris» ? C’est son père qui vient de le découvrir ! L’injonction paternelle est ferme, mais pas assez pour éloigner l’enfant de sa passion du bois. Et cela d’autant plus que, témoigne Konaté, «ce n’est pas seulement l’enfant qui a choisi le bois, le bois également l’a choisi. L’enfant ne lève ni révolte ni bravade. C’est juste plus fort que lui».
La passion de l’art pour s’affirmer à soi-même
L’attraction est si forte que le jeune prodige désobéit. Ainsi, après l’école française, il étudie à l’Institut national des arts (INA) de Bamako entre 1976 et 1980. Pendant une dizaine d’années, il sert à la Direction régionale de la jeunesse, des sports, des arts et de la culture de Gao. Sa rencontre avec le plasticien espagnol Miquel Barceló le convainc de se consacrer pleinement à la sculpture. Il ouvre alors son atelier à Ségou, au bord du fleuve Niger… Par la suite et pour un temps, les portes de l’Europe s’ouvrent à Dolo qui expose notamment à Palma de Majorque, Thouars, Tourcoing, Daoulas, Paris…
Artiste atypique, Amahiguéré travaille aussi sur des matières authentiques. «Dans un grand respect de la nature, il utilise des arbres morts qu’il va déterrer», explique Berthier. Des souches excavées, des troncs ou des branches des bois morts… «Les sculptures de Dolo suivent la pente et les plis intrinsèques au bois pour donner corps à des compositions expressionnistes riches en figures hybrides», poursuit Konaté cité dans Jeune Afrique (JA).
De ces souches qu’il utilise, il respecte particulièrement les cavités et les vides. «Le trou, c’est la base de tout, c’est de là que sortent le bien et le mal nécessaire, c’est l’origine du monde», a-t-il expliqué en 2016 lors d’une exposition à la Menil Collection, aux Etats-Unis. Dans ses sculptures, disent des proches, «les trous peuvent aussi bien être des bouches grandes ouvertes que des sexes, des yeux, des narines, des nombrils…».
Dans «Dolo, le Dogon du siècle», Yves Créhalet titre son essai de «Le Chaînon manquant» avec l’idée de montrer que l’œuvre du natif de Sangha «opère à sa manière la jonction entre l’art classique dogon et l’art contemporain». Trait d’union ou grand écart, commente un critique d’art, «cette position inconfortable explique peut-être la timide reconnaissance d’un marché qui apprécie, quoi qu’il en dise, qu’on ne sorte pas trop des cases». Même si, de nos jours, les sculptures de l’artiste valent tout de même entre 25 000 et 30 000 euros ; ses peintures entre 10 000 et 15 000 euros.
«Ils sont nombreux, les artistes africains qui se sont naïvement enfermés dans une esthétique de revendications identitaires, de défense de I’Afrique des rêves», déplore Chab Touré. De l’avis de ce professeur de philosophie à l’INA de Bamako (également photographe, critique et écrivain), «Dolo n’était pas de cette bande. Ni d’aucune bande. Dolo ne s’autorisait pas à dire ce qui est bien ou mal, à asséner des vérités ou à prendre des positions tranchées. L’art, pour Dolo, fut la réalisation de lui-même».
Une quête profondément humaine, à la fois vaine et sublime qui sera sans doute le captivant parfum pour attirer les visiteurs autour de l’expo qui s’ouvre ce 11 avril 2024 à la galerie Christophe Person de Paris, en France.
Naby
Avec Jeune Afrique (N°3134- Mars 2024)