Parmi les différentes revendications de l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM), la suppression de l’Office central de lutte contre l’enrichissement illicite (Oclei) figure en bonne place. Les raisons du désamour entre les deux entités.
L’UNTM suggère un renforcement des structures judiciaires déjà existantes contre la corruption et/ou la relecture de la loi portant création de l’Oclei. La loi sur l’enrichissement illicite « n’est pas rétroactive comme semble le soutenir l’UNTM. Une loi est rétroactive lorsqu’elle s’applique à des situations qui sont nées avant sa promulgation. La loi de 2014 ne s’applique pas aux fonctionnaires à la retraite. La loi de l’infraction continue signifie que si une loi est adoptée le 2 janvier 2021, elle peut s’appliquer à des situations qui ont été commises avant le 1er janvier 2021 mais tous les effets continuent à suivre après le 1er janvier 2021 », clarifie un praticien du droit.
La Centrale syndicale parle de discrimination, du fait que les députés ne sont pas concernés. « L’article 3 de la loi, sur son d’application, comprend tous les fonctionnaires civils et militaires ». L’article 9, sur la déclaration des biens, précise que les députés ne sont pas assujettis. « Tout le monde est concerné. Il y a juste une sélection au niveau de la déclaration des biens », indique notre interlocuteur.
Pour lui, c’est une insulte de penser que tous les fonctionnaires iront en prison si la loi s’applique. Seuls les fonctionnaires qui ont volé ont des soucis à se faire. « La relecture de la loi portant prévention et répression de l’enrichissement illicite et ses textes subséquents n’a pas été inclusive en ce sens qu’elle a été menée uniquement par les représentants du Syntade et quelques conseillers techniques des ministères. C’est pourquoi le processus d’adoption de la nouvelle loi doit concerner les autres syndicats, la société civile, le secteur privé, les organisations de lutte contre la corruption y compris le réseau des journalistes d’investigations et des personnes ressources sans oublier les services techniques comme le Végal, l’Oclei et la Centif ».
L’UNTM suggère la suppression de la « dénonciation » dans la loi créant l’Oclei. « Il est dit dans la loi que même si vous avez acquis des biens il y a quarante ans, tant que vous conservez ces biens ils peuvent faire l’objet d’application de la loi. Les biens que vous avez obtenus avant l’entrée en vigueur de la loi sont frappés par la loi. On appelle cela une rétroactivité de la loi. C’est une imprescriptibilité de la loi, qui est perpétuelle dont les effets entre dans les registres passés et vont continuer à régir l’avenir éternel. C’est le vrai danger de cette loi », explique Maître Cheik Oumar Konaré, avocat inscrit au barreau du Mali au micro de Mali-online.
Il cite un autre danger de cette loi qui est le renversement de la charge de la preuve. Selon lui lorsque l’on interpelle normalement les fauteurs, on leur démontre les crimes et les preuves qu’on leur reproche. Mais, poursuit-il, avec l’Office central de l’enrichissement illicite, le système de preuve est inversé.
Une loi « terroriste » et sélective ?
« On vous appelle pour vous demander d’où vous avez eu vos biens. Et si vous n’arrivez pas à donner de bonnes justifications, votre dossier est transmis à la justice et vous êtes poursuivis. C’est un tel système, le Malien n’y est pas habitué et si vous l’appliquez, alors la plupart des fonctionnaires iront en prison. Cette loi terrorise les fonctionnaires », poursuit-il.
Dans un article paru dans Mali Tribune, datant du 5 mars 2019, au cours d’une de ses grèves, l’UNTM a sorti ses griffes contre l’Oclei sous prétexte qu’elle ne figure pas dans le protocole du 29 janvier 2019. Yacouba Katilé avait qualifié les méthodes de la structure comme « inquisitoires, discriminatoires », etc.
« La façon dont cette structure a commencé à fonctionner, nous avons eu l’impression qu’elle n’est pas un organe administratif mais plutôt judiciaire », avait-il dit. La Centrale syndicale critique l’organe contre la corruption en avançant des arguments comme « l’Oclei touche plutôt les fonctionnaires que des hauts responsables comme les ministres, les présidents d’institutions de la République ou les députés ».
Une commission a été mise en place pour la relecture de la loi portant création de l’Oclei. En son temps, l’UNTM reprochait au gouvernement de n’avoir pas fourni des experts pour la constitution du comité de relecture.
L’Office central de lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite (Oclei) est une recommandation de l’Uémoa et amène obligatoirement les fonctionnaires de déclarer leurs biens. En cas de doute sur l’origine de ces biens, il revient aux fonctionnaires interpellés de se justifier. Les rapports annuels de l’Oclei sont remis au président de la République.
Au gré de l’évolution des différentes grèves ayant débouché sur des négociations avec l’Etat, l’UNTM a réussi à faire pencher la balance en sa faveur. Selon nos informations, à défaut de supprimer l’Oclei, il est prévu de relire la loi portant sa création. Malgré tout, d’aucuns pensent que la relecture programmée de sa loi de création est un véritable plomb dans l’aile de l’Oclei. En ce sens que celle-ci se dirige inéluctablement vers la fin de sa mission de lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite.
Fatoumata Kané