Le Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou (Fespaco) s’est tenu du 22 février au 1er mars 2025 en l’absence de notre compatriote Souleymane Cissé, un monument du cinéma africain malheureusement décédé à la veille de l’événement. La délégation malienne a assisté à cette grande fête cinématographique dans une atmosphère de deuil. L’un des portes drapeaux du cinéma malien, Boubacar Sidibé, dans une interview, revient sur le Fespaco, jette un regard sur l’avenir du 7e Art malien et trouve les mots justes pour magnifier la personnalité de l’icône du cinéma africain, feu Souleymane Cissé.
ujourd’hui-Mali : Vous revenez du Fespaco, quel bilan tirez-vous de cet événement sur le plan organisationnel ?
Boubacar Sidibé : La 29e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) s’est tenue à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, du 22 février au 1er mars 2025.
La délégation malienne, composée de plus de 120 professionnels du cinéma et de journalistes culturels ont pris part à cet événement majeur du cinéma africain, avec pour objectif de promouvoir le cinéma malien, de tisser des liens culturels et de renforcer la visibilité de nos talents sur la scène cinématographique internationale.
En termes de bilan, le Mali marque un tournant historique dans le monde du cinéma en obtenant la sélection de 11 films, une première pour notre pays. La moisson du Mali au Fespaco 2025 est satisfaisante, “Fatow” (Les Fous) de Fousseyni Maïga remporte le prix spécial Uémoa de long-métrage documentaire et “Klema, Saison sèche” de Boubacar Gakou Touré s’est inscrit au palmarès Section perspectives. D’un point de vue organisationnel, il faut avouer les moyens squelettiques mis à la disposition de la commission, ce qui ne nous a pas empêché de faire bonne figure à cette messe. Je salue de passage l’engagement de M. Mamou Daffé, ministre de l’Artisanat, de la Culture, de l’Industrie hôtelière et du Tourisme qui n’a ménagé aucun effort pour la réussite de la participation malienne.
A défaut d’un grand prix, les cinéastes maliens se sont contentés de prix honorifiques. Quels commentaires ?
Le Mali est un pays de cinéma ; par conséquent, à chaque édition, nous nous exigeons beaucoup. Pour répondre à votre question, je voudrais souligner un fait marquant qui a attiré mon attention, celui de la moyenne d’âge des professionnels maliens qui est de 35 ans, ce qui dénote de l’avenir prometteur du cinéma malien. Autrement dit, la relève est assurée. Cet état de fait constitue un indice remarquable des beaux jours du cinéma malien dans les décennies à venir.
Malheureusement un monument du cinéma malien, Souleymane Cissé, nous a quittés à quelques jours du Fespaco. Qu’est-ce que vous retenez de l’homme ?
Souleymane Cissé est considéré comme l’une des figures les plus influentes du cinéma africain. Il a marqué le cinéma par son style unique et ses thèmes profondément ancrés dans la culture et les réalités sociales africaines.
Son travail se distingue par l’exploration de questions politiques, sociales et culturelles à travers des récits visuellement saisissants. Il a contribué à la reconnaissance du cinéma africain sur la scène internationale, notamment avec des œuvres comme “Yeelen” (1987), un film, qui mêle réalisme et mythologie, Yeelen toute modestie mise à part reste l’un des chefs d’œuvre de l’histoire du cinéma africain.
Solo est également connu et reconnu pour ses efforts pour intégrer des éléments de la tradition orale africaine dans ses films, souvent inspirés par les légendes et les croyances populaires. Au-delà de ses succès cinématographiques, il a joué un rôle crucial dans le développement de l’industrie cinématographique au Mali à travers l’Ucecao. Une structure qui contribue fortement à la formation de jeunes cinéastes africains. Son travail reste une source d’inspiration pour de nombreux réalisateurs en Afrique et dans le monde. Il continuera après sa disparition à être une voix importante dans le cinéma mondial.
Pensez-vous que l’actuelle génération de cinéastes pourra combler le vide laissé par Souleymane Cissé ?
Sans hésiter, je dis bien sûr qu’évidemment la relève est assurée. Cela fait trois décennies que nous travaillons sur les perspectives de l’avenir du cinéma malien. La question de savoir si la relève est assurée pour le cinéma malien est essentielle pour garantir la pérennité et l’évolution de ce secteur artistique au Mali. Plusieurs éléments permettent de répondre à cette question :
– une nouvelle génération de cinéastes :
Il existe de plus en plus de jeunes réalisateurs, scénaristes et producteurs qui s’impliquent dans le cinéma malien. Ces jeunes créateurs portent des projets innovants, souvent influencés par la diversité des cultures et des réalités sociales maliennes. De nombreux films produits par de jeunes réalisateurs maliens ont déjà été projetés dans des festivals internationaux, ce qui témoigne de l’intérêt croissant pour le cinéma malien au niveau international.
– l’adaptation aux nouvelles technologies :
Le cinéma malien doit aussi s’adapter aux évolutions technologiques, notamment la production et la diffusion des films numériques. Le marché numérique en pleine expansion (plateformes de streaming, diffusion en ligne, etc.) offre de nouvelles opportunités pour les jeunes cinéastes de se faire connaître par un public plus large, non seulement au Mali, mais aussi à l’international.
De plus, la production à moindre coût grâce à des outils accessibles permet à bon nombre de jeunes talents de se lancer dans le cinéma avec les moyens de bord.
Cependant, des défis demeurent pour assurer la relève. Parmi eux :
– Le financement : Le Fonds d’appui à l’industrie cinématographique tarde à se faire doter et l’accès à des financements pour de grands projets reste un obstacle majeur.
– La distribution : La distribution des films maliens sur le plan international est un goulot d’étranglement. Cela peut freiner l’impact des réalisations des jeunes cinéastes.
– Le marché local : Le marché du cinéma au Mali, bien que dynamique, a encore besoin de structures de diffusion plus développées pour soutenir les jeunes cinéastes et leur permettre de vivre de leur art.
Malgré le bradage de nos salles de projection, le cinéma malien a toujours son mot à dire sur le plan africain. Quel est le secret des acteurs du cinéma malien ?
Il n’y a pas de recette miracle, ni de baguette magique. Le cinéma malien, malgré les défis auxquels il fait face, notamment le bradage des salles de projection et les difficultés économiques, continue de conserver une place importante sur la scène cinématographique africaine et internationale. Le secret derrière la résilience et le succès continu du cinéma malien reposent sur plusieurs facteurs clés :
– la richesse du patrimoine Culturel qui constitue une source d’inspiration inépuisable pour les créateurs ;
– une nouvelle génération de cinéastes inspirés et audacieux :
Les jeunes cinéastes maliens malgré l’environnement difficile, continuent de faire preuve de créativité, d’audace et d’originalité. Ils abordent des sujets contemporains avec un regard neuf, tout en restant attachés à leurs racines culturelles. Cette nouvelle génération tire parti des nouvelles technologies et des formats numériques pour produire des œuvres qui rivalisent de qualité avec celles produites dans des contextes mieux dotés en moyens financiers ;
– le soutien des festivals et des institutions nationales de promotion du cinéma :
Le cinéma malien bénéficie d’une visibilité internationale importante grâce à des festivals prestigieux comme le Fespaco. Ces événements permettent aux films maliens d’atteindre un public plus large et d’attirer l’attention des producteurs, distributeurs et partenaires internationaux ;
– le soutien d’institutions comme le Centre national de la cinématographie du Mali (CNCM) et des fonds de financement de mécènes qui contribuent à la limite de leurs possibilités à soutenir la production locale ;
– Enfin, il faut surtout souligner l’esprit de résilience et la force des acteurs du secteur.
Selon vous quelle fut la conséquence immédiate de ce bradage des salles de projection sur l’avenir et le devenir du cinéma malien ?
La conséquence saute aux yeux, nous n’avons plus d’espaces de diffusion pour nos productions. Cela est fort regrettable non seulement pour les créateurs que nous sommes, mais aussi pour le grand public qui reste nostalgique des œuvres cinématographiques à travers lesquelles il se reconnaît. Et cela à juste titre.
Êtes-vous optimiste pour l’avenir du cinéaste malien ? Pourquoi et comment ?
Oui, je suis optimiste pour l’avenir du cinéma malien. Ai-je le choix ? Je ne sais que faire du cinéma. Pour un lendemain meilleur du 7e Art malien, plusieurs facteurs positifs contribuent à cette vision optimiste, malgré les défis que le secteur rencontre, notamment en termes de financement, de structures de projection, et de distribution. Nous pouvons malgré tout compter sur :
- la montée d’une nouvelle génération de cinéastes :
Il existe une nouvelle génération de cinéastes maliens créatifs, passionnés et déterminés, qui apportent des perspectives nouvelles.
Ces jeunes talents, même avec des ressources limitées, font preuve d’innovation, en adaptant les nouvelles technologies de production et en explorant des thèmes modernes tout en restant ancrés dans la culture malienne.
- la prolifération des outils numériques :
L’avènement du numérique et des outils de production à faible coût offre des opportunités considérables toute chose que la jeune génération a vite compris et ne s’en prive point. Grâce aux technologies modernes, la production cinématographique devient plus accessible, même pour les jeunes créateurs sans grands moyens financiers.
Quelle était l’ambiance entre les cinéastes maliens et leurs homologues du Burkina Faso durant le Fespaco ?
Ambiance des plus fraternelles, amicales et cordiales. Nous partageons une même histoire, la même géographie, pourquoi des créateurs, artistes d’un même peuple feront exception de se retrouver autour de ce qu’ils ont en commun : le cinéma ?
A quand un deuxième prix de l’Etalon du Yennenga pour un film malien ?
En 2027, Inch Allah (rires).
Propos recueillis
par O. Roger Sissoko