Très souvent, il apparait dans les documents officiels ou de réflexion que le Mali subit une crise multidimensionnelle. Dans la « multidimensionnalité » de notre crise, la part de la dimension culturelle me parait très majoritaire.
En parlant de culture, je ne fais pas référence au folklore et à la tradition comme les ont limités nos autorités et le grand public. Ce qui explique, par ailleurs, leur choix récurent de la biennale artistique et culturelle comme axe majeur de la politique publique culturelle du Mali.
En parlant de culture, je fais référence à cet univers de liants d’intérêt, d’organisation, émotionnels, spirituels, symboliques, intellectuels, de langages qui permet de mettre en mouvement ensemble et dans la confiance un groupe de personnes.
La richesse de cet univers dépend de la qualité du capital culturel des individus qui le constituent.
Le capital culturel d’un individu détermine sa qualité de producteur, de consommateur, sa capacité de coopération, son niveau de confiance et d’ouverture d’esprit, son intelligence émotionnelle.
Le capital culturel de la très grande majorité des Maliens est extrêmement pauvre. Ces individus au capital culturel définissent exclusivement leur présent par le passé. Et très souvent par un passé réécrit au profit des princes du jour. Ce qui n’a pas permis au Mali l’émergence d’un univers symbolique moderne commun. C’est-à-dire une matrice solidaire, de connaissances, de règles et de confiance, intériorisée et respectée par les individus qui l’habitent, avec un État régulateur reconnu comme représentant de l’intérêt général. Pour l’instant il n’existe pas au Mali.
Nous avons plutôt des al-qaïda qui se construisent et se déconstruisent au gré des conjonctures. Organisées en mafias religieuses, ethniques, syndicales, politiques, amicales (grin),… ou d’intérêts directs, ces alqaïdas donnent une impression de sécurité à leurs adhérents qui n’hésitent devant aucune compromission pour bénéficier de la sécurité éphémère que leur donne ces organisations. C’est la base vers une « soudanisation » de notre pays.
Il nous faut urgemment sortir de là. Il nous faut renouveler et moderniser notre récit national. Ce qui a été le principal manque de la dynamique démocratique au Mali.
De 1991 à maintenant, il n’y a pas une série télévisuelle produite sur l’environnement des collectivités locales, des Cescom, de la Justice, du pouvoir exécutif, du pouvoir législatif, sur les outils modernes de solidarité comme l’INSPS et l’AMO, sur la vie quotidienne d’un paysan, d’un mécano, d’un apprenti-chauffeur, d’un commerçant, d’une gargotière, d’un fonctionnaire, d’un avocat, d’un transitaire, d’un artiste… Bref ce qui fait le Mali d’aujourd’hui.
Le manque de construction de cet univers moderne symbolique et d’intérêt commun est à la base de la très difficile mise en œuvre de la dynamique démocratique au Mali.
Pour sortir globalement et durablement de notre crise, il nous faut un projet Mali avec au cœur un univers symbolique moderne commun et des citoyens qui définissent leur présent par le futur à construire ensemble.
La biennale artistique et culturelle n’est pas l’outil approprié pour construire cet objectif. Il nous faut plutôt organiser sur l’essentiel du territoire un accès régulier et organisé à la culture pour le grand public. Il nous faut une quotidienne ! Et non une biennale !
Alioune Ifra Ndiaye